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Pour sa deuxième carte blanche, notre invitée de la semaine, Laetitia Boulle, Directrice de La Maison de l’Image de Grenoble nous dévoile le travail de deux photographes exposés à l’occasion de la 12ème édition du Mois de la Photo sur la thématique des « Transitions » qui ouvre ses portes le 9 novembre prochain. Après avoir présenté Étienne Maury, artiste invité et Emmanuelle Blanc, voici deux autres lauréats de cette édition 2024 : Francesco Canova et Patrick Cockpit, tous deux mettent en récit un territoire, le premier joue entre vérités historiques et fiction romantique, l’autre avec les fantômes et la dystopie.

Le Mois de la Photo 2024, événement dédié à la Photographie organisé par La Maison de l’Image du 9 novembre au 1er décembre 2024, à Grenoble et sur l’agglomération.

Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

Projet photographique et romanesque

À travers la production du récit, surtout dans la dimension du jeu, nous pouvons proposer une réparation du monde, ou, du moins, trouver un moyen de le supporter. C’est avant tout une question de dosage. Platon le dit bien : tout récit est un pharmakon. À petite dose il soigne ; à forte dose, il empoisonne.

© Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

Restent-ils des Indiens en Camargue ?
Il y a cent ans, un groupe d’Indiens Sioux débarque en France avec le Wild West Show de Buffalo Bill et développe une amitié avec le marquis, poète et éleveur de bétail Folco de Baroncelli, le père spirituel de la Camargue.
Fasciné par le mystère de ce peuple ancien, le marquis se persuade qu’un fil invisible lie les destins des Indiens et des Camarguais, au point de se convaincre qu’il a été Sioux dans une vie antérieure. Baroncelli commence à transformer sa terre en se nourrissant de l’imagerie indienne. Peu à peu, la Camargue devient un immense décor de films western peuplé de cow-boys locaux. Le marquis donne vie à un mythe dont les reflets sont encore visibles aujourd’hui dans chaque pli et sillon de ses terres.

© Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

© Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

© Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

Ce projet se constitue comme la recherche des traces laissées par la rencontre éphémère entre deux peuples qui, en Camargue, deviennent le miroir l’un de l’autre. La figure de l’Indien, figure mythique et mystérieuse, clé pour mieux comprendre un territoire avec ses contradictions, ses rêves et ses faiblesses. La Camargue, avec ses paysages de carte postale, ses chevaux blancs et ses pick-ups poussiéreux, le terrain de chasse d’une quête illusoire dont l’objet appartient plus au monde du rêve qu’au monde réel.

© Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

© Francesco Canova, Au-delà des soupirs et des ombres

Tel un détective, Francesco Canova se laisse séduire par ces phantasmes d’Indiens et le pouvoir de faire advenir le monde dont on rêve, où d’autres récits deviennent possibles.
En utilisant la forme photographique, les archives historiques et la forme littéraire, Francesco Canova met en lumière les récits qui donnent du sens à un territoire et qui forment nos imaginaires, pour donner vie à une cartographie faite d’exotismes, vérités historiques, fausses pistes et mensonges romantiques.

Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

Entre 1945 et 1970, le gouvernement espagnol construit plus de trois cents villages dans les zones semi-arides du pays pour y développer l’agriculture, désenclaver les provinces et accroître la prospérité générale. Voulue par Francisco Franco, administrée par l’Institut National de Colonisation, cette nouvelle étape du développement espagnol est aussi le moyen de promouvoir « l’homme nouveau », travailleur catholique dévoué à son pays, logé dans des constructions modernes.

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

Dès la fin des années soixante-dix, le retour progressif à la démocratie entraîne des changements majeurs en Espagne, mais ces villages évoluent peu. Certains changent de nom pour se débarrasser d’un passé encombrant, quelques-uns revendiquent leur héritage, mettent en valeur leur patrimoine architectural et historique, d’autres encore sommeillent.
Aujourd’hui, alors que le gouvernement espagnol cherche à s’affranchir du passé franquiste en effaçant ses références les plus visibles, ces villages ont valeur de symbole. À l’image des villages vacances hitlériens, des cités fascistes italiennes ou des centres-villes unitaires soviétiques, ils incarnent un idéal urbain, où tout est prévu, pour tout le monde, à l’ombre d’une église. Si l’architecture est facile à repérer, les traces du franquisme sont plus subtiles, paradoxalement plus tenaces dans leur invisibilité.

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

© Patrick Cockpit, Pasaron, une dystopie franquiste

C’est précisément à cette invisibilité que se consacre ce projet. Photographier les villages parfaits voulus par Franco. Photographier leurs restes, leurs évolutions, leurs fantômes. Photographier leur silence, leur ressemblance, leur accumulation qui tend peu à peu vers le malaise, le cauchemar, l’anoxie, la dystopie.

INFORMATIONS PRATIQUES

sam09novdim01décLe Mois de la Photo 2024TransitionsAncien Musée de Peinture, 9 Pl. de Verdun, 38000 Grenoble

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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