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De l’International Photography Symposium de Nida au Tbilisi Photo Festival
L’aventure de personnes passionnées et généreuses

Temps de lecture estimé : 6mins

Le regard de Christine Ollier

J’ai rencontré Nestan Nijaradzé et Gintaras Cesonis, il y a quelques années, grâce à une invitation de Jean-Marc Lacabe, directeur du Château d’eau de Toulouse, au Symposium d’European Prospects, accueilli à Cardiff par un autre passionné sympathique : David Drake qui dirige depuis des lustres le centre de photographie de Cardiff.

J’ai toujours apprécié les chemins de traverses et les lieux moins courus. Aujourd’hui, j’ai enfin le temps de leur rendre de véritables visites et parcourir un beau périple dans ces contrées de l’est que je connais à peine. D’abord la Lituanie, grâce à l’invitation généreuse de Gintaras Cesonis, j’ai eu droit à un séjour à Nida, station balnéaire au nord du nord lituanien tout près de l’enclave russe de Kaliningrad. Petit village pittoresque aux maisons de bois, où se déguste à pleine main l’anguille fumée de la lagune et les poissons pêchés coté mer de ce bout de dunes. Dunes dont les habitants ont stoppé le sable qui ensevelissait les villages avec des superbes forêts de pins et de bouleaux … C’est bon, le cliché touristique est en place ?!

Septembre fin de saison, les rues se remplissent de photographes de toutes les générations. C’est l’occasion d’un jubilé car ce rendez-vous dure depuis 40 ans ! Créé par l’union des photographes lituaniens, ce symposium a été voulu comme un espace de liberté, hors du contrôle bien pensant du régime soviet… En tout cas c’est ce que racontent les anciens toujours attachés à cette idée de résistance, de partage et de fête !

A Nida, les photographes des années 50-70 sont encore là, bien qu’ils vieillissent un peu trop vite. Antanas Sutkus est venu raconter son histoire et s’amuser à prendre quelques photographies avec un nouveau Leïca qu’on lui a offert lors d’un hommage à son œuvre. Toute la semaine, le public motivé assiste dès le matin à des conférences d’historiens, de critiques, d’artistes… Joachim Schmid est venu de Berlin pour évoquer son travail d’artiste-collectionneur d’images. D’autres artistes invités viennent de Turquie ou de Colombie comme Santiago Escobar Jaramillo porteur d’un collectif de photographes. Des éditeurs allemands tel que Markus Hartmann font une apparition. Des directeurs de résidences, comme Frédéric Bouché de l’association Diaphane, animent des portfolio reviews et récompensent les lauréats par des résidences ; entre autre grâce à un nouveau programme d’échanges qu’ils viennent d’inventer entre lituaniens, polonais, italiens, français…

Parallèlement, le génial projet de résidences à l’Art Colony accueille de nombreux jeunes artistes et des workshops pour l’occasion. Ca bouge un peu partout… Des photographes invités tels que le couple anglais, Jan Williams et Chris Teasdale, de la très funky « Caravan gallery » partent en quête de photographies sur les dunes, choppant au passage quelques images d’un humour so british,  mais plus bienveillant que celui de Martin Parr, venu il y a quelques années déjà… Un workshop mené par une française artiste-architecte Claire Laude, qui avait envoyé spontanément une proposition, a investi les ruines d’un lieu de plage, etc. Le tout est simple et studieux et l’atmosphère bon enfant. Les échanges sont chaleureux et sans stress, les générations se croisent et se saluent …

Gintaras et sa super équipe se sont bougés pour faire venir les jeunes, même ceux qui partent étudier ailleurs – Londres, Glasgow sont des destinations cultes. Les « talks » du soir s’ouvrent sur des artistes de référence comme Algirdas Seskus qui a participé à la biennale de Venise et à la dernière Documenta. Ensuite, place aux jeunes qui présentent leurs travaux à un public attentif et numéraire. Une vraie chance pour eux, liée à la volonté de Gintaras d’ouvrir le symposium aux émergents, sans pour autant délaisser les grands photographes de l’histoire lituanienne.

Gintaras Cesonis est l’actuel Monsieur Photo de l’union. Pourtant c’est un homme de l’ombre, discret qui aimerait bien rentrer tranquillement à Kaunas diriger la galerie photo de Kaunas (Centre d’art) et ses projets de résidences, mais il a été propulsé tout en haut de l’union et se doit de la réformer le mieux qu’il puisse, sous peine d’obsolescence du système… Tous les adhérents participent démocratiquement aux décisions et ce sont tous des photographes. Vous imaginez ce que cela peut donner comme débats, freins et crises d’égo en tout genre !? Mais Gintaras semble échapper peu ou prou à cela, grâce à son extrême bienveillance. De même, j’ai rarement rencontré des gens aussi dédiés : Vilma qui gère la galerie photo de Vilnius et qui organise les conférences du Symposium, la jeune Viktoria et ses collègues qui s’occupent de la logistique et qui conçoivent les événements originaux tels que les projections d’autres festivals sous la lumière du phare de Nida. Tous ont décidé de stopper leur pratique photographique pour servir la cause … !

Le soir, en dévorant les poissons fumés, nous évoquons aussi bien la rétrospective d’ Antanas Sutkus, pour laquelle mon ami Gin (il a un coté Aladdin..) se bat afin de trouver des institutions renommées à l’étranger ; la fondation créée il y a deux ans autour du travail de Vitas Luckus – dirigée par la jeune et talentueuse Ieva Meiluté -Svinkuniene où elle a été propulsée par notre doux génie -, afin d’enrichir les formations des nouvelles générations pour parvenir à les ancrer sur place. C’est la même énergie de renouvellement que j’ai rencontré en Pologne, il y a une quinzaine d’années, où la culture est dirigée principalement par des trentenaires.

Bon, je ne dirais pas que tout fut passionnant mais cela m’a offert un bon aperçu de la scène et surtout a démontré la dynamique lituanienne et des pays voisins. J’ai découvert une scène plutôt réflexive tant dans le discours académique que les pratiques artistiques. Nombre de travaux mémoriels creusent l’histoire et les génocides, tel celui de Valentyn Odnovium, jeune ukrainien étudiant à Vilnius qui arpente les prisons des anciens régimes nazis et communistes de Riga, Lvov, Cesis, jusqu’à la STASI de Berlin. De fait, la Lituanie n’est pas encore remise de la guerre et des décennies d’occupations russes qui ont décimées un bon tiers de sa population…

Les théoricien-nes Natalija Arlauskaitè et Nerijus Milerus sont d’excellents promoteurs de cette nécessaire relecture concrétisée notamment à travers le medium photographique et filmique. Conjointement apparaissent des pratiques conceptuelles – certes balbutiantes – en provenance des écoles anglaises / écossaises et des académies artistique locales… L’année prochaine Gintaras, son équipe et moi-même, allons lancer un programme de workshops d’experts internationaux pour les jeunes artistes lituaniens. Au départ, j’avais pensé à des experts du champ de la presse et des pratiques documentaires mais du coup nous focaliserons plus sur l’édition et la direction artistique.

Donc à l’année prochaine à Nida, au mois prochain à Vilnius où Ieva accueillera la suite du symposium de la Tate sur les femmes photographes et retrouvez mon article sur Nestan Nijaradze qui dirige le TbilisiPhotoFestival à cette adresse :
http://9lives-magazine.com/23598/2017/09/15/de-linternationa…nnees-genereuses/

INFORMATIONS PRATIQUES
http://www.photography.lt
https://www.facebook.com/NIDAmeetingphotography/

Christine Ollier
Christine Ollier (née en 1963) est historienne de l’art et commissaire d’exposition d’art contemporain et de photographie. Spécialiste de stratégie et de développement culturel. Elle intervient comme directrice artistique, chargée de projet et conseil.

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