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Partager Partager Interview Art ContemporainOtherSide Covid-19 et l’art : Hélène Guenin, Directrice du MAMAC à Nice Marie-Elisabeth De La Fresnaye30 avril 2020 Temps de lecture estimé : 10minsNous poursuivons notre tour des acteurs de l’art brusquement impactés par la crise à Nice, au MAMAC que dirige Hélène Guenin depuis 2016. Elle revient sur l’articulation de son programme en écho aux enjeux environnementaux actuels et les mesures éthiques et responsables qu’elle et son équipe ont prises depuis son arrivée. « Etre lucide est un impératif mais se contenter du constat et s’émouvoir des projections ne permet pas de réfléchir et d’inventer des alternatives. » « Cosmogonies, au gré des éléments » que vous avez imaginé pour le Mamac en 2018 prend une résonnance toute particulière dans le contexte que nous traversons. Les artistes ne sont-ils pas ces veilleurs et sonneurs d’alerte d’un monde à bout de souffle ? Je ne sais pas si le monde est à bout de souffle. Je suis optimiste par exigence et par besoin et je crois que la situation que nous traversons est un signe supplémentaire – si nous voulons bien l’entendre – de la nécessité d’engager d’autres relations au cœur de nos écosystèmes, d’autres récits sociaux et une véritable éthique du quotidien, depuis notre échelle individuelle jusqu’aux systèmes de production. Le « phénomène » Greta Thunberg et l’audience immense qu’elle a obtenue en peu de temps sont les signes d’un nouvel horizon d’attente d’une partie de la population mondiale. Les artistes, tout comme de nombreux penseurs ne cessent depuis des décennies d’attirer notre attention sur les transformations visibles ou invisibles des écosystèmes, sur l’impact et dérégulation provoqués par nos actions. L’exposition « Cosmogonies, au gré des éléments » rassemblait une cinquantaine de ces artistes « vigiles ». Cétait une réponse pacifiée, non moralisatrice, aux multiplications des discours autour de l’Anthropocène et surtout de la vision de la fin d’un monde. Etre lucide est un impératif mais se contenter du constat et s’émouvoir des projections ne permet pas de réfléchir et d’inventer des alternatives. Après avoir organisé début 2016 au Centre Pompidou-Metz une grande exposition mettant en perspective notre fascination pour la catastrophe, depuis la période romantique jusqu’à notre ère post Fukushima et Anthropocène, j’ai éprouvé la nécessité – comme une respiration – de montrer une généalogie d’artistes, qui d’Yves Klein à Thu Van Tran, de Gina Pane et Michelle Stuart à Otobong Nkanga, ont inventé d’autres voies. Ils et elles ont envisagé des relations non prédatrices à la nature, des formes de co-création avec les éléments et des gestes symboliques à dimension poétique et critique. Ils et elles ont inventé un langage, dès l’aube des années 1960, qui peut sembler très humble mais dont la portée m’apparaît très puissante : réciprocité des échanges avec les éléments et recherche de symbiose avec l’environnement, propositions artistiques non invasives et réversibles, gestes compassionnels avec la nature, mise en évidence de géographies de la domination, protocoles de régénération des sols, des eaux, etc. Il serait facile de les cantonner à des positions idéalistes. Ce sont pour moi des gestes allégoriques – qui dans la simplicité et l’évidence de leur apparition – concentrent la complexité du sujet et nous offrent une voie d’accès à des réflexions à une plus grande échelle. Ces artistes nous rappellent aussi à des évidences nécessaires : être à l’écoute du monde, se ré-enraciner dans le réel. Ce sont autant d’approches/alertes que l’on retrouve dans les écrits écoféministes qui entremêlent depuis le début des années 1980 un discours critique sur notre relation prédatrice aux ressources, la nécessité d’inventer des modes de vie autres d’un point de vue social, politique et environnemental. Ces approches me semblent en effet très nécessaires et avoir beaucoup de résonances sensibles aujourd’hui. Les nombreuses stratégies digitales déployées actuellement semblent redonner au musée une place singulière dans la production de contenus, est-ce l’une de vos priorités actuelles ? Comme de nombreux musées, nous travaillons à la mise à disposition de contenus – avec les moyens, notamment techniques, qui sont à notre disposition. Nous élaborons avec la contribution et l’imaginaire des équipes, une diversité d’outils pour amener le musée au cœur des espaces intimes : la collection en ligne, des tutos pour des ateliers en famille, des jeux autour des œuvres pour les petits et les adolescents, des visites filmées des expositions passées et des collections. Cela ne remplace pas l’expérience d’une œuvre, la déambulation dans un espace muséal et surtout l’échange, mais c’est un partage autour de ce qui est un bien commun : une collection publique ; et ce qui est une ouverture essentielle à d’autres regards sur le monde, à des outils sensibles et visuels de réflexion : des démarches d’artistes. Nous contribuons également à la plateforme mise en œuvre par la ville www.cultivez-vous.nice.fr qui donne accès à des films, concerts, opéras, visites filmées d’expositions. Il est certain qu’à l’issue de cette crise sanitaire il faudra prolonger cet aspect et renforcer nos outils et notre offre mais je crois profondément à la communauté particulière que peut créer une visite, un événement ou une rencontre avec un artiste, parmi les œuvres, au cœur du musée. Comment pouvons-nous nous montrer solidaires d’un écosystème très fragilisé et impacté ? En étant plus sobres, et en essayant d’élaborer collectivement de meilleures pratiques. Cela peut s’articuler à plein de niveaux différents. Renoncer à partager avec nos publics le regard d’artistes venus d’autres géographies ne me semble pas une solution satisfaisante – nous ne pouvons aspirer au repli. En revanche les institutions doivent avoir une position raisonnable et éthique à chaque étape de préparation des projets. Depuis une dizaine d’années j’essaye d’avoir une perspective « éco-responsable » sur la conception même des projets qui se manifeste, entre autres, par le réemploi de toutes les scénographies en faisant un travail de transformation ad-minima des espaces d’une exposition à l’autre. C’est à la fois une autodiscipline, un travail d’invention collective avec les équipes pour renouveler l’expérience du visiteur et une contrainte posée aux scénographes, lorsqu’il y en a, dès le lancement du marché public. En 2015, pour le Centre Pompidou-Metz, j’avais travaillé avec les architectes Xavier Wrona et Charles Aubertin pour imaginer et créer une typologie de scénographie durable et sélectionner des matériaux permettant une adaptation maximale sur plusieurs expositions/années, avec un minimum de remplacements de matériaux. Ce sont aussi des obligations faites aux prestataires de faire appel à des filières éco-responsables (papier, encre, chaîne d’impression, peintures) etc. A mon arrivée au MAMAC début 2016, j’ai essayé de travailler à d’autres niveaux : limiter l’impact du transport et le bilan carbone des expositions en réduisant au maximum les provenances géographiques des œuvres empruntées avec pour la majorité des projets une sélection de prêts essentiellement à échelle nationale – ce qui implique un gros travail de recherche si l’on veut garder une cohérence de contenu et un niveau international, et d’accepter parfois de se priver de pièces importantes. Avec l’équipe nous avons également établi une liste interne de matériaux scénographiques (socles, mises à distances, capots plexi, encadrements) existants au musée que nous stockons et reémployons à chaque exposition. Les durées des expositions sont plus longues : 5 à 6 mois au lieu de 3 en moyenne – donc moins de rotation de projets et un travail sur la durée avec les publics. Enfin nous avons opté pour un remplacement progressif des éclairages du musée vers des technologies longue durée. Etc. Il y a évidemment plein d’autres actions pratiques à mener et d’autres institutions fonctionnent déjà avec cette sobriété mais il serait intéressant de réfléchir collectivement à tous les niveaux d’action qui peuvent être les nôtres. J’articule également dans la programmation les enjeux intellectuels et artistiques avec l’impératif écologique, comme cela a été le cas pour l’exposition de Marco Godinho en 2016 et la rétrospective de Gustav Metzger. Remember Nature en 2017. La sélection même des œuvres était fondée sur ce double enjeu de leur engagement écologique et de la potentielle recréation sur place des propositions. Ces expositions ont été quasiment intégralement activées sur place, avec de nombreuses formes performatives et collaboratives menées en partenariat notamment avec des écoles d’art et de design. En 2007, Gustav Metzger avait lancé un tract « R.A.F : Reduce Art Flights » dans le cadre du triple événement biennale de Venise, Skulptur Projekte à Münster et Documenta 12 à Cassel, afin d’appeler les acteurs du monde de l’art à interroger la nécessité de leurs déplacements et à réfléchir à leur responsabilité individuelle. Je crois que le confinement nous apprend à travailler autrement et qu’il sera bon de se rappeler son appel à l’issue de cette crise sanitaire. Quels scénari de reprise possibles imaginez-vous ? Aujourd’hui nous sommes encore dans le règne de l’incertitude et travaillons comme toutes les institutions à plusieurs hypothèses de reprise. L’une des grandes inconnues sera la mobilisation du public. Dans les jours et semaines qui ont suivi les attentats en 2016 à Nice, une foule recueillie s’est pressée au musée. Nous avons ressenti très fortement à ce moment là un besoin de notre public de se reconnecter à la culture, à une histoire, à partager l’univers des artistes et à trouver des formes de réflexion qui sortent de l’actualité. Dans le contexte d’une crise sanitaire et après deux mois de confinement il est difficile de savoir quelles seront les aspirations des gens. Je crois en tous les cas que fondamentalement cette crise révèle une nécessité plus grande que jamais d’échanges, de sens, de contribution partagée avec nos publics et ceux à construire. Pensez-vous qu’en matière de conscience écologique cette crise soit une alerte et entrainera des changements durables dans nos habitudes et comportements pour concevoir et montrer de l’art, le partager et le vivre ? Le confinement d’un tiers à la moitié de l’humanité ; le ralentissement de l’activité industrielle et l’arrêt de la plupart des vols commerciaux, l’usage marginal des voitures notamment, ont en quelques semaines déjà des effets visibles : transparence des eaux de la lagune à Venise, chute significative de la pollution de l’air y compris en Chine, etc. Les scientifiques ont je pense une « opportunité » unique et à une échelle inouïe, de mesurer les effets de ce ralentissement et d’en témoigner à la fin du confinement. A échelle individuelle nous observons très simplement le retour massif des oiseaux dans les villes. Ce sont autant d’outils et d’instruments de plaidoyer pour la suite. Nous sommes encore plus nombreux dans notre quotidien à faire attention à la provenance de ce que nous consommons…. Alors bien sûr, dans le champ de l’art les institutions qui avaient déjà une réflexion « vertueuse » en la matière vont la poursuivre, voire l’accélérer et j’entends de nombreuses choses à cet égard ; d’autres vont l’amorcer car nous éprouvons tous aujourd’hui intimement et dans les projets que nous portons cette interdépendance internationale. Et puis nous testons toutes et tous dans l’urgence, secteur privé et public, d’autres façons de travailler et de conserver le lien avec le public. Gageons que ce moment de prise de conscience très profonde de nos interrelations et de notre interdépendance accélèrera les mutations en cours des musées et réaffirmera nos ancrages dans les territoires. INFORMATIONS PRATIQUES Musée d’Art Moderne et d’Art Contemporain MAMAC 1 Place Yves Klein 06000 Nice http://www.mamac-nice.org A LIRE Rencontre avec Hélène Guenin, directrice du Mamac MAMAC : Sublimes cosmogonies à Nice Favori1
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