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Jocelyn Wolff : « Il ne faut pas que les réflexions menées dans une période exceptionnelle, nous éloignent de ce qui fait le cœur de notre métier »

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Il neige en ce samedi de janvier et il faut une certaine motivation pour aller à Romainville-Komunuma ! Une fois arrivés, l’accueil de chaque galeriste et la qualité des propositions dépassent largement nos attentes. Un seul absent de cette programmation, Fiminco. Jocelyn Wolff consacre une exposition majeure à l’artiste argentin Santiago de Paoli entre « réalisme magique, Morandi et surréalisme », selon ses propos et a aménagé les espaces supérieurs de sa galerie afin de pouvoir offrir une expérience de visite élargie à ses collectionneurs et amateurs (show room).

Si l’on fait abstraction des problèmes rencontrés avec la Fondation Fiminco, l’expérience Komunuma fonctionne de par la dynamique du groupe et l’engagement de chacun avec un public présent. Jocelyn Wolff revient sur son bilan de la période sans fard ni langue de bois et nous dresse ses envies et projections pour le futur avec clairvoyance et détermination. Je l’avais interviewé depuis son domicile pendant le premier confinement en avril dernier (relire).

Vue de l’exposition – Santiago de Paoli

Komunuma, quel bilan ?

Les gens ont pris l’habitude de venir notamment les dimanches lors de nos vernissages conjoints. Je ne fais plus la différence désormais entre Paris et sa proche couronne, étant reliés à une ligne de métro et avec le phénomène des VTC. Alors que la Fondation Fiminco aurait dû être un moteur sur le campus, ce n’est pas le cas. Ils n’ont pas prévu de signalétique, ni de réelle programmation, d’espace de restauration et d’accueil en tant que tel. Mais l’énergie des galeries, la présence de Jeune Création, de Laurel Parker Book et bientôt du Frac sont des éléments très concluants. Je continue de croire au projet dont je vois le potentiel.

Vue de l’exposition – Santiago de Paoli

Et Belleville ?

J’ai toujours un local que je paie mais je ne programme plus là-bas. L’espace est devenu trop petit et en plus trop risqué en terme de distanciation. Si je retourne dans le centre de Paris, ce sera dans un espace plus complémentaire avec Romainville. J’ai plusieurs projets et scénarios en cours sur lesquels je préfère ne pas communiquer pour l’instant. J’ai d’autres désirs qui ne sont pas forcément de regarder dans le rétroviseur.

Retour sur cette crise et la période

Nous avons réussi à faire une relativement bonne année 2020. Nous sommes à l’équilibre et je reste optimiste sur l’avenir du site Komunuma. Nous avons plutôt moins travaillé avec les institutions que d’habitude et notamment pour les musées américains avec lesquels tout a été annulé. C’est avec les institutions françaises que nous avons poursuivi.

De plus, nous avons beaucoup de dépenses en moins liées aux voyages et aux foires. Nous dépensons 500 000 € de foires tous les ans et une foire comme Hong Kong représente un budget de 100 000 euros à chaque fois, de même que la FIAC et Bâle. Le marché français n’a pas été un réel soutien. Nous avons vécu en quelque sorte sur des investissements passés. Même si nous avons un marché pour chaque artiste, il reste toujours international. Nous avons recommencé à travailler avec l’Asie et nous avons embauché une personne pour s’occuper de cette zone exclusivement.

Santiago de Paoli, First Meeting 2020 courtesy the artist/galerie Jocelyn Wolff photo François Doury

Les outils numériques pendant cette période

Aujourd’hui nous sommes dans une période où quand une galerie vous sollicite en tant que collectionneur cela vous irrite ;  il faut donc, au contraire, rester assez distants pour recréer du désir. Les ventes que nous avons pu réaliser ont répondu à des sollicitations que nous avions paradoxalement moins les années précédentes car nous étions nous-mêmes plus proactifs.  C’est assez curieux à expliquer et chaque galerie peut avoir un retour d’expérience différent sur ce point.

Il y a peut-être certaines catégories d’oeuvres qui vont se vendre plus sur internet que d’autres mais je pense qu’il reste des domaines où l’acte d’acheter est lié au plaisir et ce plaisir est plus complexe que l’acte d’achat qui serait simplifié et optimisé à outrance par un algorithme ou une chaine logistique automatisée. Je ne le dis pas en résistance à la technique : simplement, tous nos actes d’achat ne sont pas de même nature ;  les galeries sont plus proches de l’épicerie fine que de Woolmart !

En ce qui concerne la Fiac en ligne par exemple je n’ai pas de problème pour essayer et développer de l’expérience mais ce qui se passe sur Internet pendant la période Covid ne m’intéresse pas plus que cela. Même si maintenant nous voyons la lumière au bout du tunnel plus en 2022 qu’à l’été 2021, cette  prise de conscience de 6 mois de plus dans l’inconnu est douloureuse. Cependant, ramenée à l’ensemble de mon parcours professionnel, elle reste somme toute relative.  Cette année nous a permis effectivement d’avancer dans nos raisonnements, de réfléchir à nos stratégies numériques. Ceci dit, il ne faut pas que cette réflexion menée dans une période exceptionnelle nous éloigne de ce qui fait le cœur de notre métier qui est d’accompagner des artistes et des passionnés de l’art.

Santiago de Paoli, Yellow Light 2020 courtesy the artist/Galerie Jocelyn Wolff photo François Doury

Je me suis retiré pour le moment de toutes ces plateformes qui conditionnent complètement nos réactions. Elles concernent surtout deux catégories de gens : ceux qui ont déjà une idée claire de ce qu’ils cherchent, et ceux qui veulent juste décorer avec une image pour mettre au mur qu’ils appellent œuvre d’art dans cette confusion que quelque chose que l’on met au mur est forcément une œuvre, ce dont je ne suis pas sûr ;  heureusement c’est plus compliqué que cela. Nous avons toujours utilisé les outils numériques et pendant cette période et il nous a semblé intéressant de développer d’autres types de support comme à l’occasion de cette exposition, le podcast (avec Clara Schulmann). C’est la solution idéale, même si elle demande beaucoup d’implication, pour réussir à créer un désir d’image ou un complément d’information pour ceux qui l’ont déjà vu l’exposition. La voix a ceci d’intéressant dans un moment où l’on se trouve saturés d’images qu’elle offre une parenthèse et d’autres formes de pensée.

Santiago de Paoli, Morning Flowers 2020 courtesy the artist/galerie Jocelyn Wolff photo François Doury

Le showroom : une collection idéale ?

Ce n’est pas une exposition  mais une sorte de composition idéale avec des œuvres historiques soigneusement sélectionnées d’artistes tels que Colette Brunschwig, Katinka Bock, Francisco Tropa ou Miriam Cahn. J’ai besoin de faire des expositions en permanence, de travailler les accrochages, de faire des essais, de confronter les œuvres les unes aux autres. C’est un exercice auquel je me livre depuis plusieurs années et j’espère en faire ressortir des expositions, des projets ou des stands de foire qui pourront intéresser d’autres personnes que moi. Le second marché est représenté par une pièce unique et exceptionnelle, celle de Dieter Roth.

Vos projets et projections

Je souhaite développer de plus en plus la ligne art moderne, à partir de mon intérêt un peu fou et passionné pour l’œuvre de Marcelle Cahn.  C’est une artiste qui me préoccupe en permanence. Cette femme me touche dans sa liberté et le dépouillement de son travail. Il y a d’autres artistes modernes qui me semblent très intéressants et un peu négligés, preuve qu’aucune époque n’est intouchable en termes de marché ;  je vis au quotidien au milieu des œuvres et collectionne depuis des années. La Fresnaye est un artiste qui m’interpelle aussi !

Infos pratiques :
Santiago de Paoli
A leaf in the wind
En écoute via le Podcast
Showroom : Katinka Bock, Miriam Cahn, Colette Brunschwig, Diego Bianchi, Dieter Roth, Francisco Tropa, Harald Klingelhöller, Prinz Gholam, Elodie Seguin.
Horaires : mardi-samedi 11h-19h
Galerie Wolff | Home

A voir également lors de votre visite :
In Situ – Fabienne Leclerc, Renaud Auguste-Dormeuil Lorsque viendra le printemps
Galerie Sator, Gabriel Leger Deep Time
Air de Paris, Jean-Luc Verna «Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? – Non»
Accès :
43 rue de la Commune de Paris, Romainville
Métro ligne 5 : Bobigny-Pantin-Raymond Queneau
Station Vélib : Gaston Roussel-Commune de Paris
http://www.komunuma.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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