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Dans le paysage éditorial actuel il y a finalement assez peu d’objets qui mêlent à la fois le texte et la photographie. C’est certainement dommage tant les deux arts peuvent vivre l’un avec l’autre en parfaite intelligence.
Par bonheur, la maison d’édition Les Petites Allées, située à Rochefort, répare un peu ce manque. Fondée en 2008 par Nathalie Rodriguez et Michel Bon, elle se consacre initialement à la publication d’ouvrages imprimés pour partie avec une presse typographique (la couverture) et en numérique. L’ensemble des feuillets étant ensuite reliés à la main.

Nathalie vient de la gravure, de la peinture, mais aussi des métiers du livre. Michel, lui, a pratiqué la taille douce, a travaillé aussi pour la maison d’édition Cheyne. Il paraissait presqu’évident pour eux de reprendre une imprimerie plus que centenaire !

Peu à peu, diverses collections voient le jour : « Les Océaniques », « Les images » et en 2018 « Pour dire une photographie ». Celle-ci, avec Serge Airoldi comme directeur de collection, propose un objet-livre original qui comprend une photographie d’auteur associée à un texte d’un.e autre auteur.e. Le tout est au format 10,5X13, avec une couverture à chaque fois dans un coloris différent ; l’ensemble est vendu 15 € avec une enveloppe qui permet si on le souhaite de poster le petit fascicule. L’objet est imprimé à deux cents exemplaires numérotés. La première association mit en regard une photographie de Jean Dieuzaide et un écrit de Serge Airoldi. Vinrent ensuite de très nombreux titres. On peut évoquer une photographie de Linda Tuloup avec les mots de Yannick Haenel, Dolorès Marat et Vincent Pélissier, Marc Donikian et Claro… Et tant d’autres.
Si Serge Airoldi associe bien souvent les binômes, la décision finale de publication reste toutefois collégiale.

A l’orée de l’été 2024, trois nouveaux titres sont venus grossir le catalogue. Dans cette trilogie, les textes sont l’œuvre de Serge Airoldi, celui-ci écrivant sur les images de Klavdij Sluban, Dolorès Marat et Olivier Deck. L’ensemble intitulé Lignages interroge l’idée de lignée, de lignes, de lien. C’est un palmier ou une guitare, c’est une fenêtre pleine de nuit, de pluie et un navire. C’est surtout le voyage humain et ses péripéties.

Dans Gloria N. (en regard de la photographie de Klavdij Sluban), Serge Airoldi a ces mots : « Ça raconte ce que ça raconte. Ça dessine l’allégorie d’une société en pleine catabase. ». et de fait qu’il s’agisse de palmier ultime, de guitare ligotée ou de navire qui se perd, nous parcourons dans ces photographies et dans ces textes l’immensité incomplète de ce qu’est être humain, de ce qu’est Exister, peut-être plus que Vivre.

La force de la collection, au-delà de cette trilogie, c’est de donner à l’image un contrepoint singulier qui n’est pas celui de l’explicatif. Trop souvent, on prend un peu les spectateurs pour ce qu’ils ne sont pas en leur expliquant les photographies. Or, une photographie, si tant est qu’elle est bonne, n’a pas besoin d’être expliquée. Si la nécessité apparaît, alors elle est un échec. Mais elle a souvent besoin d’être commentée, d’être dite. Et quoi de mieux que de demander à quelqu’un.e qui n’est pas connu.e pour être photographe de « dire » cette image ? Il n’est pas évident, initialement, que les photographies de Dolorès Marat, Klavdij sluban et Olivier Deck puissent fonctionner en écho. Pourtant, par la magie du verbe, Serge Airoldi parvient à les lier, les relier, leur donner cet alignement qui permet un récit complexe et complet.
Il en est de même pour les autres titres de la collection.

Il faut remercier Nathalie, Michel et Serge. Et les remercier chaudement ! En effet, il est vraisemblable qu’une partie de l’avenir éditorial des livres photographiques passe par une association avec le texte. Bien que celle-ci ne doive pas être systématique, une ouverture plus large, des regards croisés, des mises en écho sont nécessaires et souhaitables. Or, en ouvrant ainsi la porte, en défrichant ce front pionnier, ils inaugurent, avec d’autres, un chemin qui ne demande qu’à être exploré.

Bientôt, d’autres titres verront le jour, mais en les attendant n’hésitons pas à lire et à contempler ceux qui existent déjà. Ils le méritent amplement.

Site internet : https://www.lespetitesallees.fr/

Derniers titres parus dans la collection « pour dire une photographie » :

Trilogie « Lignages » : Serge Airoldi sur une photographie de Klavdij Sluban : Gloria N, Serge Airoldi sur une photographie de Dolorès Marat : Phoenix, Serge Airoldi sur une photographie d’Olivier Deck : Guitarreria.

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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