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Jocelyn Wolff nous fait part à l’occasion de Paris + de ses réflexions sur les effets de concentration d’un marché de plus en plus boulimique où les grandes galeries occupent tout l’espace médiatique et institutionnel. Alors que la galerie inaugurait un 2ème lieu à St Germain des Près, Jocelyn prévoit au printemps d’ouvrir un espace en Normandie à la fois lieu de résidence et jardin de sculptures. L’actuelle exposition à la galerie (Komunuma) met en avant la suspension dans la sculpture à partir des artistes de la galerie dans « une mise en abyme de l’histoire de l’art » pour reprendre ses propos.
A découvrir sans plus attendre.

Quel bilan pour Abraham & Wolff ?

Si l’on compare à Komunuma nous avons ici essentiellement le public parisien mais le public art contemporain très informé. Le nombre d’expositions proposé par l’ensemble des galeries fonctionne. Paradoxalement il y a plus de public ici que dans le 7eme mais ce n’est pas le même public. Par exemple l’américain qui a un pied à terre et qui vient à Paris avec ses habitudes dans un quartier historique nous découvre spontanément. Ce sont deux lieux complémentaires et la rue des Saint Père est une fenêtre sur l’univers qui nous intéresse, celui des antiquaires. Pendant la fashion week nous avons eu plus de public. Nous avons investi un show room tout proche au 43 quai des Grands Augustins.

Paris + : quelle proposition ?

Katinka Bock « The Sink » (2023), courtesy the artist Galerie Jocelyn WOLFF

L’oeuvre maîtresse que nous attendons depuis longtemps est de Franz Erhard Walter qui propose peu de nouvelles oeuvres. C’est un évènement pour nous. Elle fait la synthèse de ses recherches chromatiques et d’autres recherches préalables, les configurations murales et les tests. Elle présente une sorte d’alphabet de couleurs. A partir de cette oeuvre nous avons imaginé un dialogue avec Harald Klingelhöller et Francisco Tropa autour de différentes articulations de sculptures. L’essentiel du stand se joue autour de cette conversation de sculpteurs. Nous avons aussi une œuvre de Katinka Bock en écho à son exposition ici. Egalement Miriam Cahn un très grand portrait sous la forme d’un gisant. Nous proposons aussi dans une optique non commerciale une œuvre de Zbynek Baladran, pièce liée à l’écriture de slogans politiques à partir d’un collage comme cela se faisait en Pologne pendant l’époque totalitaire.

Quel impact le conflit en cours Israélo-Palestinien sur le marché ? Frieze ?

J’ai été voir l’exposition Philip Guston qui a toujours beaucoup travaillé sur des sujets liés au racisme, totalitarisme… et j’ai trouvé que cette démarche prenait une acuité forte. La lecture de cette exposition a été modifiée par cette actualité pour beaucoup de professionnels. Je suis très sensible à ce qui se passe et il est compliqué en France de discuter de ces sujets.

La foire a été très dynamique et notamment sur la partie des artistes émergents, ligne de force de cette foire. Beaucoup d’artistes que l’on ne connaît pas comme la galerie Crisis de Lima avec des artistes au vocabulaire vernaculaire qui résonnent particulièrement.

Quelles autres tendances remarquez-vous ?

Abraham & Wolff, cabinet de dessin contemporain

Nous sommes à un moment où quand un artiste devient désirable par le marché il devient surreprésenté ce qui se fait au détriment d’autre chose, Il y a une contribution négative des galeries à cette tendance qui favorise des cycles de marché de plus en plus courts. Des galeries boulimiques qui occupent à la fois tout l’espace médiatique, commercial et qui sont des génies des réseaux sociaux. Il y a clairement un effet des galeries de se constituer comme des marques au détriment d’une certaine intégrité et d’un vrai travail de recherche. Un modèle comme celui de Cabinet Gallery ou d’autres avec une actualité artistique toujours intéressante et qui n’ont pas besoin de se dupliquer à l’infini. Il y a aussi un problème idéologique : cette volonté de galeries puissantes d’avoir tous les artistes importants dans une logique totalitaire. Ce qui m’intéresse dans le monde de l’art est cette multiplicité de voix originales et singulières avec une approche éditoriale du métier. A l’image du paysage littéraire en France qui est ravagé par les grands groupes.

Et pourtant Art Basel est devenu une marque …

Vue du stand Paris + par Art Basel Galerie Jocelyn Wolff

C’est une marque liée à un label de qualité mais qui est le fruit d’un vrai travail. Ce que j’aime avec les foires c’est qu’elles agissent comme des ombrelles temporaires qui nous permettent à nous labels indépendants d’apparaitre à certains moments de l’année dans la diversité de nos offres respectives. Nous sommes à un moment où tous les espaces des musées, parcs de sculptures et espaces d’expositions sont directement trustés par des galeries très puissantes, à tel point que les foires deviennent plus des espaces de diversité que les institutions. C’était plus équilibré il y a quelques années. J’espère que Paris reste plus original.

Le lieu en Normandie que vous ouvrez : comment le définissez-vous ?

Manoir d’Alvémont courtesy Galerie Jocelyn Wolff

Il se situe entre Fécamp et Etretat.

Le projet est un jardin de sculptures qui sera ouvert à l’occasion de garden parties à la fin du printemps. C’est un lieu alternatif d’expositions, un site expérimental où nous cherchons à articuler 3 axes : une approche patrimoniale (maison ancienne), une approche contemporaine et un souci écologique très fort. Essayer de marier ces 3 aspects est un enjeu véritable. C’est un ancien manoir mais ancré dans une réalité rurale. On n’a pas cherché la pure carte postale, à l’instar du monde de l’art qui utilise l’art comme une abstraction du monde social.

Y aura t-il une résidence ?

Oui et notamment pour les artistes étrangers avec qui on travaille qui ont besoin de rester en France pour préparer un projet comme Diego Bianchi. L’idée est de pouvoir les accueillir dans de bonnes conditions et pour un temps indéterminé. Le format reste libre.

Le modèle sera soit des visites privées soit des garden party. Une gare à proximité permet d’organiser les trajets avec une navette prévue pour le dernier kilomètre.

Quels étaient les critères de choix ?

Je voulais être proche de Paris à 2h de route avec aussi ne ligne de train. J’aime bien l’idée d’être près de la côte. Nous avons acheté la maison il y a 7 ans et cela a pris un certain temps de la restaurer en respectant une dimension écologique. Tout ce que nous avons retiré a été gardé comme une sorte de matériauthèque que l’on pouvait réutiliser. C’est un projet dont on apprend beaucoup. Derrière l’idée du Pays de Caux il y a le concept du clos masure une typologie de paysage qui fonctionne avec des talus, des haies avec des doubles rangées d’arbres, ce qui donne une échelle au paysage intéressante pour la sculpture . Nous ne voulions pas le château et son imaginaire ostentatoire. C’est une histoire qui s’est stratifiée sur 5 siècles.

L’exposition « Sur le fil »

Elle s’appelle sur le fil avec uniquement des sculptures en suspension d’artistes de la galerie et au-delà. Une mise en abîme de ce qui nous intéresse par l’histoire de l’art comme avec Grisaille. De nouveau le même geste. Nous sommes résolument une galerie de sculptures. Dans la sculpture contemporaine il y a beaucoup de suspensions et j’ai eu une vision de la galerie envahie par une forêt de stalactites…

INFOS PRATIQUES:
Abraham & Wolff : Natura Pictri, hommage à Roger Caillois
www.abraham-wolff.com/cabinet-de-dessins-contemporains
Ouverture : show room St Germain des Prés au 49 quai des Grands Augustins
« Sur le fil »
Commissariat de Sandrine Djerouet et Hélène Meisel
43 rue de la Commune de Paris, Romainville
http://www.galeriewolff.com/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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