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Partager Partager Interview Art ContemporainOtherSide Covid-19 et les artistes : Du FOMO au JOMO by Jeanne Susplugas Marie-Elisabeth De La Fresnaye30 avril 2020 Temps de lecture estimé : 6minsFear of missing out to Joy of Missing Out ! De la peur de manquer à la joie de s’en passer ! Jeanne Susplugas a le goût des formules quand il s’agit de décrire nos dépendances, désordres et addictions en tout genre. «La maison est malade», comme nous tous en ce temps de confinement, incapables que nous sommes d’assumer ce vide abyssal de l’inutile que nous nous sommes construits et qui renvoie à notre incapacité à choisir. Les turpitudes que dénoncent Jeanne n’ont jamais été autant décrites en ce moment. Il était donc indispensable d’aller la consulter ! Peut-être a t-elle un remède miracle…? En quoi ce confinement imposé rejoint-il les enjeux de votre pratique ? Mon travail traite, entre autres, de l’enfermement, de la maison, de l’intime. Cette «assignation à résidence» rejoint donc mes questionnements en ajoutant une strate de lecture à un bon nombre de mes pièces. Ma série Flying house, au delà de la fuite, se change en un réel envol et les objets suspendus apparaissent comme autant de petites béquilles qui nous aident à traverser ce confinement. Mon film There’s no place like home traite du caractère aliénant de la maison. Une jeune femme tourne sur elle-même en répétant inlassablement «there’s no place like home». Qui cherche t-elle à convaincre ? Ce film souligne qu’être bien chez soi ne signifie pas forcément que l’on est bien en soi. Que la maison, si elle est notre refuge, notre coquille, voire notre enveloppe, peut aussi ne pas être bienveillante en devenant un lieu d’enferment, d’étouffement. Les penseurs de l’«habiter» conçoivent des espaces afin de rendre la vie en communauté possible en trouvant comme l’écrit Jean-Marc Besse, «les bonnes distances», pour apporter le maximum de confort nécessaire à leurs occupants, mais aussi pour éviter la fusion qui déchaîne les passions, voire la potentielle violence… Depuis le début du confinement, les violences conjugales ont dramatiquement explosé. Peeping Tom’s House évoque le voyeurisme. Depuis l’extérieur, les visiteur.se.s observent des vidéos à l’intérieur de la maison qui parlent de manière, plus ou moins absurde, de notre intimité. Depuis le début du confinement, j’ai joyeusement découvert mes voisins d’en face. Mais voilà que j’entends avec stupéfaction que l’on bascule dans un monde délétère, que le 17 est saturé d’appels pour dénoncer le non respect des mesures sanitaires. Un comportement qui laisse songeur quand on sait que ces mêmes voisins n’appellent pas pour signaler les violences intrafamiliales. Et là je ne parle pas que de ce moment de confinement. Dans ma série de dessins In my brain, il s’agit aussi d’intérieur. La maison devient boîte crânienne dans laquelle on peut se laisser aller à naviguer. En ce moment, je développe ce voyage à travers nos pensées dans une expérience en réalité virtuelle, I will sleep when I’m dead. Quel impact direct cette crise a sur votre situation ? Mon quotidien n’est pas très différent car j’ai l’habitude de passer beaucoup de temps chez moi à travailler. Une fois la sidération passée, il a fallu faire face à tous les changements à tous les niveaux. Mon exposition personnelle à la galerie Mansart, Déraison du quotidien, a été fermée le lendemain de son ouverture publique, puis mon exposition au Musée du Sart Tilman à Liège annulée, celle au Musée Fabre reportée à l’automne, sans parler des collectives et autres commandes publiques qui sont toutes en suspens…Une bonne nouvelle pour nuancer le tableau, a été la confirmation de l’engagement d’Ardenome à Avignon (lieu d’innovation) sur le projet VR. Même si cette crise va avoir d’énormes répercussions sur le monde de l’art, nous, les artistes, avons l’habitude d’une forme de précarité, de la fragilité, des basculements potentiels, des adaptations nécessaires. J’ose espérer que cette crise ne sera pas vaine et permettra de revenir à l’art en ralentissant une forme de cynisme voire de folie comparables à n’importe quel système spéculatif. De manière générale, on pourrait glisser du FOMO au JOMO (Rires) ! Pensez-vous qu’en matière de solidarité le milieu de l’art pourrait être plus réactif et quelles initiatives seraient utiles aux artistes ? Quelques mesures nationales de soutien ont été mise en place mais elles ne sont pas forcément adaptées. En Allemagne, outre la dotation exceptionnelle du gouvernement, la Ville de Berlin a par exemple rapidement soutenu les artistes en proposant cinq mille euros sur simple demande. Face à l’urgence, on peut saluer des initiatives privées comme celle d’Antoine de Galbert qui s’adresse aux structures et collectifs, celle de Laurent Dumas et Piasa qui a organisé une vente caritative online pour le collectif #ProtegeTonSoignant et plus directement liée aux artistes émergents, celle de Marty de Montereau qui a lancé Smarty’s Arty, une plateforme de vente sans commission (6 % frais gestion). A l’image d’autres pays, le statut des artistes pourrait être amélioré mais pour l’instant nous en sommes malheureusement toujours au stade de la réflexion, ce qui est un tort quand on regarde comparativement le statut de l’intermitence. Comment imaginez-vous le monde d’après ? Personne ne peut savoir comment il sera mais ce qui est sûr c’est qu’on est déjà en train de le dessiner. Beaucoup de questions se posent et c’est à nous tou.te.s d’essayer d’y répondre. Je ne suis pas très optimiste sur la capacité de notre société à radicalement changer mais il y aura, au mieux, des changements individuels. La question de l’écologie se pose très clairement pour le monde et donc pour les artistes qui « produisent » de l’art. Comment faire pour continuer à toujours plus produire dans un monde qui déborde. Nous ne pouvons pas remettre en cause la matérialité de l’œuvre mais nous pouvons, par exemple, questionner les matériaux utilisés, la manière de faire circuler nos œuvres ou encore l’aborder dans notre travail. En filigrane, la question de la surproduction était présente dans La Maison Malade (1999). Aujourd’hui, je l’aborde sous l’angle de la cohabitation incongru d’espèces végétales dans Forêt généalogique, le wall painting que je viens de réaliser à la galerie Mansart et que je devais réaliser au mois de mai au Musée du Sart Tilman. Incongruité qui devient une réalité dans divers endroits du monde. Cette alerte conduira-t-elle selon vous à revoir certains excès ou reprendrons nous vite nos anciennes habitudes ? Cette question de l’excès est fondamentale – comment continuer à avancer, à se frayer un chemin dans ce monde rassasié ? Ces questions se posent à tous les niveaux et le système de l’art, devenu absurde et hors des réalités, n’y échappe pas. On peut s’interroger sur la nécessité des grands rendez-vous de l’art, de leur empreinte carbone, de la spéculation… Je pense qu’il faudrait consulter les artistes qui n’ont pas choisi l’art pour être entraîner dans cette spirale là mais qui en sont parfois les «complices», très souvent non-consentants. Espérons que cette crise nous serve de leçon et enclenche des changements durables. https://www.susplugas.com/ Jeanne Susplugas est représentée par La Patinoire Royale galerie Valérie Bach Bruxelles http://www.prvbgallery.com Favori0
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