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Muriel Enjarlan, directrice du Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur, me confiait dans un entretien en avril 2021 (en écoute) les axes de son projet artistique et culturel « Faire société » qui prend pleinement sens avec ses premières expositions dédiées à Wilfrid Almendra –au Frac et au Panorama Friche La Belle de mai avec Fraeme-, Angela Ferreira dans le cadre de la Saison France-Portugal, Ramiro Guerreiro -en partenariat avec Paréidolie– et Apichatpong Weerasethakul (Grand Arles Express).

Une déclinaison locale et internationale qui se traduit notamment par un nouveau découpage des plateaux du Frac. L’artiste luso-sud-africaine Angela Ferreira se penche sur le rôle joué par les radios dans les mouvements d’indépendance en regard de l’histoire coloniale du Portugal dans une installation spectaculaire et très minimale à la fois où le son a une grande importance.

Vue de l’exposition Wilfrid Almendra Adélaïde, Panorama Friche La Belle de Mai, Fraeme
photo Aurélien Mole

Le projet de Ramiro Guerreiro repose sur une traduction dans l’espace du témoignage de Phyllis Lambert, fondatrice du centre Canadien d’Architecture et pionnière d’une vision organique entre l’architecture et ceux qui la vivent, en complicité avec Mies van der Rohe. Une projection formelle très aboutie qui repose sur des enjeux environnementaux très actuels.

L’œuvre Fireworks (Archives) du réalisateur Apichatpong Weerasethakul, acquise par le Frac en 2021 reste envoutante et hypotonique avec l’apparition de spectres de statues et créatures hybrides sur fond de crépitements lumineux dans la nuit. Une résistance face à l’oppression de son pays, la Thaïlande.

Vue de l’exposition Wilfrid Almendra Adélaïde, Panorama Friche La Belle de Mai, Fraeme
photo Aurélien Mole

Vue de l’exposition Wilfrid Almendra Adélaïde, Panorama Friche La Belle de Mai, Fraeme
photo Aurélien Mole

Adélaïde, la double exposition de l’artiste Wilfrid Almendra joue sur deux temporalités différentes avec des effets d’échos et de rebonds entre le Frac et Le Panorama de la Friche La Belle de Mai. Comme s’il s’agissait d’une même narration inscrite dans deux paysages entre la France et le Portugal. D’une part comme l’explique l’artiste les jardins ouvriers de son enfance et la cuve à fioul de l’entreprise de son père au Frac et d’autre part les terrains vagues et l’esthétique industrielle au Panorama, en miroir de Marseille. Issu d’une famille de travailleurs immigrés portugais, ayant grandi en France dans le Maine et Loire, il revendique la transformation des matériaux et des regards. Le titre de l’exposition renvoie au prénom de sa tante qui vit en zone rurale au nord du Portugal de ses produits et du troc. Une économie alternative et informelle qu’il met en pratique au cours de ses rencontres avec des personnes issus de contextes différents qui collectent à Marseille par nécessité des matériaux.

Vue de l’exposition Wilfrid Almendra Adélaïde, Panorama Friche La Belle de Mai, Fraeme
photo Aurélien Mole

Ainsi du grillage, de la tôle ondulée, du flocage, du fil de fer, des graviers, du cuivre récupéré d’anciens frigidaires, du carrelage, …mais aussi de l’huile d’olive et du vin, produits dans sa maison de Casario au Portugal selon le principe d’échange de ses projets « d’artiste-paysan ». Une utopie qui n’a rien de romantique comme il s’en défend et qui repose sur un autre modèle économique et social où l’art et la culture, le monde ouvrier et les classes sachantes s’hybrident et se parlent.

Adélaïde prend ses racines à l’occasion de Manifesta 13 à Atlantis, rue du Chevalier Roze avec So much depends upon a red wheel barrow sous le commissariat de Cédric Fauq (à présent curateur en chef du Capc). Un environnement du précaire entre mauvaises herbes, débardeur Marcel, chaussette sale, paire de baskets, sandale en plastique abandonnée mais aussi majestueuses plumes de paon, éléments que l’on retrouve pour cette nouvelle itération. L’œuvre Martyre exposée à Panorama est alors acquise par le Frac. Grande planche en aggloméré, retrouvée par l’artiste dans son atelier une ancienne fabrique de meubles, elle représente les traces multiples du labeur et de ses échecs, rehaussée de tôles ondulées translucides le tout suscitant un effet d’étrange et de familier à la fois. Sans doute l’une des clés de l’univers de l’artiste. Entre le minéral et le végétal, la nature sauvage et domestiquée, le centre et la périphérie, il est question d’une aura révélée. Une poétique du banal et du bancal où les impasses et les déséquilibres déroutent autant qu’ils séduisent. Une archive de la mémoire et des histoires en perpétuel mouvement qui réunit les contraires et évolue en fonction de la lumière du jour et du flux des corps des visiteurs, protagonistes à leur tour de cet imaginaire expansif et conciliateur.

N’oubliez pas de repartir avec une bouteille millésimée de l’huile d’olive de la Quinta de Adelaïde dont le produit de la vente revient intégralement aux villageois de Casario pour la récolte prochaine.

INFOS PRATIQUES :
Angela Ferreira, Radio Voz da Liberdade
Ramiro Guerreiro, Le geste de Phyllis
Apichatpong Weerasethakul, Fireworks (Archives)
& Fraeme
Friche la Belle de Mai,
Tour Panorama
Commissaire Sofia Lemos
Avec le soutien de la Fondation Calouste Gulbenkian
jusqu’au 16 octobre 2022
Egalement à découvrir Murmurations autour des artist runs spaces marseillais qui font de cette ville un véritable laboratoire des possibles.
Fræme (fraeme.art)
Wilfrid Almendra, Adélaïde
Commissaire Muriel Enjarlan
Jusqu’au 30 octobre 2022
Frac Provence-Alpes-Côte d’Azur (frac-provence-alpes-cotedazur.org)

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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