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Retour sur l’incroyable saga des artistes Fabien Giraud et Raphaël Siboni, The Unmanned, série au long cours dont la nouvelle étape vient de se terminer dans les espaces du Casino Luxembourg avec l’intégralité des films et sculptures composant les saisons 2 et 3 du projet. The Unmanned dont certaines parties ont été présentées par le passé notamment à la Biennale de Liverpool, Biennale de Lyon, Palais de Tokyo, IAC de Villeurbanne, cette exposition inédite, repousse véritablement les limites, comme des strates sédimentaires du sol au plafond, de la cave au grenier du centre d’art par le biais d’un carottage complet du bâtiment.

Un véritable défi technique et scénographique pour l’ensemble des équipes selon la volonté de Casino d’accompagner les artistes au plus près de leurs ambitions. L’ensemble se déroule comme un flux continu, l’épilogue ayant été filmé dans l’exposition même.

Dès le départ le spectateur se trouvait confronté à un décor entre coulisses et processus filmique avec des présences humaines qui habitent par intermittence les lieux, suscitant une présence « intrigante, dérangeante et poétique » pour reprendre les termes de Kevin Muhlen, directeur du Casino et commissaire. Autre élément perturbateur : les « Représentantes » de Louisa Clement, doubles de l’artiste sous formes de poupées sexuelles dotées d’une intelligence artificielle, qui interagissent avec le public. Pour cette rentrée, le Casino présente une exposition inédite d’Adrien Vescovi et une exposition sur le potentiel du son dans l’art contemporain, Sound Without Music, dont Kevin Muhlen nous dévoile les contours. Kevin Muhlen a répondu à mes questions.

Louisa Clement Repräsentantinnen (in-residence), 2022. Photo : Casino Luxembourg

A quand remontent vos liens avec Fabien Giraud et Raphael Siboni et la genèse de ce projet au long cours ?

Notre première rencontre remonte à 2012 à la galerie Loevenbruck. J’avais déjà vu leur travail lors de grandes expositions qui montraient la nouvelle génération d’artistes, comme la Force de l’art. Nous avions entamé des échanges au départ informels puis plus concrets autour d’une possible collaboration. Au cours de ces discussions, ils m’ont fait part de leur souhait d’engager des projets à plus long terme et de se consacrer à ce nouveau cycle intitulé The Unmanned, encore à ses prémisses. L’idée de démarrer quelque chose de nouveau avec des artistes et de produire les premières pièces me semblait très stimulante et riche en termes de possibilités. Nous avons ainsi accueilli en 2014 au Casino la première exposition The Unmanned avec l’axiome et les deux premiers épisodes de la Saison 1, avec en parallèle une projection des vidéos de la Vallée Von Uexküll, série où un coucher de soleil est filmé sans l’optique de la camera, la lumière seule interagissant avec la surface photosensible, autour des questions de la numérisation et résolution de l’image. Le protocole était rejoué à chaque apparition d’une caméra plus performante.

Adrien Vescovi, Vue d’installation, Soleil Blanc, Le Grand Café Saint Nazaire. © Marc Domage

A l’étage du Casino les premières vidéos de The Unmanned étaient proposées et les vidéos : La Mesure Végétale, La Mesure Minérale, La Mesure Louvre. Un corpus déjà existant même si l’on s’avançait vers un nouveau cycle. Ne voulant pas en rester là, je souhaitais que le public et le Casino s’inscrive dans la suite. Nous les avons alors aidés à coproduire les œuvres entre 2014 et 2018 pour la Biennale de Liverpool, la Biennale de Lyon, l’exposition au Palais de Tokyo, Le Rêve des formes, avec pour objectif de revenir avec une nouvelle exposition en 2018 qui montrerait l’entièreté de la Saison 1. Nous l’avons fait sous forme de grande fresque vidéo autour des 8 épisodes qui constituaient la Saison 1. Des vidéos très cinématographiques tournées dans des contextes naturels ou dans des décors créés par les artistes dans une synchronisation qui créait quelque chose de très magistral et impressionnant. Avec les Saisons 2 et 3 à venir, je n’avais pas envie d’en rester là et très rapidement nous avons décidé de clôturer ce cycle ici au Casino.

Vous poussez véritablement les limites du lieu comme jamais auparavant

Je savais que les artistes avaient la capacité d’aller loin dans leur approche scénographique et architecturale de l’exposition et qu’ils auraient en tête une proposition ambitieuse pour le Casino. Je connaissais aussi leur intérêt pour cet axe vertical. Ils m’ont envoyé des premières propositions techniquement non réalisables pour au fur et à mesure arriver à cette idée de carottage du haut vers le bas afin de percer le bâtiment et permettre une vision verticale de l’exposition. Un défi de taille doublé d’un autre autour de l’installation d’un bassin pour faire couler de l’eau du grenier jusque dans le sous-sol. Nous avons lancé des études préliminaires en termes d’étanchéité et d’isolation notamment. Puis la présence de cet enfant dans l’exposition s’est ajoutée en tant que performeur dans le bassin. Tous ces éléments ont donné lieu à un projet très ambitieux et complexe à mettre en œuvre mais relevé grâce à la motivation des équipes et l’engagement du Casino. Nous avons dû faire preuve de beaucoup d’inventivité pour trouver des solutions, expérimenter et être le plus proche des simulations préalables au cours d’un montage qui aura duré 2 mois.

Adrien Vescovi, Vue d’atelier, 25_06_2022, Marseille. ©Adrien Vescovi

La présence humaine dans l’exposition : autre singularité

Ces présences provoquent un face à face encore plus réel, tout comme la dimension sculpturale de l’exposition. Une fois que ces êtres humains habitent l’exposition, cela lui donne une autre dimension. Les personnages des vidéos se voient ainsi transférés dans notre réalité suscitant une proximité intrigante, dérangeante et poétique à la fois. L’exposition n’est pas une installation figée, elle vit et participe en tant que décor et coulisses cinématographiques. Elle devait rester proactive pour ne pas tomber dans le spectaculaire.

The Unmanned : quelle est l’origine de ce mot ? que suggère-t-il ici ?

Le terme est utilisé dans le langage miliaire en ce qui concerne les drones, des engins pilotés à distance, sans présence, inhabités. Ce titre joue sur cette notion technologique. L’être humain est-il nécessaire ? et jusqu’à quel point ? Comment la technologie prend le dessus de l’être humain. Des questions qui renvoient aux enjeux de la Saison 1. Après la fin de la saison, les artistes ont ouvert sur d’autres thématiques avec des sous-titres : The Everted Capital – saison 2 : le capital rétroversé pour évoluer autrement, The Form of Not – saison 3 : la matérialisation des objets du Non, cette commande vocale qui marque un refus.

Fabien Giraud et Raphaël Siboni, The Everted Capital

La dernière vidéo suit la chute de la caméra, long travelling accompagné d’un procédé acoustique particulier, lequel ?

Ce principe acoustique appelé le Shepard tone, gamme de Shepard, donne cette illusion de chute sonore constante, d’une gamme sans fin. Il renforce cette sensation de chute de cette caméra 360° du haut vers le bas, du sol au plafond, étage par étage du bâtiment.

The Unmanned : la publication

Il était évident pour nous d’accompagner et de favoriser la sortie de ce catalogue. Les artistes ont tenu à solliciter des philosophes et auteurs autour d’une pensée transversale très ouverte que l’on retrouve dans les œuvres et l’exposition. Réfléchir aux possibilités et aux probabilités plutôt que de donner une voie à suivre. Les contributeurs ont été choisis pour leur capacité à s’approprier certains sujets que l’on trouve dans les œuvres pour que le catalogue continue à poursuivre les champs d’investigation dans un véritable dialogue. Une dimension que l’on retrouve aussi lors des rencontres proposées entre les artistes et le public l’exposition prenant des dimensions encore différentes. J’espère et je pense qu’à travers ces trois expositions le public aura réussi à suivre cette aventure hors normes.

Autre proposition : Les « représentantes » de Louisa Clement

L’artiste créé un personnage basé sur un algorithme et alimenté par l’intelligence artificielle, cette poupée en silicone sur le modèle des poupées sexuelles, interagit avec les visiteurs de l’exposition. Elle l’a fait réaliser à son image à l’aide de scanners corporels. Son intelligence va se développer au fur et à mesure de ses échanges avec le public. Je considère cela comme un projet en résidence, ces poupées étant présentes jusqu’en novembre pour ensuite aller à la Luxembourg Art Week. Elles prennent place dans différents lieux du Casino pour leur faire rencontrer d’autres contextes, y compris au Display, espace que nous avons ouvert en 2021, dédié à la jeune création.

L’invitation à Adrien Vescovi

C’est à l’initiative de Stilbé Schroeder, curatrice au Casino que l’on doit cette invitation. Elle suit son travail depuis un moment et est très intéressée par son processus créatif organique et naturel. Sa démarche trouve un véritable écho avec les recherches qu’elle mène en termes de commissariat autour de la décélération, du passage du temps, du statut de l’œuvre avec l’idée de repenser le format de l’exposition et casser les codes, comme ce que nous proposons avec Fabien Giraud & Raphaël Siboni. L’artiste a prévu une installation monumentale sur la façade du Casino, de grandes tentures qui viendront occuper l’espace public et s’altérer avec le temps et la rencontre avec le public. La commissaire souhaitait que l’exposition déborde à l’extérieur et Adrien a déjà réalisé ce genre d’interventions formelles et informelles à la fois pour faire sécher les toiles ou les montrer de manière différente. Dans l’espace du Casino nous proposerons un regard de l’intérieur de ces toiles et aussi un retour sur d’autres compositions posées au sol, la verticalité de l’extérieur n’étant pas obligatoirement retranscrite à l’intérieur. Cette proposition viendra remettre en perspective le travail d’Adrien.

Sound Without Music, la place du son dans l’art contemporain : les enjeux et partis pris

Andrea Mancini – Matter of Deep Dreaming -Sound Without Music

Passepartout Duo – Sound Without Music

J’avais déjà réalisé plusieurs propositions autour du son, un domaine qui m’intéresse et que je pratique également mais cette exposition est curatée par Anastasia Chaguidouline qui a été responsable de la programmation culturelle au Casino l’année dernière. Elle avait formulé l’idée d’une exposition d’un format hybride autour d’apparitions sonores et de moments d’activation à travers des séances d’écoute ou de performances, des concerts…mais aussi des protocoles plus abstraits. La programmation n’est pas une programmation satellite de l’exposition mais fait partie intégrante du projet curatorial qu’elle défend selon des temporalités différentes.

INFOS PRATIQUES :
– Fabien Giraud & Raphaël Siboni
The Everted Capital (Katabasis)
TERMINE
– Louisa Clement, Representatives (in residence)
Eté – automne 2022
Commissaire : Kevin Muhlen
Adrien Vescovi, Jours de lenteur
01.10.2022 – 29.01.2023
Commissaire : Stilbé Schroeder
– Sound Without Music, le potentiel du son dans l’art contemporain
01.10.2022 – 27.11.2022
Commissaire : Anastasia Chaguidouline
– Jeremy Hutchison
The Never Never
Commissaire : Evelyn Simons
Exposition : 03.12.2022 – 29.01.2023
Casino Luxembourg – Forum d’art contemporain
41, rue Notre-Dame
L-2240 Luxembourg
http://casino-luxembourg.lu

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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