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Rencontre avec Fabien Léaustic, Cité Internationale des Arts de Paris

Temps de lecture estimé : 7mins

Né en 1985 à Besançon et à l’issue d’un double cursus (école d’ingénieur et École nationale supérieure des Arts Décoratifs) Fabien Léaustic repousse toujours plus les frontières entre sciences et art, donnant à voir des phénomènes d’essence invisibles à l’issue de protocoles expérimentaux dont la traduction plastique engage notre regard vers un nouvel horizon poétique.

Nommé à la prochaine Bourse Révélations Emerige, il nous ouvre les portes de son atelier parisien.

9 lives : C’est quoi pour vous être un artiste aujourd’hui ?

Fabien Léaustic : C’est avant tout une histoire d’engagement. Un artiste peut se définir comme tel dès l’instant qu’il le choisit et que sa création devient la priorité de sa vie quotidienne. L’icône romantique de l’artiste voudrait que l’on ne choisisse pas d’être artiste, je ne partage pas cette vision parce qu’au contraire on choisit véritablement d’être artiste, c’est un choix de vie et une passion. La filiation pour un artiste est importante c’est ce qui le définit et je la revendique. Filiation vis à vis de ses pairs, de ses contemporains, de tout son entourage.
L’artiste doit avoir conscience de ce qu’il donne à voir, être un théoricien. Ils sont nombreux à avoir écrit que quand on manipule des symboles, des formes, des couleurs, cela participe à un sens et il incombe en effet à l’artiste d’y trouver un sens nouveau.
Enfin, l’artiste doit avoir à l’esprit que sa pratique s’insère dans la société dont il est à la fois acteur et observateur, ce qui est assez paradoxal.

9 lives : Décrivez moi les enjeux de cette résidence et comment est -elle organisée ?

F. L. : Lauréat du Prix Pierre Gautier-Delaye, ouvert aux diplômés de l’Ecole des Arts Décoratifs de Paris, je bénéficie à présent d’un atelier de sculpteur à la Cité Internationale des Arts. L’objectif premier en occupant cet atelier pendant un an était de développer des dispositifs impensables ailleurs, profiter de cette belle hauteur sous plafond pour installer le 2ème « Monolithe » (montré au Palais de Tokyo) qui fait 3 m de haut et dont il fallait tester le dispositif sur la longueur. L’espace me permet aussi d’autres projets qui s’étalent sur une échelle de temps comme les « Théinographies » avec ces bacs d’eau et de thé laissés à décanter pendant plus d’une semaine. Aucune poussière ou interférence ne doit venir perturber ces projets, l’atelier était donc l’espace idéal et sain à ce stade.
Le deuxième objectif était aussi d’organiser des expositions sous le principe d’un open studio, soit rassembler en tant que commissaire des artistes avec qui je ressens des affinités et ensuite au terme d’un certain nombre de réunions finaliser l’open studio avec d’autres protagonistes invités à changer de casquette : un commissaire qui devient artiste et vice et versa. Le but était de tout décider de façon collégiale pour trouver une cohérence à l’ensemble, écrire un texte pour accompagner l’exposition, vider l’atelier, faire le montage (pièces in situ), assurer le vernissage et tout démonter le lendemain. Les expositions étaient ouvertes 4 à 5 heures, ce qui était une vraie gageure mais grâce à nos réseaux et travail de communication on a réussi à rassembler 500 personnes environ, originaire ou non du milieu de l’art contemporain.
J’étais content de faire partager aux autres artistes la chance d’exposer à la Cité internationale avec un emplacement au cœur de Paris et une activité culturelle foisonnante.

9 lives : Pourquoi passer de la sphère des mathématiques financières à l’art contemporain ? et quels étapes ont été décisives dans ce cheminement ?

F. L. : J’ai toujours été bricoleur et passionné de culture, tout en m’orientant toujours vers des filières générales puis scientifiques, considérées comme la « voie royale », sur les conseils de ma famille dont tous les membres sont scientifiques. Une fois en école d’ingénieur j’ai commencé à m’intéresser aux expositions, à m’inscrire à des cours de sculpture, de modelage. Une fois diplômé en mathématiques appliquées aux finances, j’ai pris un an pour réfléchir et c’est là que j’ai découvert ce qu’était le concept artistique. Je ressentais jusque là une frustration n’ayant pas cette éduction, devant les œuvres dont je n’avais pas les clés. Un vrai déclic s’est fait à ce moment là. J’ai suivi une prépa pour me mettre à niveau, puis choisi l’Ecole supérieure des Arts décoratifs. J’hésitais alors entre la section Art & Espace ou le Design, tout en sachant que je me destinais au volume. Cette double approche continue à nourrir ma pratique étant donné que je m’intéresse aux phénomènes physiques, perceptibles ou non, l’étude scientifique préalable du phénomène est indispensable, comprendre les propriétés mises en jeu pour renouveler l’expérience et ensuite laisser ce phénomène à la libre contemplation. Les matériaux que j’emploie n’ayant pas de fin industrielle en soi (pas de pompe qui existe pour soulever de la terre à 6m de haut) j’ai fréquemment recours à ma formation d’ingénieur.

9 lives : Comment allez vous répondre au défi de la Bourse Révélations/Emerige ?

F. L. : La majorité de ma pratique reste expérimentale, à travers des prototypes, et ce n’est à priori pas trop adapté à la démarche du concours Emerige ou en règle générale aux collectionneurs. Mais Je développe depuis quelques années de plus en plus d’objets « stabilisés » comme les Théinographies, toujours résultats de processus qui peuvent répondre à ces règles de monstration.

Pour Emerige, je répéterai la manœuvre réalisée précédemment  pour l’exposition « Réalité » à la galerie Christophe Gaillard: je vais jouer le jeu d’une exposition en galerie avec des contraintes d’espace, tout en imposant un dispositif expérimental. Je vais présenter le tryptique de Théinogrpahies pour en offrir une belle vision, et la cariatide montrée au Doc lors de l’exposition « In-Natura » proposée par l’association Artaïs mais en reprenant complètement le socle et enfin, une installation in situ.
J’arrive à présent à une quantité de pièces suffisantes pour faire des associations cohérentes. Ces trois œuvres pour Emerige fonctionnent bien d’un point du vue du sens et du chromatisme. Cette Bourse représente une belle opportunité en terme de carrière et de visibilité pour moi.

9 lives : Quels autres projets vous animent ?

F. L. : Pour décembre au Centquatre dans le cadre de la Biennale Némo (Arcadie) l’exposition s’intitule « les faits du hasard »avec un co-commissariat entre Gilles Alvarez le directeur de la Biennale et José Manuel Goncalvez directeur du Centquatre. J’ai rencontré Gilles Alvarez au Palais de Tokyo où je présentais le Monolithe évoquant la possibilité de pièces de plus grande ampleur. J’envisage une installation sur une surface de 130m², dans un espace spécialement dédié avec peut être une dimension sonore et une atmosphère humide avec beaucoup de lumière pour introduire le vivant. Ce projet va s’appeler « ruines » et totalisera en tout 8 Monolithes dont le plus grand fera 6m de haut par 1,60 et 1,10m. Le but est de prendre en compte la durée du temps de l’exposition comme à chaque fois. Pour le vernissage tous les monolithes seront blancs sauf un qui viendra au fur et à mesure ensemencer les autres pendant les 3 mois de l’expositions. Les visiteurs pourront ainsi voir les différentes étapes de culture, différentes couleurs, teintes. Cette richesse de chromatographie, de textures qui apparaît au fur et à mesure que j’ai envie de montrer. Le projet mourrera à la fin de l’exposition.
Au mois de janvier 2018 j’organise mon dernier Open Studio avant la fin de ma résidence avec plusieurs artistes qui n’appartiennent pas au monde contemporain, des designers, des développeurs web, des musiciens qui vont pouvoir s’exprimer. On va créer plus un événement.
Début février je pars pour une résidence de 4 mois au Mexique, à l’est dans la commune de San Rafael, résidence au sein de la Casa Proal avec un budget sur place me permettant d’envisager de réaliser une production à l’échelle du paysage. Cela représente 4 mois d’isolement et l’occasion de prendre du recul par rapport à la scène parisienne qui a été très riche et positive à mon égard et régionale (Drac Franche Comté) qui m’a apporté beaucoup de soutien. Je vais de nouveau renouer avec l’écriture, la lecture, le dessin, après cette année au rythme particulièrement intense.

INFORMATIONS PRATIQUES :
Bourse Révélations Emerige
Exposition des Artistes nominés du 8 au 30 novembre 2017
Villa Emerige
7 Rue Robert Turquan
75016 Paris
http://revelations-emerige.com
http://www.fabienleaustic.fr/


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Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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