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Azimut : Fracture, le coup de gueule de Yann Merlin

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Alors que le Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône inaugurait l’exposition « Azimut, la marche photographique de Tendance Floue », quelques jours avant la fermeture des lieux culturels liée aux mesures sanitaires de la Covid-19, nous avons souhaité donner la parole à Yann Merlin, l’un des photographes invités de ce projet sur l’exploration du territoire. Il cristallise, dans cette lettre ouverte, les dysfonctionnements de tout un secteur, qui mènent à la paupérisation du métier de photographe.

« Si je ne suis pas pour moi qui le sera ? Si je suis seulement pour moi, que suis-je ? Et si pas maintenant, quand ? » Dicton Talmudique, extrait de « La peur de la liberté ». Erich Fromm éditions Parangon 2011.

J’arrête le photojournalisme !

Azimut a débuté en Mars 2017 et le chemin se poursuit encore aujourd’hui.
C’est en Mai de la même année que j’appris la nouvelle : j’allais en faire partie.
En Avril, j’avais publié un dossier dans Mediapart en Une du Journal, republié plusieurs fois pour différents articles  : 18000 signes, onze montages sonores et quelques portraits photographiques, payé par Mediapart 400 euros ;  Cela représentait  une année d’enquête, six semaines sur le bateau SOS Méditerranée, 70 heures de rush sonores et 10 jours de production. Quel salaire ! Il fallait donc que j’en déduise que c’était ce que cela valait.
Surtout, mes 18 000 signes allaient être réécris et signés de mon nom; Tout ça fut publié en une du journal sans autre préavis qu’un appel cinq minutes avant. Les vidéos des montages sonores n’ont pas été référencées à mon nom et sont créditées Mediapart, en tant qu’auteur/journaliste, j’ai eu le sentiment d’être effacé et piétiné. Rien ne justifiait ce type de traitement et surtout j’étais impuissant à faire quoi que ce soit pour changer cette réalité. J’en sortais déprimé, car interroger longuement  des personnes qui souffrent de post-traumatisme est éprouvant. En outre, cela faisait cinq ans que je travaillais sur des sujets difficiles….. Azimut tombait à pic.

Je venais de prendre la décision d’arrêter le photojournalisme et c’était ce qui allait me donner la possibilité de me ressourcer, changer de direction.
Car Azimut, au départ était basé sur deux principes : égalité et liberté, l’édition d’un carnet dans lequel « chacun avait le même espace et toute la liberté d’expression possible ». Il n’y avait pas d’argent certes mais nous étions libres et égaux. Pour ma part, j’espérais que nous ferions aussi fraternité car il me semble que c’est ce ternaire qui fait identité avant tout le reste. Être frères suppose aussi respect et solidarité.

« L’ironie du hasard a fait que la même année, sortaient deux projets qui proposaient d’aller à la rencontre des Français : Le projet Hexagone porté par Y.Morvan et E.Bouvet et celui d’Azimut. Comment expliquer le deux poids deux mesures du ministère de la Culture au sujet d’Hexagone et d’Azimut ? Des dizaines de milliers d’euros pour le premier, regroupant 2 photographes et dix fois moins pour le second, en regroupant 31?, OÙ EST LA COHÉRENCE ? »

Azimut © Yann Merlin

En route pour la liberté !

En septembre, je m’organisais pour être en temps et en heure pour le relais. Durant ce voyage, deux options se présentaient comme des évidences. Je désirais inscrire cette marche dans le passé, le présent et le futur en même temps. Ces deux options, c’était la route des Pyrénées jusqu’à Portbou, en incluant le poète A Machado, mort à Collioure et Walter Benjamin, dont la fuite s’est conclue par un suicide en Espagne,  ou bien, revenir sur les pas de mon prédécesseur qui avait fait l’impasse sur le camp de Rivesaltes, et passer par les châteaux Cathares et les Corbières sauvages. C’est cette option que je choisissais, ma série s’intitulerait « Le chemin c’est le camp » qui s’entend aussi « Le chemin c’est le quand ».
Pouvait-on passer à côté du camp de Rivesaltes sans s’y arrêter ? A cette époque déjà, pour les Migrants ou pour les Roms, le camp était une réalité. En 2015, en Allemagne, quel choc devant l’affectation du camp de Dachau pour l’accueil des migrants. Et puis j’avais entendu tellement d’histoires au sujet des camps de concentration libyens depuis 2013, que cela s’imposait à moi naturellement.

« Malheureusement, au fil du temps, à l’intérieur du groupe, des rapports de dominations se sont installés. Déjà, j’avais remarqué une inégalité de traitement dans la médiatisation de la marche […] il paraissait de plus en plus évident que le cours des choses échappait à notre contrôle individuel et se conjuguait avec l’impératif « Sois positif ». Cet impératif, qui exclut toute forme de désaccord, je ne le supporte plus. »

Je me réjouissais de cette liberté, qui en réalité et comme toujours- je me suis construit avec ça- est inclue dans l’écho du monde sauvage avec lequel je me suis toujours senti en communion, ces éléments végétaux et animaux me transmettent l’essentiel du message que je dois porter. Dans une certaine action, mon travail photographique allait répondre de ce qui m’échappait, s’opérait dans les différents niveaux de mes sens et de mon esprit et je savais, que le moment viendrait de tout rassembler, que dans les images, des réponses surgiraient et combleraient mes incertitudes.
J’avais contacté le poète Charles Pennequin qui comprit immédiatement sans que j’aies à lui expliquer quoi que ce soit. Nous étions aussi sur la même longueur d’ondes. Pendant la durée du trajet, je portai 20 kilos sur le dos et mon matériel photo ; je parcourrai environ 100 km.

Azimut © Yann Merlin

Chaque photographe était annoncé par un portrait réalisé par le marcheur précédent. J’arrivais avant l’heure mais mon prédécesseur avait déjà décampé…. ???
Je ramassais le carnet à son hôtel et je partis dormir à la belle étoile,  établissant une véritable osmose avec tout le vivant ; surtout je voulais m’isoler des discours clos et négatifs, de son amplification aliénante, clivante, de ce qui nous divise au niveau collectif  mais aussi au niveau individuel. La marche est toujours un des éléments moteurs de la réflexion, libérateur.
Paradoxalement, je n’ai pas une mémoire précise de chacun de ces jours qui se ressemblaient. Avons-nous la mémoire ne serait-ce d’un seul jour de notre vie ? Mais des instants comme ce bain à la sortie de Padern avec deux couleuvres vipérine ont marqué ma mémoire, les déflagrations du fusil gros calibre d’un chasseur qui faisaient trembler mon corps tout entier, la présence d’une meute de sanglier au moment où, dans une prairie, un soir de pleine lune, je pensais pouvoir enfin dormir une nuit entière, la montée abrupte vers le château de Peyrepertuse et les oiseaux des buissons, la légèreté des papillons, leurs trajectoires imprévisibles, les cercles et ombres des tipules, ma rencontre avec le peintre Rafael Gray puis avec mon fils et sa femme au hasard d’un égarement, le noir profond rempli d’étoiles, me redonnaient confiance en la vie et en moi-même.

Ayant fait plus jeune l’expérience de la haute montagne, de l’alpinisme, je n’ai pas souffert particulièrement, j’étais simplement heureux de pouvoir encore soutenir le rythme physiquement, car j’en avais douté pendant un certain temps, notamment au fur et à mesure que le jour J se rapprochait. Le jour du relais est très vite arrivé. Après avoir parcouru le camp de Rivesaltes, en dehors de ce qui fait frontière avec le Mémorial, force de l’architecture que je n’aime pas, je me souviens avoir pensé à tous ceux qui étaient passés par là.
C’est à eux que je dédie ces fragments de mémoires recouvert par une nature qui se veut rassurante, qui embrasse les ruines et qui cherche par la séduction, à leurrer notre propre conscience, quitte à produire la fausse idée, que plus jamais personne ne vivra ça.

Enfin, je me suis étendu dans ce camp qu’on pourrait prendre pour autre chose que ce qu’il fut,  puis après un dernier déclenchement, je m’allongeai pour tomber dans le sommeil et le rêve. Quand le téléphone a sonné, c’était Gabrielle (ndlr : Duplantier) qui venait d’arriver. La rencontrer, ça tombait bien car j’avais beaucoup apprécié son travail clair-obscur, ses aller-retours dans le  noir et le blanc, son regard anachronique du présent. Bref, je me réveillai et je pris le bus qui me transporta jusqu’à la gare où elle m’avait donné rendez-vous. Je partais le lendemain matin, une page venait de se tourner, j’étais dans un entre-deux, ça allait passer.

Azimut © Yann Merlin

Le retour dans ce Paris, que je ne reconnais plus depuis un certain temps déjà, qui présente les stigmates d’une politique « anti-sociale » d’une brutalité inouïe (où la liberté de photographier devient de plus en plus conditionnée d’ailleurs) , où cohabitent l’opulence et l’extrême pauvreté, où les mouvements des uns se déroulent avec une indifférence assumée vis-à-vis des autres qui tendent le bras, était pénible. Ce fut un choc donc comme à chaque retour de voyage et j’y étais préparé. J’ai développé les images. Inconsciemment puis consciemment le montage s’est imposé. Me manquait que le dernier invité : Paul Draule (Eluard en inversé) et son poème Sécurité qui s’inspirait des images poétiques ou pseudo documentaires, une dose de fiction, car ce personnage fictif c’était moi. Un œil sur les photographies, j’écrivais le cri intérieur qui dénonçait le paradoxe sécuritaire qui exprime le rejet de notre identité fondamentale et c’était enfin terminé.

« Aucun contrat n’a été signé entre toutes les parties.  C’est durant le vernissage de la signature des carnets que j’ai appris, par exemple, que je cédais mes droits pour sept tirages de tête qui ont été vendus. Et puis il y avait deux autres projets : un livre et une exposition, et pas un sou pour nous auteurs, ce qui semble incroyable au vu de la loi Lang. Moi, je n’ai rien perçu en termes de droits de reproduction pour le livre, merci Textuel et aucun droit d’accrochage. Zéro argent, pas même le défraiement de 500 € prévu pour chaque marcheur.»

Azimut © Yann Merlin

Entrer en résistance

Azimut suivait son cours et vint la réalisation du carnet. Je réussis à imposer le montage qui me paraissait cohérent. Ce ne fut pas simple car je sentais qu’il y avait une résistance à la nature du propos chez certains de mes interlocuteurs. Je savais que rien n’était encore acquis, le reproche qui ressortait, qui était irrecevable pour moi, c’était qu’il y avait une direction artistique et qu’elle n’était pas là pour faire de la figuration : il fallait leur donner le choix de l’editing à partir d’une sélection d’images, ce qui revenait à m’imposer un choix. Je répondais que le deal c’était que chacun avait sa liberté et sa singularité et que c’était ce qui avait conditionné mon accord.
Malheureusement, au fil du temps, à l’intérieur du groupe, des rapports de dominations se sont installés.
Déjà, j’avais remarqué une inégalité de traitement dans la médiatisation de la marche, presque tout s’organisait autour des éléments Tendance Floue ou autour des invités « V.I.P » . Par exemple, le monde.fr avait suivi les premiers carnets et puis la médiatisation s’était brusquement arrêtée. Dernièrement, ce fut la même chose avec Arte au Musée Nièpce, Il était question que l’on soit interviewé.
En outre, il y avait le devoir d’être satisfait des événements qui allaient se produire même si, il paraissait de plus en plus évident que le cours des choses échappait à notre contrôle individuel et se conjuguait avec l’impératif « Sois positif ».
Cet impératif, qui exclut toute forme de désaccord, je ne le supporte plus. Pour moi, c’est un des éléments du triptyque néolibéral qui fonctionne avec le « there is no alternative » (il n y a pas de changement possible dans le domaine économique) et le « c’est la fin de l’histoire » (il n’y a pas de changement politique possible), partout, le même ordre : Sois positif et ferme ta gueule !

Azimut © Yann Merlin

« Les expositions, le livre, impliquant le quadrilatère, les éditions textuel, le Musée Niepce ont tantôt respecté, tantôt « réinterprété » mon travail. […] Dans le livre publié aux éditions Textuel et dans l’exposition du Musée Niépce tout devient incohérent et illisible. Ce n’est plus moi mais un autre qui expose des photographies que j’ai réalisées.  Là, mon travail est piétiné.»

Aucun contrat n’a été signé entre toutes les parties.  C’est durant le vernissage de la signature des carnets que j’ai appris, par exemple, que je cédais mes droits pour sept tirages de tête qui ont été vendus. Et puis il y avait deux autres projets : un livre et une exposition, et pas un sou pour nous auteurs, ce qui semble incroyable au vu de la loi Lang. Moi, je n’ai rien perçu en termes de droits de reproduction pour le livre, merci Textuel et aucun droit d’accrochage. Zéro argent, pas même le défraiement de 500 € prévu pour chaque marcheur.

C’est là que progressivement des négociations avec les éléments du collectif qui représentaient le projet, ont eu lieu sans aucune consultation globale. TF ne nous a pas impliqué plus que cela dans les négociations en cours. Ce qui pouvait s’entendre, mais je considère aujourd’hui que mon travail n’a pas été représenté correctement. Les expositions, le livre, impliquant le quadrilatère, les éditions textuel, le Musée Niépce ont tantôt respecté, tantôt « réinterprété » mon travail. Dans l’édition des carnets (auto-édition Tendance Floue) et l’exposition des Photaumnales, celui-ci a été respecté mais j’estime que ce n’est pas le cas du livre publié aux éditions Textuel ni de l’exposition du Musée Niépce où tout devient incohérent et illisible. Ce n’est plus moi mais un autre qui expose des photographies que j’ai réalisées . Le Texte de Charles Pennequin par exemple, se trouve illisible dans l’exposition de Chalon, parce que positionné trop près du sol, dans un lettrage trop petit. Le titre de ma série Le Chemin c’est le Camp a disparu des murs de l’expo, le poème Sécurité également, le montage des 5 images n’est pas cohérent, je n’ai pas pu en décider comme dans le livre où a disparu le poème de Pennequin (une page blanche en place), mon poème n’est pas signé – Paul Draule, anagramme d’ÉLUARD et pour lequel je n’ai pas eu le choix des images. Héloïse Conesa n’a rien à dire sur mes images mais elle se permet d’interpréter mon intention d’une façon qui m’a beaucoup amusé.

Là, mon travail est piétiné.

Pourtant, c’était la première fois que Tendance Floue ouvrait la porte aux Autres (les photographes invités) et si ce n’était pas pour y introduire de la différence, c’était pour quoi ? Il fallait donc l’assumer. En outre, je pense que dans l’ensemble, ce mélange a pu produire « chalenge », y compris à l’intérieur du groupe, une dynamique intéressante qui pousse au dépassement et qui se retrouve dans la singularité de la production.

Azimut © Yann Merlin

Et puis, il y a l’aspect économique. Et là les choses deviennent vite assez floues. Je veux dire qu’il apparait que des structures institutionnelles ou des sociétés, s’emparent ici de quelque chose qu’ils n’ont pas produit, en toute illégalité donc (aucun contrat de cessions de droits) sans aucune contrepartie pour les auteurs et ÇA C’EST GRAVE ET LE PLUS CONSÉQUENT POUR TOUS.

De temps à autre, apparaissent des tribunes de photographes qui dénoncent nos conditions économiques qui sont catastrophiques mais il n’est jamais dit que ceux qui vivent le mieux de la photographie sont ceux qui s’en occupent, au détriment de ceux qui la font. Mais comment dénoncer en restant consensuel ?

L’ironie du hasard a fait que la même année, sortaient deux projets qui proposaient d’aller à la rencontre des Français : Le projet Hexagone porté par Y.Morvan et E.Bouvet et celui d’Azimut. Comment expliquer le deux poids deux mesures du ministère de la Culture au sujet d’Hexagone et d’Azimut ? Des dizaines de milliers d’euros pour le premier, regroupant 2 photographes et dix fois moins pour le second, en regroupant 31? OÙ EST LA COHÉRENCE ? trop souvent cela apparait comme des tractations de couloir, des rapports d’influences, sans transparence, sans débat public….On peut s’interroger sur les critères d’attributions de ces subventions en rapport des fantasmes et projets, alors que s’égrainait cette marche comme une Aventure des plus impliquantes et qu’au fil des jours, cela se construisait comme une Aventure sans précédent des territoires, citant les missions telles que celles de la DATAR?

Et c’est là que je reviens sur si y a pas de fric, si y a la liberté et l’amour ça sauve tout… en l’occurrence il me semble que ces deux là ont été trahies aussi…à travers les suites du livre et de l’exposition à Chalon.
Comme d’habitude, « il va de soi » qu’il n’y a pas d’argent pour ce qu’Annie Lebrun, survivante du surréalisme, dans son dernier essai paru en 2018, appelle « ce qui n’a pas de prix », c’est-à-dire la Beauté, « qui dénonce les séductions du totalitarisme marchant, marchandisation du monde et d’une grande part de l’Art contemporain, qui nous fait assister à cette grandiose transmutation de l’Art en marchandise et de la marchandise en Art. »
REVENONS SUR UN FONCTIONNEMENT EN COURS, EN QUOI PORTE T-IL LA MARQUE DE CE COUPLE INFERNAL : SADISME-MASOCHISME ?

Azimut © Yann Merlin

« Azimut tel que je l’ai vécu, a connu de multiples rebondissements qui ont peut-être pesé sur l’orientation du projet mais là encore, comme ailleurs, c’est l’amour qui a été sacrifié au nom d’une hypothétique raison économique dont, à priori, les auteurs ne verront pas la couleur, scandaleux, intolérable.»

Dans l’univers photographie, chacun y va de son interprétation et, içi, l’essence de la spontanéité, l’esprit de la création, de ce qui été vécu, est enfermé dans un discours égocentré sur son propre univers et formaté. Le dialogue entre l’œuvre, collective içi, et le spectateur se trouve doublement limitée par l’interprétation « savante » et la réécriture des  propositions qui ont échappé à leur auteur, dans une forme de détournement.

A Châlon, au Musée Nièpce, le choix des agrandissements, c’est-à-dire la recherche d’une proposition spectaculaire éclate l’esprit égalitaire de départ et détourne l’esprit de la démarche qui prenait sa source dans Amour, Partage et Manifeste pour une photographie dégagée des contraintes : l’idée d’un relais international a même été envisagée en cours de route, trop utopique peut-être.

Les commissaires, l’éditeur avec la complicité de ceux qui portent le projet pour les autres, se sont octroiés des pouvoirs : ils sélectionnent et font des choix qui ne sont pas discutés et si jamais , comme ce fut mon cas, vous émettez des objections, vous êtes face à un déni ( « nous avons respecté l’égalité qui était contenue dans le projet », Anne Céline Borey, février 2020) ou bien vous n’êtes plus un Autre mais l’autre qui « chie dans les bottes » et « devrait plutôt se contenter d’en faire partie au lieu de critiquer » Grégoire Eloy, oct 2020.

Certes, rien n’est jamais parfait mais il n’y a pas de dogme qui nous impose le masochisme, où sont passés la générosité et l’esprit de départ du projet AZIMUT, aujourd’hui dans ses traitements et leurs conséquences ?
Le plaisir d’en faire partie, d’exposer est bien entendu hyper important puisqu’il s’avère que ce soit en l’occurrence le seul salaire possible, dans cette économie, mais si le respect du travail, de l’œuvre, de la personne et de ses choix artistiques ne le sont plus ex abrupto, sont soumis de fait à une prise de pouvoir autoritaire et scandaleusement illégale (du point de vue du CPI), c’est là que le bats blesse..  donc, spoliation des auteurs, pressions psychologiques, désignation comme le mauvais autre articulent de fait cette marchandisation…  ce qui devient INTOLÉRABLE…..

SUITE DU DÉPEÇAGE : Azimut suit son cours. La prochaine étape se déroulera sous le contrôle d’«Art et territoires » pour prendre la forme d’une proposition excentrique d’expositions à la découpe et à moindre coûts.  Une option qui séduira peut-être certains mais qui va  encore plus loin dans la déconstruction du propos de départ en proposant des Packs en libre-service pour les collectivités qui ont été traversées par les « marcheurs ». Ces collectivités seront libres d’exposer ce qu’elles veulent prévient Marie Xapska, l’initiatrice du projet, ce qui revient à ouvrir la porte à de nouvelles perspectives inégalitaires : qui va conseiller les collectivités ?

Azimut tel que je l’ai vécu, a connu de multiples rebondissements qui ont peut-être pesé sur l’orientation du projet mais là encore, comme ailleurs, c’est l’amour qui a été sacrifié au nom d’une hypothétique raison économique dont, à priori, les auteurs ne verront pas la couleur, scandaleux, intolérable.
La réalité factuelle que j’exprime contient un caractère systémique qui n’a rien à voir avec le collectif Tendance Floue exclusivement mais plutôt avec cette tendance générale de toute la société aux rapports sado masochistes. Je pense que E.Todd, dans son dernier livre, a raison de voir le sadisme comme un « ruissèlement » qui fonctionne du haut vers le bas, mais il oublie le masochisme (ce n’est pas évident pour nous de se reconnaitre comme tel), or le masochisme c’est le terrain psychologique dont le fascisme a besoin pour s’imposer et réussir à faire accepter par les dominés leurs conditions d’oppressions… Il y a une jouissance mortifère à se faire dominer, cf Sade, Pasolini…

L’exprimer c’est juste le sortir de moi-même, c’est-à-dire que j’écris tout cela sans la moindre haine. Je prétends que ce basculement n’aurait pas pu se produire et que ce genre de transformations ne peut pas se réaliser sans, soit une forme d’inconscience et de fuite en avant dans la pratique d’accords économiques déprimants pour les auteurs, quitte à parler d’investissements pour récupérer une future mission ministérielle, soit assez conscients pour se situer irrémédiablement dans le camp des oppresseurs.
En conclusion, si je pointe aujourd’hui ces dysfonctionnements et d’une certaine façon une gestion catastrophique pour les auteurs de leurs droits de reproduction, c’est qu’une forme de  corruption de l’esprit égalitaire, libertaire du départ s’est transformé au final dans une dérive et des pratiques de domination néo-libérales, sado masochistes….et qu’en plus de liberté et d’égalité, pour moi, dans l’évolution du projet et en général, il a manqué fraternité.

Nous vivons dans un monde qui ne peut pas se passer de photographies. La photographie n’est donc pas facultative mais indispensable. Il est donc normal qu’un auteur en vive, que son travail et son propos soient respectés.
« Pouvoir, c’est faculté de faire ou domination » nous dit Fromm dans « Peur de la liberté ». C’est de cette domination dont nous devons ne plus avoir peur pour tous nous libérer.

Suite à l’entretien que notre critique Pascal Therme a réalisé avec le photographe Yann Merlin, il nous a paru important de partager cette lettre, qui est à l’image de ce qui se passe partout en photographie. Des projets, des partenaires, des financiers, une économie – souvent importante – véhiculée grâce aux travaux des auteurs, et bien souvent dans les projets, le revenu du photographe se réduit à peau de chagrin.
Il est essentiel de rappeler que le chiffre d’affaire des arts visuels se positionne très très loin, dans le secteur culturel, devant la musique ou le cinéma par exemple [Selon l’ADAGP pour 2018, le CA des arts visuels est de 23,4 Millions d’euros]. Malgré cela, les artistes et les photographes sont dans une situation alarmante, dénoncée dans le cadre du rapport Racine dévoilé en décembre dernier.

ARencontre avec Bertrand Meunier (publié le 3/11/20)
ZInterview des commissaires de l’exposition Anne-Céline Borey et Sylvain Besson (publié le 4/11/20)
IRencontre avec Rencontre avec Léa Habourdin et Marine Lanier (publié le 5/11/20)
MRencontre avec Guillaume Chauvin, Yann Merlin et Yohanne Lamoulère (publié le 6/11/20)
URencontre avec Clémentine Semeria, chargée de projet du collectif (publié le 9/11/20)
TAzimut, le livre aux éditions Textuel (publié le 11/11/20)

INFORMATIONS PRATIQUES

sam24oct(oct 24)9 h 30 min2021mer15sep(sep 15)17 h 45 minAzimut, Une marche photographique du collectif Tendance FloueMusée Nicéphore Niépce, 28 quai des messageries 71100 Chalon-sur-Saône