Février, 2024

Sacha

mer14fev(fev 14)11 h 30 mindim19mai(mai 19)17 h 45 minSachaLiban, StratigraphieMusée Nicéphore Niépce, 28 quai des messageries 71100 Chalon-sur-Saône

Détail de l'événement

Même les dromadaires étaient sous le charme
(Miguel Medina, photographe)

Lorsqu’en 1966 le magazine Elle publie un portrait de groupe de ses photographes devant l’objectif de Peter Knapp, il faut attendre la seconde photographie pour qu’un des personnages centraux tombant le chapeau se révèle ne pas être un photographe mais une photographe, la jeune Sacha van Dorssen. L’air de rien, en toute discrétion dans un métier où la production est abondante et mixte, Sacha fait partie du cercle restreint des photographes de mode passés à la postérité.

Avec une apparente simplicité, Sacha (née Sacha van Dorssen en 1940 à Rotterdam, Hollande) a su s’imposer comme une photographe de mode singulière, identifiable entre toutes, photographiant pour les magazines les plus prestigieux et répondant à de nombreuses commandes publicitaires (Yves Saint-Laurent, Louis Vuitton, Dim, …). Nul besoin de signature : sans pour autant d’ailleurs les identifier comme de son fait, nous avons de nombreuses photographies de Sacha « dans l’œil »,.

Elle puis The Sunday Times Magazine , Stern, Vogue UK, Avenue, Le Jardin des Modes, Lui, Vogue Homme, Harper’s Bazaar Italia, GQ, Bloom et surtout Marie Claire (de 1977 à 1999, sans discontinuer ou presque Sacha va publier tous les mois dans le magazine et ses différentes variantes), autant de magazines qui vont faire confiance à la photographe néerlandaise qui s’est vue presque immédiatement confier, dès son arrivée en France en 1964, ses premiers reportages par Peter Knapp, alors directeur artistique de Elle .

Composé de plusieurs centaines de milliers de diapositives, rangées dans leurs petites boites jaunes soigneusement classées par date, et de tous les justificatifs de publication, le fonds photographique de Sacha témoigne d’une activité uniquement tournée vers la photographie de mode. Cette exposition pourrait d’ailleurs être composée exclusivement de couvertures et de doubles pages de magazines tant il y en a eu. Les diapositives constituent une matière première illimitée dans laquelle Sacha puis les journaux ont puisé « les bonnes photographies » destinées à être imprimées. Car dans la mode, l’objet final et abouti reste le magazine, où les photographies sont mises en page et soigneusement légendées.

En effet, la photographie de mode n’existe que pour le magazine et qui mieux que Sacha pour incarner cette chaîne complexe de production d’images de mode. Lorsque l’on lit ou que l’on écoute Sacha, l’expression qui revient le plus souvent est celle de « travail d’équipe ». Lors de chaque séance s’activent des rédacteurs ainsi qu’un ou plusieurs assistants (logistique, éclairage, …), les mannequins, les coiffeurs, les maquilleurs… Avant que la photographe ne puisse s’exprimer, elle doit ronger son frein !

Plusieurs années durant, les assistants de Sacha ont soigneusement documenté les différents voyages pour les magazines en annotant les données techniques nécessaires au développement des films argentiques sur les polaroids de repérage. Sacha a ensuite rassemblé ces informations dans ses cahiers : lieu de prises de vue (pays, ville) et de résidence lorsque le séjour durait plus d’un jour, nom des différentes personnes présentes, celui de ou des mannequins, tickets d’hôtel ou de restaurant. Ce travail de référencement en temps réel est une source formidable pour comprendre le mode de production de ces photographies et son aspect résolument collectif.

On décrit souvent Sacha comme une photographe exigeante et … lente. Elle-même le reconnait : « j’admets qu’on dise que je suis très lente, mais quand mon mannequin arrive fin prêt, il me faut du temps pour que ce côté apprêté disparaisse et qu’il se produise quelque chose de vrai ou de naturel ; en fait, je suis comme la fermière bretonne qui vend ses dindes : si vous voulez de la qualité il faut mettre le temps. » [1] Cette exigence est tellement identifiable et porteuse que les magazines et les marques vont lui faire confiance durant près de 50 ans.

La qualité de ses cadrages (à de rares exceptions près, ses photographies sont impossibles à recadrer au grand regret des directeurs artistiques), le soin apporté aux détails, son sens de la couleur, sa maîtrise de la lumière et le naturel qui se dégage de ses clichés pourtant très construits, imposent Sacha auprès des magazines et des marques. Là encore, une fois les clichés pris, le travail est de nouveau collectif : rédacteurs, directeurs artistiques, rédacteurs en chef, … Sacha nous parle de joie partagée et il est vrai que le résultat final semble toujours joyeux et léger.

Sacha incarne une certaine idée de la femme, de l’homme et de la mode sur près d’un demi-siècle. Et même si elle a multiplié les collaborations avec des magazines partout dans le monde, elle reste associée à Marie Claire et les déclinaisons en kiosque (Marie Claire bis et Marie Claire beautés ). A l’instar de Elle, Vogue ou Stern , les magazines ont leur personnalité, leur ligne conductrice et Marie Claire revendique depuis sa relance en 1954 par Jean Prouvost une identité forte. Héritier du Marie Claire fondé en 1937 par Jean Prouvost et Marcelle Auclair, le nouveau Marie Claire proclame « un magazine de luxe pour tout le monde », associant la mode (le prêt-à-porter comme la haute-couture) à des conseils pratiques, de cinéma, de tourisme, tout en proposant des articles de fonds sur des sujets de société.

En 1937, les couvertures de Marie Claire proposaient des mannequins toujours souriants, à partir de 1954 les reportages photographiques proposent les mannequins qui semblent saisis dans leur quotidien. Au gré des rédactrices et des changements dans la société – que Marie Claire accompagne -, cette identité visuelle perdure. Et c’est dans sa capacité à saisir « le vrai ou le naturel » tant recherchés par le magazine que Sacha va exceller, tandis que le magazine connait son apogée dans les années 1980, après qu’Evelyne Prouvost-Berry, secondée par Claude Brouet comme rédactrice en chef, a succédé à son grand-père en 1976.

Chez Sacha, les mannequins ne semblent jamais poser. Ils sont comme saisis dans leur intimité, une forme d’abandon faisant oublier la présence de la photographe. Et le paysage occupe une place essentielle. De façon subtile, Sacha sait combiner mannequins, modèles et décors en jouant avec la lumière extérieure, qu’elle préfère à celle du studio. Peter Knapp dit de Sacha qu’elle n’est pas dans le silhouettage de la forme, que ce qui se passe autour de la silhouette n’est pas en contraste avec le sujet, il en résulte des photographies douces, des ambiances où le vêtement ne semble pas être le principal sujet mais se lit pour autant comme essentiel à l’ambiance donc comme un élément désirable.

Sacha aime à photographier les à-côtés de ses voyages pour la mode et la publicité, posant son regard précis sur des détails inattendus mais toujours parfaitement composés. C’est dans cet esprit que Sacha est la photographe d’ouvrages dédiés à Mariano Fortuny [2] et Christian Dior [3] pour les Éditions du Regard, qui feront date. Premier livre publié par les Éditions du Regard, celui consacré à Fortuny témoigne la maestria de Sacha pour capter les ambiances (ici celle si singulière qui régnait dans le palazzo Fortuny laissé quasiment en l’état depuis 1965), mettant en avant des détails, écumant inlassablement le palais. José Alvarez dira : « pour Sacha, rien n’est insignifiant » [4] et pour ce faire Sacha s’adapte à la lumière particulière du lieu, elle qui préfère les extérieurs et le soleil. Pour Dior, le jeu est tout autre et ses compositions subtiles s’intègrent aux photographies d’archives qui composent l’ouvrage.

Mode, publicité, reportages, depuis 1964, Sacha a construit une œuvre singulière faite de lumière, d’exigence et de sincérité.

Sylvain Besson

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Commissariat :
Sacha
Sylvain Besson, musée Nicéphore Niépce

Design Graphique :
Le Petit Didier
Nicolas Pleutret

Tirages :
Dupon Paris
Kleurenfelix Breda

Remerciements :
Gabriel Bauret
Françoise Bornstein
Peter Knapp
La société des Amis du musée Nicéphore Niépce
Dingeman Kuilman

Et les équipes du Stedelijk Museum Breda
Beja Tjeerdsma
Marieke Wiegel
Friso Wijnen

[1] Coups de cœur et déclenchements in Gabriel Bauret, Sacha !, Éditions du Chêne, Paris, 2011
[2] Anne Marie Deschodt, Mario Fortuny : un magicien de Venise (1871-1949), Éditions du Regard, 1979
[3] Françoise Giroud, Dior , Éditions du Regard, 1987
[4] Gabriel Bauret, Sacha !, Éditions du Chêne, Paris, 2011

Dates

Février 14 (Mercredi) 22 h 30 min - Mai 19 (Dimanche) 4 h 45 min(GMT-11:00)

Musée Nicéphore Niépce28 quai des messageries 71100 Chalon-sur-SaôneOuvert tous les jours sauf le mardi et les jours fériés de 9h30 à 11h45 et de 14h à 17h45