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Un magazine iconique qui au-delà de son audace, sa capacité d’anticipation et sa longévité, incarne une certaine idée de la parisienne comme en témoigne cette exposition anniversaire orchestrée par le Palais Galliera qui à partir des archives de Vogue New York et Paris nous invite dans les coulisses d’une aventure transatlantique hors du commun. A l’heure du tout numérique et de la sphère grandissante des influenceur·ses alors que l’on peut désormais « shopper » en ligne sur le site de Vogue.fr, l’objet magazine revêt soudain une importance capitale, comme l’un des derniers refuges de cette ligne éditoriale exigeante de la mode où de nombreuses personnalités artistiques et littéraires contribuaient à donner le ton.

Un manifeste d’une époque révolue qui ressurgit sous nos yeux à travers cette rotonde circulaire qui ouvre le parcours constituée de plus de mille couvertures en zigzag selon un parti pris scénographique en immersion.
Tournez manège et remontons le temps avec le premier numéro de Vogue Paris qui sort le 15 juin 1920 pour poursuivre sous le règne de chaque rédacteur, rédactrice en chef.

David Slims, Kate Moss Vogue Paris 2004

La spécificité française éditoriale s’affirme avec l’arrivée du très charismatique Michel de Brunhoff en 1929 quand le studio photo devient le laboratoire incontournable avec des maîtres tels que Horst, Cecil Beaton, Man Ray, Edward Steichen ou Erwin Blumenfeld. Pendant la guerre, les allemands font main basse sur les bureaux et le studio et Brunhoff résiste pour ne pas devenir un outil de propagande avant de relancer à la libération de Paris tout d’abord des numéros hors-séries exceptionnels, du fait du manque de papier. Entre 1945 et 1947 Vogue accompagne une véritable renaissance de la capitale sous l’impulsion de Brunhoff qui décide d’y ajouter un volet sur la vie culturelle (théâtre, cinéma, expositions..), confié à la talentueuse Edmonde Charles-Roux qui vient de Elle et France-Soir et lui succédera naturellement.

Guy Bourdin, « Bulletin beauté spécial jeunes : Rush sur le rouge », maquillage Harriet Hubbard Ayer, Vogue Paris, mai 1970 Collection privée

L’on assiste à un véritable âge d’or sur fond de bouillonnement culturel chroniqué par des photographes de légende : Robert Doisneau avec qui Edmonde Charles-Roux court les vernissages, Willy Ronis mais aussi Guy Bourdin qui fait son entrée, William Klein ou Newton et l’on perçoit les frémissements qui vont conduire à Mai 68 avec des mutations sociales dont le magazine se fait l’écho. C’est Edmonde-Charles Roux qui soutient Yves Saint-Laurent lorsqu’il lance sa propre maison de couture. Sagan, Mauriac, Giroud ou François Nourissier, contribuent aux nouvelles chroniques littéraires qui font une large place à la Nouvelle Vague.

L’ère suivante marque la toute puissance des photographes avec Francine Crescent à la mode et à la beauté Françoise Mohrt, un duo en quête d’audaces graphiques et de chocs visuels portés par Jeanloup Sieff, Albert Watson, Sarah Moon, Mike Reinhart, Patrick Demarchalier ..magnifiant le nouveau pouvoir subversif du corps de la femme. Vogue devient un puissant catalyseur à l’on croise aussi bien David Hockney, Hitchcock, Jacques Tati, Andy Warhol, Marlène Dietrich que Roger Vadim, Alain Resnais ou Marcel Carné. Crescent et Mohrt donnent aussi la parole aux grands couturiers : Karl Lagerfeld, Oscar de La renta ou Claude Montana qui font part de leurs coups de coeur. Elles inaugurent les séries des numéros de Noël confiés à des réalisateurs (Fellini), des actrices (Jeanne Moreau, Lauren Bacall) ou des artistes (Dali, Marc Chagall). Le nombre de pages explose.

George Hoyningen-Huene, Jean Patou swimming costume, Vogue Paris July 1929 Archives Condé Nast, New-York © George Hoyningen-Huen

Les années 1980 voient l’avènement du star system. Dans les années 1990 et 2000 Jean Poniatowski recrute Colombe Pringle Irène Silvagni puis l’américaine Joan Juliet Buck qui vont amorcer des changements notables : la taille du magazine diminue, il s’ouvre à l’international et la mode n’est plus déconnectée du réel. Les supermodels triomphent dans cette époque globalisée et consumériste où la place de Paris s’efface peu à peu.

Avec Corinne Roitfeld au début des années 2000 qui s’entoure d’une nouvelle génération de photographes ouverts à toutes les provocations : Testino, Inez & Vinooth, Mert & Marcus, l’image percute et l’on donne carte blanche à de superproductions filmiques. Parisienne de naissance, la dimension Vogue Paris s’inscrit dans une sorte de mythologie. Des créateurs tels que Tom Ford ou Anthony Vaccarello régulièrement invités signent la place prépondérante des stylistes. Avec Emmanuelle Alt aux commandes depuis 2011 l’on assiste à un virage numérique sans précédent qui soulève des questionnements sur le devenir matériel du magazine.

Cette exposition anniversaire marquerait-elle son chant du cygne alors que le Paris de Vogue va disparaître ? Une chose est sûre, la silhouette de Catherine Deneuve dont la présence est constante sur les couvertures de Vogue (16 au total ! ) incarne à jamais la Parisienne. Un mélange d’audace, de liberté et de beauté. Vogue Paris, bien plus qu’un magazine…

Jean-Baptiste Mondino, Linda Nyvltova wearing a Cartier bracelet, Vogue Paris cover December 1999-January 2000 Archives Vogue Paris

Egalement lors de votre visite ne manquez pas une Histoire de la mode. Collectionner, exposer au Palais Galliera

De la fameuse Rose Bertin, simple marchande devenue l’arbitre des élégances à la vogue des cotonnades ramenées d’Inde, de la robe de chambre masculine au gilet du siècle des Lumières, de la robe à crinoline à l’avènement des lignes droites et androgynes des années 1920, les métamorphoses de la mode féminine traduisent une évolution du goût et des usages personnifiées par des clientes emblématiques, qui ont permis à travers leurs dons au Musée de la Mode de la Ville de Paris d’être le dépositaire d’une telle mémoire. Des années de débrouillardises de l’Occupation où les parisiennes savent rester élégantes avec trois fois rien, au New Look de Mr Dior et aux dissidences contemporaines, un autre fabuleux voyage !

INFOS PRATIQUES
VOGUE PARIS 1920-2020
Jusqu’au 30 janvier 2022
Palais Galliera
10 Av. Pierre 1er de Serbie
75116 Paris
https://www.palaisgalliera.paris.fr/
Réservations www.billetterie-parismusees.paris.fr

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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