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Malta – Tunis – Marseille, une migration familiale par Katel Delia

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En préface de l’ouvrage de Katel Delia, Malta – Tunis – Marseille, co-édité par Images Plurielles et klabb kotba maltin, Sylvie Hugues écrit : « […] Si dans les médias le mot migrant était remplacé par « réfugié » ou, mieux, par « exilé », ou encore « déraciné », l’intolérance et le racisme à leur égard serait moins fort. » C’est très justement ce qui transparaît à travers ce livre, cette idée que nous sommes tous d’une manière ou d’une autre des réfugiés ou les descendants d’exilés. Et que finalement l’histoire de l’humanité se construit non pas sur une présence extrêmement ancienne et figée à un lieu, mais plutôt sur des flux et reflux de populations qui modèlent les cultures et les époques.

© Katel Delia

Il y a bien longtemps, les arrières grands-parents de Katel Delia quittent Malte pour la Tunisie. La pauvreté, les crises les poussent à chercher dans ce pays qui est alors une colonie française une vie, sinon bonne, au moins meilleure. Les îliens forment alors le premier contingent européen là-bas, ce que l’histoire a un peu oublié. La famille de la photographe y restera jusqu’à son accession à l’indépendance. À ce moment-là, face au dilemme qui s’offre de devenir tunisien, français ou maltais, certains choisiront Marseille, dont le père de Katel, Alexandre, figure centrale du récit, d’autres le retour dans le pays originel. Ce micro mouvement familial, qui pourtant bouleverse et construit l’histoire de Katel et de ses aïeuls, est un condensé de ce que l’on appelle les migrations. En filigrane, derrière ce mot de géographe, d’historien ou de politicien, se cachent des réalités nombreuses, tantôt tragiques mais aussi heureuses, un résumé de ce XXe siècle qui sera traversé par tant de mouvements migratoires. Explorant les archives familiales Malta – Tunis – Marseille est autant un travail de mémoire et sur la mémoire, qu’une enquête sur les traces de celle-ci.

© Katel Delia

Une photographie ancienne sur laquelle posent un homme et une femme appuyés sur une barque, un petit chien les accompagne. En vis-à-vis, une plage, des bâtiments, des palmiers. En couleur. Puis, peu à peu d’autres images aux teintes bistres : des enfants, des familles, des gens souriants ou non ; des papiers d’archive : certificat de nationalité à titre provisoire, plan d’appartement, des objets aussi : un fer à repasser qui emporte le maigre butin quand il faut fuir. Dans le même temps, la blancheur des murs de Tunis, un parc et sa fontaine, des linges blancs, jaunes sous le ciel bleu. Des calques aussi, feuilles volantes qui peuvent se déposer entre les pages et construire un récit différent, le compléter. Des mots, des mots simples et délicats pour dire des choses simples et délicates : la joie, l’exil, et le reste. Tout ça forme un aller-retour aussi touchant que vertigineux entre passé et présent. Le lecteur suit les dédales du récit d’existences si petites que l’on aurait pu les oublier. Par bonheur, Katel Delia ne veut pas de cet oubli, ni à titre personnel, ni de manière plus universelle.

© Katel Delia

Parce que c’est de ça dont il s’agit ici : se rappeler. Se rappeler et de surtout comprendre. Environ un tiers des Français a, de nos jours, des origines étrangères de manière plus ou moins lointaine, et la vie de notre pays qu’elle soit culturelle, littéraire, économique s’est construite sur ces apports. Or, à une époque où l’on brandit bien haut un nationalisme extrême, il est bon de garder ce chiffre en tête. Un tiers. Une personne sur trois dont les ancêtres ont traversé les mers, bravé des dangers, appris une langue et une culture qui n’étaient pas les leurs. Un tiers qui a dû quelques fois repartir en sens inverse, quitter leur seconde maison, leur métier, leurs ami.e.s. On ne s’imagine pas forcément ce qui se cache derrière ces exils, et le livre de Katel Delia nous ouvre des perspectives insoupçonnées. Parce que ce choix qu’elle fait de se pencher sur la micro-histoire met en exergue la macro-histoire. Page après page, nous sommes face à des êtres qui ont vécu, aimé, souffert, qui ont travaillés, bâtis des maisons, enfantés ; des gens comme nous. C’est ça l’important, ce « comme nous » qui rappelle qu’avant d’être des migrants, ils sont tout d’abord père, mère, fils, fille etc. et que leurs rêves sont les mêmes que les nôtres : manger à sa faim, avoir un toit, une éducation. Rien de plus. Surtout rien de moins. En choisissant de confronter passé et présent, en explorant les archives familiales, l’auteure montre que les époques ne sont pas si dissemblables les unes des autres. Le migrant subsaharien ou syrien est-il si différent de son prédécesseur maltais ? Cherche-t-il autre chose ? Il y a fort à parier que non.

© Katel Delia

Malta – Tunis – Marseille est un livre profondément humaniste qui mérite d’être diffusé le plus possible en ces temps troubles de xénophobie rampante et de racisme décomplexé. Les lecteurs et lectrices y trouveront matière à réflexion sur la condition humaine, sur les choix que nous opérons, les tournants étranges que prennent parfois les existences et, enfin, une ouverture à l’Autre des plus salvatrice.

INFORMATIONS PRATIQUES
• L’Edition
Malta – Tunis – Marseille
Katel Delia
Co-édition Images Plurielles & Klab Kotba Maltin
Site internet des éditions Images Plurielles
Livre trilingue : français, maltais, arabe
100 photos en couleur et noir et blanc
96 pages
Couverture carton souple, rabats
Format : 23 x 21,5 cm
ISBN : 978-2-919436-68-2
29€
https://art.katelia.com/
https://www.imagesplurielles.com/fr/
Klabb Kotba Maltin

• L’Exposition

jeu05sep(sep 5)10 h 00 minsam12oct(oct 12)19 h 00 minKatel DeliaMalta – Tunis – MarseilleGalerie Librairie Maupetit, 142 La Canebière 13001 Marseille

Frédéric Martin
Frédéric Martin est photographe, son travail questionne l'intime, la relation à l'autre. Il a publié l'Absente chez Bis Éditions. Frédéric Martin écrit aussi des chroniques de livres de photographies dans lesquelles il cherche à valoriser tout autant le travail du photographe que l'objet livre. Elles sont à lire sur son site : www.5ruedu.fr

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