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Déconstruction des représentations
Rencontre avec l’artiste Émeric Lhuisset

Temps de lecture estimé : 5mins

La Sorbonne Gallery vient de réouvrir son espace d’exposition avec le projet Chebab d’Émeric Lhuisset. Un travail artistique qui nous présente, le temps de 24 heures, la journée de la vie d’un combattant rebelle en Syrie. Comme dans bon nombre de ses séries, Émeric Lhuisset choisi de déconstruire les représentations, ici il est question de la vision que l’on se fait de la guerre, en nous montrant une réalité brute et sans filtre. À l’occasion de cette exposition, nous avons rencontré son auteur pour qu’il nous présente ce projet pluriel : Chebab.

En 2012, Émeric Lhuisset se rend en Syrie, soit quelques mois après le début du conflit armé. Pour ce projet qu’il intitule « Chebab » (jeunesse), il décide de placer une caméra sur un combattant rebelle de la province d’Alep et d’Idlib pour suivre une journée de sa vie. Ce plan séquence de 24 heures prend également vie dans une série de 1440 photographies, réalisées à partir de ce film.

Projet Chebab

Le Projet Chebab était de filmer pendant 24 heures la vie d’un combattant rebelle en Syrie. Il y a deux versions : la première est la version vidéo en temps réel, avec un plan séquence de 24 heures, et la seconde est une version sous forme de photographies où j’ai fait une capture d’écran de chaque minute de ces 24 heures. Il y a donc en tout 1440 images.
Il faut savoir que dans ce projet, ce n’est pas moi qui ai filmé, j’ai fixé la caméra sur le torse du combattant, j’avais dans l’idée de questionner l’identité de ceux qui produisent l’image de guerre aujourd’hui. Ce n’est plus que le fait des photoreporters, la majorité des images aujourd’hui sont réalisées par les combattants eux-même avec leur smartphone avant d’être diffusées puis reprises dans les médias.

Créer un contenu photographique à partir d’un séquence vidéo 

J’avais besoin de rendre ce projet plus accessible, car un film de 24 heures est difficile à montrer et surtout de le présenter à un public large. J’ai donc réalisé des captures d’écran de ce film. Avec ce nouveau contenu, j’ai souhaité publier ces images sur Instagram, pour toucher le grand public. Chaque jour, je postais une photographie. Cela pose question sur la notion d’instant décisif dans le photojournalisme. Que devient ce principe essentiel dans ce métier ? Dans la mesure où, aujourd’hui, les caméras vidéo ont une résolution de plus en plus importante où le 4k est quasiment devenu un standard. À quoi cela sert-il d’essayer de capturer l’instant décisif en photographie, alors qu’il pourrait suffire de filmer avec une caméra haute définition et ensuite faire une capture d’écran pour s’assurer de ne rien rater !

Déconstruire les représentations, un fil conducteur dans vos travaux 

Dans mon travail, la déconstruction de représentation est importante, évidemment dans ce projet-ci, il en est évidemment question. Lorsque l’on filme la vie d’un combattant durant 24 heures, on participe à modifier l’image que l’on peut avoir de la guerre. Quand on regarde dans les médias, les représentations de la guerre sont essentiellement tournées sur l’événement : on va voir des tirs, des explosions, des cadavres… Il y a également la fiction, avec le cinéma ou même les jeux vidéos où là encore c’est sans cesse dans l’action. C’est là aussi où on s’aperçoit que la guerre est très présente dans nos sociétés, mais elle est surtout extrêmement fantasmée, et ce qui m’a intéressé dans ce projet, c’était de montrer la réalité de la guerre la plus brute possible. Et quand je parle de plus brut, ce n’est pas la plus brutale, c’est la plus proche de ce qu’est la réalité de la guerre.
Quand on regarde ce projet, il est très chiant en fait. On voit le combattant, qui fait son lit, qui fait sa vaisselle, qui se parfume, qui s’amuse avec ses potes, qui regarde un sitcom égyptien à la TV, ou encore un match de foot, ou encore il va faire un tour en mobylette, nettoie son arme… Donc on a la réalité d’un quotidien malgré tout assez ennuyeux de la guerre basé essentiellement sur l’attente. Bien qu’il y ait une tension permanente parce qu’on ne sait jamais si on sera vivant à la fin de la journée, surtout avec un groupe de guérilla, à tout moment il peut y avoir un avion de chasse qui largue une bombe et tout le monde est mort, ou alors on traverse la mauvaise rue et on se fait tirer dessus par un sniper. Mais c’est avant tout de l’attente.
Dans ce quotidien, on l’a voit très bien cette attente.

Lorsque j’ai mis ce projet sur Instagram, c’est passionnant de se rendre compte du contraste entre le contenu posté par les gens sur ce réseau social qui postent des images sublimées et extraordinaires d’un moment de vie assez classique face à ce quotidien peu ordinaire avec des scènes très banales.
Le contraste est intéressant.
Là encore on déconstruit toutes les représentations que l’on peut avoir.
Ce qui m’importe est de donner à voir différemment…

Exposition Sorbonne Gallery

INFORMATIONS PRATIQUES
Chebab
Émeric Lhuisset
Du 19 au 37 mai 2021
Sorbonne Gallery
12, place du Panthéon
75005 Paris
https://www.sorbonneartgallery.com/

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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