Octobre, 2019

Effondrement des Alpes

mer30oct(oct 30)11 h 00 mindim17nov(nov 17)18 h 00 minEffondrement des AlpesCentre de la Photographie - Genève, 28, rue des Bains Genève 1205 Switzerland

Détail de l'événement

Le réchauffement climatique dans les Alpes provoque la fonte du permafrost, ciment de glace qui maintient la cohésion des falaises d’altitude, et, depuis quelques années, il s’ensuit de spectaculaires effondrements rocheux par dizaines – bientôt par centaines. Or, les effondrements désorganisent les itinéraires tracés en montagne, ils menacent les pratiques outdoor, posent d’évidents problèmes de sécurité et provoquent l’effroi de celles et ceux qui, soudain, comprennent l’importance du changement climatique. Pour autant, ces phénomènes extrêmes doivent-ils s’appréhender uniquement comme des catastrophes ? Le projet EdA (pour « Effondrement des Alpes – inventer un nouveau patrimoine ») propose de travailler sur cet objet contemporain avec des créatrices et créateurs (artistes, designers, architectes, etc.) et des chercheur·se·s (géologues, anthropologues, philosophes, historien·ne·s, etc.) pour produire des oeuvres, des récits et des événements qui le ferait apparaître comme un nouveau patrimoine : l’effondrement devient un objet dont on hérite et avec lequel on apprend à vivre.
À partir de lui, il s’agit dorénavant de raconter des histoires, montrer des images, organiser des gestes et de nouvelles pratiques.
Financé par l’Europe dans le cadre du Programme Interreg France-Suisse, ce projet porté par l’ESAAA (École supérieure d’art Annecy Alpes) avec le Centre de la photographie Genève (CPG) rassemble plusieurs partenaires pendant trois ans et permet la mise en place d’un laboratoire artistique des mutations du monde.
Après une première année de recherche, de conférences et de productions artistiques, le CPG expose le travail des artistes en DSRA (diplôme supérieur de recherche en art, diplôme de 3e cycle délivré par l’ESAAA) et des chercheur·se·s affilié·e·s à la plateforme EdA, élaborée par l’ESAAA en collaboration avec le CPG. Les voix, images et objets mobilisés lors des huit premières journées de conférences et séminaires (correspondant à la première des trois années du projet), seront présentés sous forme d’une publication de ESAAA éditions (distribution « Les presses du réel ») lors de la Biennale d’Art Contemporain de Lyon, le 13 décembre 2019.
Les huit artistes réuni·e·s sont toutes et tous parties prenantes de la plateforme de recherche et création qu’est EdA. Nicolas Crispini et Sabine Tholen sont intervenu·e·s plusieurs fois durant les séminaires. Mabe Bethônico est artiste associée à EdA et porte plusieurs projets y compris avec des étudiant·e·s de l’ESAAA. Patricio Gil Flood, Cécile Guichard, Anne-Sarah Huet, Quentin Lazzareschi et Stephen Loye y sont inscrits en tant que chercheur·se·s et préparent un DSRA, multipliant les approches jusqu’à l’oblique.
Pour toutes et tous, le point de départ est soit la configuration géologique des Alpes soit le surchauffement climatique, soit les deux ensemble. Au début de la recherche, durant l’été 2017, l’écroulement de trois millions de mètres cubes de roche tombés de la paroi du Piz Cengalo, annonçait les dangers futurs. Ce jour-là, dans le massif du Bergell, dans le canton des Grisons en Suisse, huit randonneurs perdaient la vie, et plusieurs maisons à Bondo et Promontogno étaient détruites par le torrent de boue généré par la pulvérisation du glacier, plus haut dans la vallée.

Les raisons du surchauffement climatique sont multiples et imbriquées les unes dans les autres. Ainsi l’économie capitaliste avec sa surproduction basée sur des énergies non renouvelables, engendre une consommation bien au-delà de nos besoins, et détruit faune et flore par centaines de milliers d’espèces pour toujours plus de rendement… Cela génère pour la majorité des citoyens des travaux vécus comme absurdes et dénués de sens, et avec comme locomotive une industrie de la finance qui n’est plus reliée à la réalité de la production…
Tout cela, bien connu, bien décrit, formant le coeur du monde que les scientifiques appellent Anthropocène, soit « l’Ère de l’Homme, un terme relatif à la chronologie de la géologie proposé pour caractériser l’époque de l’histoire de la Terre qui a débuté lorsque les activités humaines ont eu une incidence globale significative sur l’écosystème terrestre », d’après Wikipédia (11.10.2019).
Alors, prises dans ces questions globales, les oeuvres des artistes proposent des récits locaux, des précisions, des expériences esthétiques situées.
Ainsi, Mabe Bethônico, dont le travail porte principalement sur des questions liées à l’archive et aux extractions minières, campe – en collaboration avec Hannah Stewart – à l’aide d’une marionnette aux aspects monstrueux, le rôle du citoyen contemporain, abasourdi par les nouvelles quotidiennes, comme celles en rapport avec l’« île de plastique ». Betty, c’est son nom, rumine et cherche à comprendre, non sans charme et parfois avec quelques intuitions lumineuses, l’avalanche des annonces de plus en plus accablantes qui assaillent les sensibilités chaque jour.
Il n’est pas étonnant qu’en s’enfonçant de plus en plus dans des situations de crise – certains parlent d’effondrologie – toute l’organisation sociale et politique de nos communautés humaines à l’occidentale soient remise en question.
Patricio Gil Flood avec son projet de l’École du non-travail explore le potentiel qu’a l’art de promouvoir d’autres formes de travail, mais aussi de pensée et de vie, qui soient combinées avec des temps de repos. En ce sens, son projet tente d’approcher les contours d’un objet social en mutation profonde.
Nos sociétés à l’occidentale ont théoriquement les moyens économiques de verser une rente à toute personne refusant un travail abrutissant. Mais elles génèrent au contraire et via les bourses globalisées, un fossé de plus en plus abyssal entre pauvres et riches.
C’est exactement la bourse qui sert souvent de point de départ à Anne-Sarah Huet. Mais pour EdA elle propose, en collaboration avec Carin Klonowski, une pièce qui s’éloigne de cette thématique pour se rapprocher des Alpes, c’est-à dire des roches. Pour Thinking like a fake stone, l’artiste se sert de plaques de pierre de parement pavillonnaire sur lesquelles elle inscrit un poème-manifeste qui évoque la disparition d’un lieu cher et l’idée de son remplacement par un substitut sous-équivalent.

Ailleurs, Stephen Loye renverse l’intitulé « Effondrement des Alpes » en un effondrement sur les Alpes. L’artiste revient sur l’accident d’avion qui s’était produit en 2014 sur le territoire de la commune Prads-Haute-Bléone en Haute-Savoie, alors qu’un co-pilote dépressif avait intentionnellement fait effondrer un Airbus A320-211 de German Wings sur le Massif des Trois-Évêchés.
L’installation de l’artiste renvoie à une salle d’attente et présente sur trois écrans, à partir de sources vidéos et télévisuelles très variées, le scandaleux crash qui, pour une courte durée, avait transformé un plateau alpin en plateau de télévision.
Dans l’exposition au CPG, nous passerons des débris de l’Airbus aux montagnes de déchets que génère le tourisme alpin.
La proposition de Cécile Guichard (designer et membre du collectif bruxellois Rotor qui démonte des éléments architecturaux et de design promis à la démolition pour les réinjecter dans la construction) fait référence au constat visuel en altitude de la compétition des déchets avec les rochers. Pour l’exposition EdA, ce constat est documenté par des images capturées en 2017 dans des centres de tri en France.
Enfin, même si cette pièce sert à commencer l’exposition autant qu’à la finir, une palette se met sur le chemin du visiteur, disposant plusieurs centaines de blocs, des pavés, industriellement manufacturés à l’initiative de l’artiste Quentin Lazzareschi. Tous ces cubes de granit, comme détachés du Mont-Blanc et charriés par un glacier, nous barrent la route et semblent attendre d’être activés. Ils sont issus d’une matière première qui a chuté, ils peuvent servir au tracé d’une route ou à un soulèvement.

Joerg Bader, Directeur du CPG
Stéphane Sauzedde ,Directeur de l’ESAAA

Photo : © Quentin Lazzareschi, Moraine des Images – Série d’images de ce que les touristes ne veulent pas photographier, La mer de Glace, 2019

Dates

Octobre 30 (Mercredi) 11 h 00 min - Novembre 17 (Dimanche) 18 h 00 min(GMT+00:00)

Centre de la Photographie - Genève28, rue des Bains Genève 1205 SwitzerlandLe Centre est ouvert du Mardi au Dimanche de 11:00 à 18:00