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Pour leur première carte blanche, nos invité·s de The Analog Club – lieu dédié à la photographie argentique à Paris – ont choisi de nous présenter Florian Guillon-Antigny, photographe dont les mediums de prédilection sont l’argentique et les procédés alternatifs. Florian est un des membres fondateurs du laboratoire associatif Les Trois Bains qui se poursuit avec un nouveau projet appelé Les Trois Bains sélénium qui compte huit membres. Rencontre avec Florian Guillon-Antigny.

C’est avec Florian que nous avons découvert l’art et l’univers du tirage en chambre noire lors d’une semaine intensive aux Trois Bains (association photo avec un laboratoire partagé situé dans le 15ᵉ arrondissement). Nous avons vite compris que le terme « passionné » s’était personnifié en un individu. Cela fait maintenant plusieurs années que nous avons la chance d’avoir une belle amitié avec Flo. Il fait partie de ceux qui creusent sans relâche et explorent les limites de l’argentique, dans le matériel toujours plus précis qu’il cherche durant des jours, dans des prises de vue de plus en plus techniques, dans les procédés qu’il explore sans cesse, souvent jusque tard dans la nuit.

“Je m’appelle Florian Guillon-Antigny, j’ai 33 ans, je suis photographe et j’ai choisi la photographie argentique et les procédés photographiques alternatifs comme moyen d’expression.”

Qu’est-ce qui t’a fait tomber amoureux de l’argentique ?


Mon rapport à la photographie argentique est avant tout l’histoire d’une rencontre ratée. J’ai, depuis ma petite enfance, été très attiré par l’art sous toutes ses formes, et plus particulièrement par la peinture. Ce médium est à mes yeux l’ultime expression de la sensibilité artistique et de la relation indissociable qui lie l’artiste et sa technique. Malheureusement, je ne dispose d’aucune des compétences requises pour parvenir à réaliser une œuvre avec ce medium.
J’ai donc gravité vers d’autres formes d’expressions artistiques jusqu’à la découverte de la photographie au travers de laquelle, pour la première fois, j’ai pu exprimer une vision que je pensais singulière.
Ma rencontre avec la photographie argentique, elle, est celle d’un coup de foudre. Une émotion comme j’en ai rarement connu, celle de la matière et du temps.
C’est au détour d’un reportage en écosse que j’ai mis la main sur un boitier argentique qui devait me permettre de découvrir le médium alors que le gros de mon travail était prévu avec un reflex numérique. 
Revenu de ces 10 jours de crapahute dans les montagnes écossaises, j’ai commencé par développer à la maison la seule pellicule argentique que j’avais alors exposée lors de ce séjour. Première pellicule, premier développement et premier contact avec la matière argentique. J’ai immédiatement été saisi par la beauté du medium, une fraction de temps figée à jamais dans la gélatine. Cela peut paraitre naïf, mais le fait de tenir entre mes mains le support physique d’un moment vécu m’a absolument bouleversé. Je n’ai jamais regardé une seule image des 3 cartes SD que j’ai ramené de ce séjour écossais, les 36 poses de ma pellicule HP5 m’ont suffi.
C’est de là qu’a commencé mon voyage vers l’argentique.

Quand tu fais une photo en argentique, qu’est-ce qui entre en jeu pour toi ?

De l’appareil au cadrage, du choix du procédé au temps qu’on prend… comment tu vis ce moment-là ?
Comme tout passionné de photo, le matériel a très vite été au cœur de mon attention. Je n’ai pas l’âme d’un collectionneur, mais il me fallait trouver très vite LE boitier qui me permettrait d’exprimer au mieux ma vision de la photographie. 35mm, 120, Leica, Hasseblad, Rolleiflex, Nikon, Pentax… tout y est passé. Jusqu’à la deuxième rencontre décisive : la chambre photographique.

Chambre photographique

Avec elle, tout a commencé à prendre forme. La photographie n’était plus acquise, mais méritée. Le rapport au temps est chamboulé et mes mains, frustrées de n’avoir jamais travaillé comme celles d’un peintre, ont vraiment été mises à contribution.
Prendre une photo comme on pose une scène sur une toile : pas de chevalet, non, mais un trépied ; pas de toile, mais plutôt une chambre quasi centenaire, en bois, sur laquelle l’image viendra vivre sur le dépoli (verre sur lequel l’image est reflétée à l’envers). Je vous invite – pour celles et ceux qui ne l’ont jamais fait – à poser vos yeux sur le dépoli d’une chambre. L’image prend forme, l’image prend vie et le rapport à la photographie est transformé. On ne saisit pas seulement une image, on la contemple, on la sculpte à l’aide des mouvements de décentrement que permet la chambre et à l’aide des optiques (anciennes de préférence) qui viendront affecter la profondeur de champ et le modelé de l’image. Le rapport au temps est bouleversé lui aussi, chaque image nécessite de longues minutes de préparation et d’attente, on abandonne l’immédiateté pour se plonger dans le moment présent, c’est une ode à la patience.
Au-delà de ces considérations, le travail à la chambre offre aussi au photographe un choix absolument unique, celui du procédé : film argentique, plaque sèche (gélatino-bromure), collodion sec, collodion humide, calotype (papier argentique). Une fois encore, tout converge vers la signature d’une œuvre unique du photographe, le travail et l’expression se singularise. Et de là démarre aussi le travail vers le laboratoire argentique.

Que cherches-tu précisément dans un labo ? Qu’est-ce que ça change pour toi de pouvoir tout faire toi-même, de la chimie aux tirages ?

Saisir une image est une première étape, lui donner vie sur son support final en est une autre.
Qu’il s’agisse de développer le film puis de le passer à l’agrandisseur dans la chambre noir (film argentique), ou de le développer immédiatement sur le lieu de la prise de vue (collodion), le travail du photographe est désormais celui d’un (al)chimiste.
Comme le peintre manipule les pigments et les solvants, le photographe manipule des éléments chimiques qui permettent de donner naissance à l’image.
J’aime tout particulièrement le travail en laboratoire, car il permet une fois encore de singulariser une vision. Le choix du révélateur, le temps de développement, la température, la méthode d’agitation, le type de papier, le type de procédé… la palette du photographe est immense.
L’essence même de la photographie prend tout son sens dans le laboratoire, la relation physique entre l’atome et la lumière, la relation chimique entre le métal et son catalyseur. L’image n’existe pas encore, puis elle devient latente et la voilà enfin figée tout autant que vivante, elle devient un objet photographique, une trace physique de ce qui a été. Là encore, à contretemps d’une société où rien n’est conçu pour durer, le laboratoire est une école où l’on apprend à apprécier le temps et à lui donner du sens. Comme évoqué précédemment, le laboratoire est un terrain de jeu immense.

Tu t’es plongé dans les procédés alternatifs, parfois très anciens. Qu’est-ce que ces techniques t’apportent au quotidien ?



J’ai pour ma part décidé de me spécialiser dans ce que l’on qualifie aujourd’hui de « procédés alternatifs ». L’expression est intéressante, car elle dissocie donc cette pratique de la photographie traditionnelle ou classique. Le terme renvoie en réalité à une période passionnante, celle de la naissance de la photographie, la deuxième moitié du XIXᵉ siècle. Elle renvoie aussi à la photographie en tant qu’objet pictorialiste et non plus en tant qu’objet réaliste. C’est dans ces techniques dites alternatives que j’ai trouvées dans le tirage au Palladium et le Kallitype (pour ne citer qu’eux) les procédés qui me permettent désormais de concrétiser ma vision de photographe.

Est-ce que tu peux justement nous expliquer en quoi consiste le procédé Palladium et ce qu’il apporte spécifiquement à tes images ?


Ces procédés nés à la fin du XIXᵉ siècle présentent des caractéristiques et des propriétés uniques. Prenons le cas du tirage au palladium (dérivé du Platine-Palladium), ce procédé est la rencontre de deux éléments chimiques : l’oxalate ferrique et le palladium (chloropalladitede sodium). La solution produite est photosensible et produit une image d’une douceur incomparable tout en arborant une teinte plus ou moins chaude en fonction du travail de l’artiste.

Il s’agit là d’un des trois procédés nobles de la photographie avec le tirage au charbon et l’héliogravure. Nobles non seulement par la qualité des images que le photographe peut en tirer, mais aussi et surtout en raison de leur inaltérabilité. Le palladium est en effet, avec le platine, le métal le plus résistant à la corrosion et à l’oxydation.
Le choix du palladium dans ma pratique s’est imposé à moi. Il n’est pas le résultat d’une curiosité mais la réponse à un questionnement : comment lier un projet photographique à son support final. Je travaille depuis quelques années déjà sur un projet intitulé « Le Chant des Cimes » documentant l’évolution des forêts françaises face au changement climatique.
À nos yeux, les environnements forestiers sont des espaces incroyablement stables et doués d’une capacité d’adaptation unique. Les forêts peuplent la terre depuis des temps immémoriaux. Aussi loin que remonte l’humanité et la mémoire des hommes, la forêt était présente. Elle les a nourris, protégés, inspirés et pourtant la main de l’homme met aujourd’hui en péril ces environnements.
Ce travail débuté en 2020 et que j’entends poursuivre lors des deux prochaines décennies, je l’ai construit dans une logique documentaire. Je m’attèle aujourd’hui à un « état des lieux » de ces environnements, en documentant les différentes essences qui habitent ces espaces, tout en saisissant semaines après semaines les évolutions déjà palpables de ces environnements en pleine transformation. Dans un second temps, ce projet s’attachera à suivre le parcours des hommes et des femmes qui luttent pour la préservation de ces environnements et la démocratisation de ces combats.

Pour étayer ce propos, j’ai cherché un medium qui me permettrait de mettre en exergue ce paradoxe entre la stabilité et la fragilité, entre le temps de l’homme et le temps hors de l’humanité. C’est la raison pour laquelle j’ai choisi de tirer l’ensemble des images issues de cette série en ayant recours au procédé Palladium couché sur des papiers Gampi et Kozo. Chaque feuille de ce papier est réalisée à la main, selon un procédé millénaire profondément respectueux de l’environnement. 

Comme le palladium, ces papiers possèdent une caractéristique unique, ils ne se dégradent pas dans le temps, ou du moins le temps à l’échelle humaine. Derrière leur apparente fragilité (les papiers sont d’une finesse unique), ces papiers sont doués d’une qualité de conservation exceptionnelle. La combinaison des deux permet la réalisation d’œuvres qui, si elles sont bien conservées, passerons l’épreuve du temps. Il en va de même pour nos espaces forestiers.
Il m’aura fallu près d’une année de recherche pour réaliser des tirages que je considère aujourd’hui comme satisfaisants. Le procédé est capricieux et ces papiers difficiles à manipuler. Tout est une question de température, d’humidité, de séchages, et de méthode de couchage.

En quelques mots, la réalisation d’une épreuve se déroule ainsi :
– Le papier est préparé, inspecté et nettoyé des impuretés figées dans sa fibre ;
– Le papier est ensuite imbibé au pinceau d’une solution composée d’oxalate ferrique et de Chloropalladite de sodium, il est possible d’y ajouter également du platine pour contrôler le contraste et limite l’effet de la solarisation. Le choix du pinceau est déterminant, les fibres sont extrêmement fragiles et un pinceau non adapté viendra les déchirer lors du couchage ;

– Le papier est ensuite mis au repos un certain temps avant de subir un premier séchage, une fois ce premier séchage réalisé, le papier est ramené à un niveau d’humidité de 60% (idéalement il s’agit aussi du niveau d’humidité de la pièce) ;
– Je positionne ensuite le négatif en contact contre le papier ainsi sensibilité, le négatif est soit une plaque au collodion humide (en fonction de la densité et du contraste de la plaque), soit un contretype imprimé sur transparent depuis un négatif argentique. L’idée étant de permettre d’adapter le négatif aux spécificités du procédé en appliquant une courbe de contraste et de densité spécifique, cela permet aussi d’adapter la taille du négatif à celle du tirage envisagé ;

– Le papier et le négatif sont ensuite insolés (exposition contrôlée à la lumière UV soit à l’aide d’une insoleuse, soit directement à la lumière du soleil) ;
– L’épreuve ainsi insolée est développée (plongée dans une solution chimique) à l’aide d’une solution de citrate de potassium ou de citrate de sodium à une température donnée, plus la température de la solution est chaude plus la teinte de l’épreuve ira vers des tons chauds/sepia ;
– Le papier est ensuite traité dans une solution acide pour le nettoyer et le clarifier avant d’être lavé à l’eau. A ce stade, le papier flotte dans l’eau et navigue dans le bac de rinçage comme une méduse, sa fragilité se révèle absolue lors de cette étape.

– L’épreuve est ensuite couchée sur verre ou sur bois et mise à sécher. Cette étape est extrêmement délicate, le papier peut se déchirer à tout moment ou former des plis qui ne pourront plus être corrigés. Une fois l’épreuve sèche, elle est retouchée à l’aide d’encre pigmentaire sur les zones qui nécessitent une telle retouche. Vient ensuite l’étape de l’encadrement qui est réalisé en concertation avec le client ou les besoins de l’exposition.

Depuis la réalisation du négatif et la préparation du papier jusqu’à son séchage complet, la réalisation d’une épreuve nécessite à minima une demi-journée, voire une journée entière si des ajustements sont à réaliser sur le négatif ou la plaque de collodion (il est en effet possible de masquer certaines zones avec une mine graphite et une feuille de papier calque).

Le fait de travailler avec une chambre photographique, d’utiliser des optiques issues de la fin du XIXᵉ siècle et des procédés photographiques ancien et enfin le choix de l’épreuve au palladium conduit à une approche quasi pictorialiste de la photographie. Le travail est documentaire, mais les œuvres s’éloignent de la vision moderne de ce qu’est une photographie. Ce cheminement que je connais dans ma pratique de la photographie n’est pas isolé, loin de là.
Pourtant, la photographie est par essence une pratique personnelle et solitaire. Mais mon parcours de photographe est aussi et surtout marqué par des rencontres et des inspirations.

Tu fais partie des fondateurs de l’association Les Trois Bains. Peux-tu nous raconter comment est né ce projet, ce qui vous a rassemblés, et ce que cette aventure collective a changé dans ta pratique photographique et ton engagement pour l’argentique ?



C’est en 2019 que je rencontre Eloi de la Monneraye, Guillaume Benne et Edouard le Juge qui deviendront mes compagnons dans une aventure collective extraordinaire, l’association Les Trois Bains.

Les Trois Bains est une association loi 1901 qui vise à faire rayonner la photographie argentique au travers de trois axes fondateurs, favoriser la production artistique, sensibiliser le grand public à la photographie argentique et aux procédés alternatifs et participer à la préservation du patrimoine culturel photographique.

Ce projet nous a permis de construire un laboratoire argentique de référence qui dispense chaque mois des formations autour des procédés argentiques (à ce jour près de 500 personnes ont été formées par notre association) et organise régulièrement des événements publics pour faire vivre la photographie argentique. Ce lieu est une ode à la création et au partage qui nous inspire au quotidien.

C’est notamment au travers de cette association qu’il m’a été donné la chance de faire des rencontres extraordinaires au sein de la communauté argentique française, je citerai bien volontiers Fred Goyeau, artisan tireur d’exception qui m’aura tant appris dans la pratique du laboratoire, l’équipe de l’Analog Club, et bien sûr Léopold Fulconis en tête, qui m’inspire chaque jour toujours plus par sa motivation, son sens du partage et sa capacité à faire aboutir des projets ayant du sens et un nombre incalculable de photographes inspirants, Fakele (Kevin Ingrez), Thibault Lefebure, Maverick Christian, Hervé Baudas et Edouard Elias pour n’en citer que quelques-uns.

Quelles sont tes envies/ambitions pour l’avenir ? Tu envisages de nouveaux projets ou des collaborations ?


Aujourd’hui l’aventure Les Trois Bains se poursuit et je me tourne désormais avec une équipe de passionnés vers un nouveau projet ambitieux « Les Trois Bains – Sélénium ». Nous sommes huit passionnés (Céline Chapert, Guillaume Benne, Eloi de la Monneraye, Samuel Peillon, Edouard Le Juge, Edouard Elias, Fakele et moi-même) et travaillons à l’ouverture d’un nouvel espace dédié à la pratique des procédés photographiques anciens, depuis la prise de vue (chambre itinérante, chambre photographique, portraits au collodion, calotypes)jusqu’à la réalisation d’épreuves d’art (Palladium, photogravure, gomme bichromatée etc…). Ce lieu, nous le voulons ouvert à tous, animé et inspirant. Les portes de l’ateliers seront toujours ouvertes aux passionnés et aux curieux pour perpétuer ce projet que nous menons avec tant de passion : faire vivre la photographie argentique.

En savoir plus :
https://florianguillonantigny.com
https://les3bains.fr

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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