Janvier, 2024

Raffinerie - La fin d’une ère Une exploration photographique

sam27jan(jan 27)9 h 00 minven05avr(avr 5)17 h 00 minRaffinerie - La fin d’une ère Une exploration photographiqueExposition collectiveGalerie du Crochetan, Théâtre du CrochetanAvenue du Théâtre 91870 Monthey

Détail de l'événement

Au seuil du troisième millénaire, notre monde est confronté à des mutations d’une ampleur insoupçonnée. Ces transformations se manifestent à notre porte, dans le paysage qui nous entoure, jusqu’à la plaine où nous résidons. En son centre se dresse une raffinerie, dont la monumentale présence domine l’horizon… bientôt destinée à disparaître.
Tour à tour considérée comme un symbole de la modernité ou comme une nuisance, cette usine a été un pilier de notre prospérité. À la fois inquiétante et esthétique, fruit du génie de notre civilisation, elle aurait pu, dans un futur lointain, revêtir le statut de monument historique, suscitant la curiosité tel un vestige antique ou médiéval. Cependant, il n’en sera rien ; les temps évoluent, elle s’éclipse, emportant avec elle le souvenir de ceux qui y ont laborieusement travaillé, certains avec une passion dévouée.
Face à cet événement, deux photographes, un architecte et un couple d’artistes ont souhaité en préserver la mémoire. Si cette démarche relève du documentaire, elle ne s’y limite pas. Un tel décor offre une diversité d’approches considérable ; il incite à s’interroger sur les bouleversements à venir ou simplement à apprécier la beauté et l’esthétique du lieu.
Un projet de cette envergure se doit d’être partagé, particulièrement auprès de la population locale, habituée à vivre, travailler et observer quotidiennement la transformation de son paysage. La Galerie du Crochetan représente l’espace idéal pour cette initiative, en y exposant ces images afin de les dévoiler au public et lui offrir un regard intime sur l’intérieur de cette « forteresse » industrielle.

PRÉSENTATION DE L’EXPOSITION
Tel un phénix s’élevant de ses cendres, le site de Collombey-Muraz est en pleine mutation. Les colossaux travaux de déconstruction de la raffinerie ont impliqué le démantèlement de plus de 1’000 pièces d’équipement, la dépose de plus de 90 km de tuyauterie, la récupération de plus de 30’000 tonnes d’acier ainsi que le démontage de 54 citernes pour une capacité totale équivalente à 200 piscines olympiques et de près de quarante installations électriques. Ces structures qui jadis se dressaient sur l’horizon ont disparu au fil du temps, laissant derrière elles une histoire poignante. Témoins d’un temps révolu, ces « mastodontes » d’acier ont en effet été le théâtre de décennies de labeur. Des hommes et des femmes y ont travaillé avec honneur pour transformer ce trésor convoité, extrait des profondeurs du sol. Ces souvenirs marquants resteront gravés à jamais dans leurs âmes.
Désormais, le site de la raffinerie est plongé dans un silence assourdissant. Les machines se sont tues, les ouvriers ont quitté les lieux. Les coeurs sont lourds, les regards empreints de mélancolie. Seuls quelques ouvrages géants gisent encore, disloqués, sur le sol, vestiges d’une époque défunte.
Afin de témoigner de cette transformation majeure du paysage chablaisien, David Bard, Bernard Dubuis, Lea Lund, Erik K et Jean-Marc Yersin ont eu le privilège d’accéder à l’intérieur de l’usine désaffectée. Chacun à leur manière, selon leur style photographique respectif et leur sensibilité propre, ils nous offrent un récit émouvant de ce lieu mythique.
Le drone de David Bard1 s’élève gracieusement dans les airs pour dévoiler un monde insoupçonné. Sous des angles insolites, il parvient à nous faire découvrir la face cachée de cet espace fragmenté et « désossé ». Ses vues en plongée nous offrent un « spectacle » visuel des plus singulier, où la sophistication coexiste avec la brutalité. Ses compositions subtiles laissent se déployer l’imaginaire du spectateur ; elles mettent en lumière formes et motifs, couleurs et contrastes pour mieux révéler une réalité ordinairement inaccessible. Ses images saturées de tonalités vives ne font qu’accentuer cette sensation de fascination qui nous envahit.
Présentant une esthétique quasi-picturale et abstraite, ses prises de vues nous invitent à adopter un nouveau point de vue, une autre perception afin de découvrir une facette méconnue de ce cadre
historique. En qualité d’architecte, David Bard façonne ses images de manière à distancier le regard du spectateur, permettant ainsi une appréciation de la beauté de ces structures saisissantes. L’agencement de ses compositions sur des toiles canvas, matériaux bruts, rugueux et texturés, offre aux visiteurs une expérience sensorielle immersive, les invitant à explorer minutieusement chaque détail et recoin, tout en conservant une perspective aérienne qui survole les surfaces planes. Ce procédé crée des angles de vue inédits, permettant ainsi l’émergence de nouvelles visions.
Le duo artistique et amoureux formé par Lea Lund & Erik K possède une vision unique et singulière du monde. Leur amour pour la photographie, la gravure et l’architecture les pousse à explorer de nouveaux horizons, à la recherche du beau caché derrière chaque bâtiment, ville et paysage. Dans cet esprit, Lea Lund a « capturé » Erik K dans des mises en scène créatives sur le site de la raffinerie. Toujours à la recherche de la lumière parfaite, ils ont arpenté les lieux, cherchant des angles originaux, des détails fascinants et des textures surprenantes. Cette architecture industrielle s’est muée pour eux en un nouveau terrain de jeu. Au-delà d’un simple décor, ils ont su entretenir un « dialogue » avec cette imposante entité métallique pour nous livrer des photographies nimbées d’une aura théâtrale et romanesque qui ne manque pas de nous subjuguer.
Experte dans l’art de la gravure et du dessin, Lea Lund sublime en outre ses négatifs en noir et blanc qu’elle gratte et cisèle avec précision et finesse, tout en veillant à ne jamais dévoiler ses secrets techniques. Ce travail minutieux confère une atmosphère dramatique, voire électrique aux images déjà fortes. Les contrastes s’accentuent, les détails se font plus saisissants, comme autant de signes d’une esthétique singulière. La photographe métamorphose l’industriel, l’univers si concret en un décor intemporel et onirique, où les lignes abruptes se fondent dans une ambiance mystérieuse et poétique. Ses images prennent vie dans une explosion de textures et acquièrent une profondeur inattendue. L’oeil s’attarde sur chaque élément, captivé par l’harmonie des compositions.
Photographe passionné par l’essence de la beauté brute, Jean-Marc Yersin1 a su appréhender les constructions massives de la raffinerie pour les dévoiler dans toute leur splendeur. C’est ainsi que ces gigantesques citernes, cuves et conduites métalliques se sont élevées vers le firmament sous son objectif, qui fixe dans un noir et blanc subtil chaque nuance, chaque détail, chaque courbe pour révéler le caractère cyclopéen de cette usine. Selon une démarche artistique marquée par une grande rigueur et une maîtrise technique indéniable, il a su exprimer cette harmonie insoupçonnée. Dans sa quête de perfection visuelle, Jean-Marc Yersin explore les multiples perspectives que lui offre cet environnement « inhumain ». Par un jeu avec les angles de vue, il magnifie la puissance du site, accentuant la verticalité de ces structures impressionnantes. En plongée ou en contre-plongée, son objectif capture avec une acuité extrême la majesté de ces lignes dont il souligne la magnificence austère et l’ordonnancement rectiligne.
Bernard Dubuis place l’être humain au centre de ses images. Sa passion première est de photographier les gens, de s’imprégner de leur vécu et de leur cadre de vie. La qualité de ses images réside dans son intérêt pour les gestes de celles et ceux qui travaillent ou démolissent. Toujours dans l’action, il fixe chaque mouvement avec une précision remarquable. Son objectif met à nu la substance même du travail, le dévouement et le professionnalisme de ces « gardiens » de l’histoire industrielle de la région qu’il s’attache à immortaliser. Ses photographies témoignent de cette alchimie, de cette fusion entre l’homme et la machine où la technique devient presque organique. Tel un scrutateur averti, il révèle la quintessence du savoir-faire ouvrier. Il donne notamment à voir le processus de découpage des cuves de la raffinerie, entre novembre 2021 et fin 2024. Son regard affûté, allié à des choix judicieux de perspectives et de cadrages, permet de rendre compte de l’infime présence des manoeuvres au milieu de ces colosses d’acier dont l’immensité défie l’imagination. Autour de ces « monstres » de métal, les travailleurs qui s’affairent semblent minuscules, presque insignifiants. Le contraste entre la puissance brute des citernes et la fragilité de la condition humaine apparaît alors avec une intensité particulière.
En contemplant les clichés exposés, nous sommes ainsi transportés dans un univers où la splendeur et la majesté des bâtiments se mêlent à la poésie de la création artistique. Le talent de ces photographes est parvenu à transcender la rudesse de l’acier et du béton pour révéler une esthétique insoupçonnée et sublimer l’héritage industriel du Chablais. Leurs regards uniques et complémentaires ont su mettre au jour la puissante « identité » de ce patrimoine, tout en offrant une interprétation vibrante de l’histoire ouvrière de la région.
Julia Hountou2
Docteure en histoire de l’art et responsable de la Galerie du Crochetan

Photographes exposés : David Bard, Bernard Dubuis, Lea Lund & Erik K et Jean-Marc Yersin

Photo : Structure 3, 2020 © David Bard

Dates

Janvier 27 (Samedi) 20 h 00 min - Avril 5 (Vendredi) 4 h 00 min(GMT-11:00)