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Nouvelle carte blanche pour nos deux invités de la semaine, les deux fondateurs de la revue Epic, Jean-Matthieu Gautier et Ambroise Touvet. Aujourd’hui, ils abordent avec nous la question du temps. Celui nécessaire pour construire son sujet, pour le penser et le réaliser. Le même temps nécessaire pour l’offrir au public. Avec l’arrivée du numérique, la temporalité s’est réduite drastiquement. Aujourd’hui tout doit aller vite, l’information doit être instantanée. Aussitôt livrée, tout aussi vite digérée et oubliée… C’est dans cette course folle que nous sommes embarqués sans même le vouloir. EPIC se revendique être un “média lent” qui se consacre aux reportages au long court…

A class for auto mechanic at the CFIAM all-female school in Ouagadougou. Courses range from car electrics, coach-building, technology, electronics, French and mathematics. The precariousness of young women is extreme in Burkina Faso, with a 53% rate of unemployment. Non-traditional and non-gendered professions have lately emerged to facilitate a socio-economic reintegration of disadvantaged women. Revue EPIC Vol.2 © Caimi & Piccinni

La dictature du tic-tac, c’est celle du temps qui court et qu’on aimerait ralentir, voire figer. Éternel débat philosophique dont tous les promoteurs patentés ou non, se révèlent souvent incapables d’appliquer à la lettre les préceptes. Je me souviens, quand j’ai démarré la photographie. Il y avait eu la période argentique où il fallait économiser chaque vue. Puis le numérique, une montée en gamme, l’excitation autour de la bécane en tant qu’objet qui fascine et aveugle. Très vite, la course au matériel, petite maladie bénigne dont ont peut vite (sic) guérir – notamment en plaçant son budget dans des livres (ou des revues, à vous de choisir). Dans la foulée, la découverte un brin grisante, ludique et peut-être puérile du mode rafale de l’appareil photo. Un jour, en grandissant dans sa pratique on s’en défait, on apprend à cadrer, anticiper, choisir l’instant, celui que l’on dit décisif car non seulement il procède d’une décision, instinctive sans doute, parfois de pure réflexe (mais les réflexes s’affutent et s’acquièrent avec le temps), mais aussi parce qu’il est le moment clé, celui qui résume l’histoire, celui qu’il fallait… figer dans le temps ! Passons. Tout photographe a fait l’expérience de cet affranchissement de la dictature du clic. Cela procède parfois – c’est mon cas – d’une certaine flemmardise à devoir trier les images de la rafale, avant de devenir une réflexion plus poussée où il apparait simplement que déclencher c’est choisir, c’est à dire être libre, mais également prévoir, c’est-à-dire maîtriser le temps, celui dont on ne dispose pas – croît-on. Et quelle plus grande liberté que la maîtrise du temps et celle d’accepter qu’on ne doit pas tout figer en mode rafale ?

Revue EPIC Vol.2 © Pierre Belhassen

La presse des réseaux sociaux et de l’immédiateté vit la même petite révolution intérieure et on pourrait dire bien des choses sur son histoire. Par exemple : en 1961 Pierre Lazareff, le grand homme de feu France Soir, constate que radio et télévision ont totalement bouleversé les rapports qu’entretiennent ses contemporains avec l’information.. « Il y a vingt-cinq ans, disait-il, quand survenait un événement, on sortait de chez soi pour savoir {aller au kiosque}. Désormais on a hâte de rentrer {allumer le poste de télévision ou la radio} ». Que dirait-il aujourd’hui, quand le moindre drame nous amène à nous précipiter sur Twitter où l’émotion prend le pas sur tout – y compris donc sur notre liberté de choix ?
Il est urgent de prendre son temps bien sûr, la tendance des « médias lents », née dans les années 2000 va dans ce sens – manière d’opposition à l’immédiateté des médias en ligne, plus ou moins « pute-à-clics », elle concerne aussi désormais bon nombre de médias en ligne, qui veulent eux aussi s’inscrire dans cette tendance du pas de côté. En Allemagne, un groupe d’activiste avait même rédigé un manifeste (http://owni.fr/2010/08/04/le-manifeste-des-slow-media-traduction-fr/index.html) pour promouvoir ces médias lents et dresser la liste des règles qui peuvent les régir. En photographie, cela pourrait être une question d’éthique. Ainsi, la photographie documentaire (qui n’a pas attendu les années 2000 pour voir le jour), se distingue du photojournalisme en ce qu’elle s’intéresse à des histoires fouillées, réalisées sur un temps long, quand le photojournalisme a d’avantage pour objet d’illustrer l’actualité. Les frontières entre les deux demeurent mince et on ne compte pas les photojournalistes qui alternent histoires au long court et images d’actualités réalisées notamment dans le cadre de commandes.

Revue EPIC Vol.2 © Pierre Belhassen

Tout cela ne signifie évidemment pas que l’actualité n’a pas droit au temps long, elle peut être traitée comme telle dans une perspective visant à prendre du recul. L’un des destins de biens des actualités n’est-il pas qu’elles deviennent un jour des faits historiques ? D’une manière beaucoup plus générale, la photographie demeure aujourd’hui une valeur par sa nature documentaire, donc de document. Sur ce mot, le Robert est explicite : « Document ; nom masculin. Écrit servant de preuve ou de renseignement. L’histoire est fondée sur des documents ».
revue EPIC fait ainsi le choix de privilégier des sujets réalisés sur le temps long et – en toute logique marqués par un recul certain quant aux actualités qu’ils peuvent incarner.

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La Rédaction
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