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Nan Goldin dans un sublime documentaire de Laura Poitras

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En 2022, la journaliste et réalisatrice américaine Laura Poitras produit « Toute la beauté et le sang versé« , un film documentaire sur la vie et les combats de la photographe et activiste Nan Goldin. Dès sa sortie, il est immédiatement primé à la Mostra de Venise et au Festival international du film de Stockholm. En 2023, au moment de sa sortie en France, il est même nommé au Oscar dans la catégorie du meilleur film documentaire. Ce film saisit des instantanés du passé pour dresser le portrait d’une artiste à travers son oeuvre, qui est elle-même le reflet de sa propre vie.

Nan Goldin a révolutionné l’art de la photographie et réinventé la notion du genre et les définitions de la normalité. Elle est aussi une activiste infatigable, qui, depuis des années, se bat contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États-Unis et dans le monde. Toute la beauté et le sang versé nous mène au coeur de ses combats artistiques et politiques, mus par l’amitié, l’humanisme et l’émotion.

Self portrait with scratched back after sex, London, 1979 © Courtesy of Nan Goldin

Nan Goldin documente depuis le début des années 1970 la vie intime de son cercle d’amis et d’artistes et célèbre les cultures underground trop souvent stigmatisées par la société traditionnelle, à travers des oeuvres phares telles que le diaporama « The Ballad of Sexual Dependency » (1985) ou l’exposition pluridisciplinaire « Witnesses : Against Our Vanishing » (1989).

Nan Goldin, Harvard art museums Obama Foundation

« Je me suis focalisée sur la famille Sackler, car c’est un nom qui m’était familier. Je pensais qu’il s’agissait d’une famille de généreux mécènes qui soutenaient des artistes que j’aimais. Puis j’ai compris à quel point leur argent était sale. J’ai découvert que ce sont eux qui produisaient et vendaient le médicament auquel j’étais devenue dépendante ». – Nan Goldin

Fin 2017, Nan Goldin se lance dans un nouveau combat : l’activisme contre la famille Sackler, responsable de la crise des opiacés aux États-Unis et dans le monde. Après avoir elle-même survécu au calvaire de l’addiction aux opiacés, elle décide d’utiliser sa notoriété dans le monde de l’art pour tenir tête à ces puissants qui profitent de la souffrance humaine.
La résolution d’agir intervient lorsqu’elle apprend que les distributeurs de naloxone, médicament de référence dans le traitement d’urgence des surdoses d’opioïdes, qui devaient être installés en libre accès dans la ville de Cambridge (Massachusetts), ne verraient finalement jamais le jour.
« Des milliardaires avaient bloqué le projet » explique-t-elle. « C’est ce qui m’a poussée à m’impliquer dans cette lutte ».
En compagnie de quelques autres artistes et militants, Nan Goldin fonde le collectif P.A.I.N. (Prescription Addiction Intervention Now), qui prône la réduction des risques sanitaires et la prévention des overdoses. P.A.I.N. s’attaque à la famille Sackler, qui a tiré des profits considérables de la crise des opiacés qui a déjà causé la mort d’un demi-million d’Américains.
Célèbre pour ses dons généreux à des musées et autres institutions artistiques prestigieuses, la famille Sackler possède Purdue Pharma, le laboratoire pharmaceutique qui commercialise le médicament antidouleur hautement addictif OxyContin et développe un marketing outrancier pour faire s’envoler les ventes malgré les conséquences dévastatrices de l’épidémie qui en résulte. Depuis des années, les démarches légales entreprises contre Purdue Pharma ont eu peu d’effets, en dépit d’une suite d’auditions, de procès et de verdicts prononcés à l’encontre du laboratoire. P.A.I.N. décide donc de les mettre face à leurs responsabilités sans passer par un tribunal.

« Dans mes films, je dresse toujours le portrait d’individus qui se battent pour une certaine idée de la justice et de la responsabilité. Nan Goldin était de ceux-là » – Laura Poitras

Dès l’instant où elle s’est lancée dans l’aventure de P.A.I.N., Nan Goldin a décidé de faire un film pour documenter leurs réunions et leurs actions.
Pendant environ un an et demi, P.A.I.N. a donc tourné des images avec l’aide des producteurs exécutifs Clare Carter et Alex Kwartler, des collaborateurs de longue date de Goldin, avant de convier la réalisatrice Laura Poitras à se joindre au projet.

Nan in the bathroom with roommate, Boston © Courtesy of Nan Goldin

Pour Nan Goldin, le film se devait absolument d’aborder les parallèles économiques, sociétaux et institutionnels entre la crise du sida et la crise des opiacés. Les crises sociales ne se déroulent pas en vase clos, et montrer la relation entre les communautés souvent stigmatisées dans lesquelles la photographe s’est immergée et les histoires personnelles qui sous-tendent son oeuvre était essentiel pour saisir la véritable ampleur de son travail.

Grâce au travail de l’équipe du Nan Goldin Studio et de deux archivistes Shanti Avirgan et Olivia Streisand, des images tournées par des tiers sont retrouvées et Laura Poitras parvient à réunir assez de matière première pour que le film puisse nous transporter dans le passé. Elle met notamment en avant une oeuvre majeure de Goldin, « Sisters, Saints, and Sibyls » (2004), une installation sur trois écrans consacrée à sa soeur défunte, Barbara Holly Goldin. Le titre du film vient d’une réponse de Barbara à un test de Rorschach.

En entremêlant le récit de l’enfance de Goldin, ses amitiés profondes au sein d’une communauté d’artistes incarnant l’élan créatif et sa résilience face à l’épidémie de sida, Toute la beauté et le sang versé saisit des instantanés du passé pour dresser le portrait d’une artiste à travers son oeuvre, qui est elle-même le reflet de sa propre vie.

En salle depuis le 15 mars dernier !

La Rédaction
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