L'Invité·e

Sylvie Bouvier, directrice photo, est notre invitée

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Cette semaine, dans notre rubrique L’Invité·e, nous accueillons, la directrice photo Sylvie Bouvier qui a consacré sa carrière entière à la photographie. Regrettant que la lumière soit si souvent mise sur ceux qui font les photos, Sylvie souhaite profiter de cette carte blanche éditoriale pour rendre hommage à ceux qui s’en occupent ! Jusqu’à vendredi, ce sont de riches rencontres qui nous attendent avec l’historienne et collectionneuse Nakki Goranin, la restauratrice Gwenola Furic, le passionné d’histoire de la photo François Boisjoly et enfin la fondatrice de la galerie Luce en Corse, Julie Canarelli.

Je suis née à Belleville. On est pauvre, mais on ne sait pas à quel point, alors ça va.
Mon père est livreur dans les beaux quartiers de Paris.
Un jour, depuis l’office, il aperçoit une petite fille vêtue d’une robe froufroutante, d’un blanc immaculé, un éclair qui l’éblouit, puis le met très en rage.
Alors, un dimanche, on m’enfile une robe toute simple, mais blanche, et Papa veut me photographier en petite fille aimée….
La photo raconte la suite !

Sylvie Bouvier est née dans une famille très modeste. Avec son bac en poche, elle cumule les petits boulots avant de quitter la Bretagne pour s’installer à Paris. Après avoir raté son concours de sage femme, Sylvie se tourne vers une formation d’infirmière, elle termine première de sa promotion et est choisie pour son stage d’intégration de fin d’étude au service de réanimation de l’hôpital de Saint Antoine. Ne supportant pas la mort, elle quitte son stage un matin, à quinze jours de son diplôme. « Avec la photo, les gens ne meurent pas vraiment. Dans la photo j’étais à ma place, ce n’était pas douloureux. »

C’est en 1979 qu’elle fait ses premières armes au magazine Révolution un hebdomadaire culturel communiste dirigé par Léo Lorenzi. Au départ embauchée comme maquettiste, elle rejoint très vite le service photo. À cette époque, Révolution a la particularité de publier à chaque numéro un portfolio de douze pages, c’est donc l’occasion pour Sylvie de rencontrer les plus grands photographes mais aussi mais aussi ceux de la nouvelle génération, organisés en collectifs auto-gérés. Elle travaille aux côtés de Joseph Maggiori, un grand directeur artistique de la presse. Cette expérience est très formatrice et particulièrement intense mais après deux ans, elle souhaite explorer de nouveaux horizons, c’est ainsi qu’elle est embauchée par Christian Poulin à Libération, elle y restera le temps des deux septennats de François Mitterand. C’est d’ailleurs lors de son élection en 1981 qu’elle signe sa première « une » avec un portrait du nouveau président de la République qui lève le pouce, ce qu’elle estime être « une honte professionnelle absolue ».

Sa vie à la rédaction est particulièrement intense, avec des journées de douze heures. Le service photo commence à s’étoffer avec l’arrivée de nouveaux salariés. Chaque éditeur photo est fidélisé sur une partie spécifique du journal et Sylvie est en charge des pages magazine, des pages culture et des fameuses « Unes » consacrées aux grands disparus. Elle développe une réelle écriture visuelle et tente par tous les moyens d’offrir aux lecteurs un nouveau regard « Ce qui nous a poussé à être si créatifs à Libération, c’est que nous n’avions ni temps, ni argent. Le temps était un handicap car nous n’avions pas le temps de faire des recherches très poussées mais à la fois comme nous ne pouvions pas refaire sans cesse les choses, cela nous permettait de prendre des risques ! ». Malgré l’intensité et la difficulté, Sylvie Bouvier s’épanouit par la liberté d’action que la rédaction lui offre. Elle garde un souvenir ému de la une qui annonce la mort de Coluche. « Comme nous n’avions pas beaucoup de moyens, les meilleures photos partaient chez les autres journaux, il ne nous restait que des images vulgaires ou lourdingues. J’ai cherché, je devais trouver, alors j’ai appelé Jeanloup Sieff que je ne connaissait pas à l’époque. Par mon appel il apprend la mort de Coluche et il me confirme qu’il a des photos de lui en ajoutant que c’était un portrait qui n’allait pas nous plaire. Un portrait où Coluche ne se marrait pas et c’est justement ce que je cherchais ! Le coursier est arrivé 45 min avant le bouclage, toute la rédaction a découvert silencieusement ce sublime tirage. C’était la première fois que l’on mettait une photo en pleine page avec le titre en tout petit : « c’est un mec y meurt… ». Le lendemain matin, dans le métro tout le monde avait le journal entre les mains ».

En 1995, d’épuisement Sylvie décide de quitter Libé, elle s’intéresse de plus en plus à la photographie en couleur et recherche de nouvelles collaborations. Elle collabore avec Oliveiro Toscani pour le magazine Colors, avec Nicole Wishniak pour Egoïste, fait des passages plus au moins longs et heureux dans les rédactions du Monde Magazine, l’Evénement du Jeudi, Nouvel Obs, Textuel, Cosmopolitan, Nova magazine ou encore France-soir… Mais elle se rend compte avec frustration que les rédactions sont bien différentes de Libération et que le service photo n’a pas son mot à dire.

En 1998, Françoise Huguier lui confie que Tati souhaite célébrer ses 50 ans, elle propose à Fabien Ouaki de réunir 50 photographes autour du melting pot de l’enseigne bon marché, elle travaille un an durant sur cet ambitieux projet qui débouche sur une exposition au Musée des Arts Décoratifs et un catalogue à un prix très abordable (49,90 Fr).

Elle reprend le chemin des rédactions, soit en piges soit en tant que salariée, mais les expériences sont parfois violentes, souvent déceptives, la poussant à démissionner face à des conditions de travail frustrantes. « On vous embauche parce que vous êtes un ancien de Libé et en même temps ces rédactions refusent de vous donner les moyens et la liberté de faire du Libé ». Elle se lance dans l’investigation et les enquêtes à partir de l’histoire d’une photographie, sa première est publiée dans Nova magazine qui a été le fruit d’un heureux hasard. Claude Maggiori lui confie de compiler une série de photos célèbres en plein négatif et parmi ces images, il y avait le célèbre cliché de Lee Harvey Oswald, assassin présumé de Kennedy lorsqu’il est abattu devant le poste de police. « J’étais persuadée qu’il serait très facile de trouver l’image originale tellement elle est célèbre sauf que ça n’a pas du tout été le cas, je me suis donc lancée dans des recherches qui m’ont amenée dans une montage près de la frontière mexicaine pour rencontrer celui qui avait pris la photo : Robert H. Jackson, alors retraité. Tout le monde connait cette photo, primée au Prix Pulitzer en 1964 mais personne ne connait le photographe et l’histoire autour. J’ai eu 10 pages sublissimes pour raconter cette histoire. »
À partir de là, Sylvie se prend au jeu et décide de trouver de nouvelles enquêtes à mener, suivra celle sur Vivian Maier lorsque ses archives sont découvertes, publiée dans Télérama, ou encore autour d’une photographie de hippies prise par Irving Penn publiée dans M Magazine
Sylvie a même été assistante de production puis attachée de presse de William Klein pour son dernier livre « Paris ».
En parallèle Sylvie se reconvertit en photographe d’illustration et collabore avec les journaux tels que Le Monde ou Psychologie magazine. Aujourd’hui à la retraite, Sylvie Bouvier se consacre aux recherches et aux enquêtes, de nouvelles à venir concernent des inédits d’Irving Penn et de Richard Avedon. À suivre…

Le portrait chinois de Sylvie Bouvier

Si j’étais une œuvre d’art : un mobile d’Alexander Calder.
Si j’étais un musée ou une galerie : la galerie Agathe Gaillard.
Si j’étais un·e artiste (tous domaines confondus): Pina Baush.
Si j’étais un livre : « Robinson Crusoé » de Daniel Dafoe.
Si j’étais un film : plutôt une série HBO,  » The Wire » de Daniel Simon.
Si j’étais un morceau de musique : Stabat mater dolorosa, Vivaldi.
Si j’étais un photo accrochée sur un mur : n’importe quelle photo de Sarah Moon.
Si j’étais une citation : « Faut bien que ça s’arrête pour que ça recommence ! » ma grand-mère Claire Bouvier.
Si j’étais un sentiment : se sentir utile.
Si j’étais un objet : une clef.
Si j’étais une expo : une soirée diapos dans un jardin, en été, sur un drap blanc.
Si j’étais un lieu d’inspiration : à l’ombre d’un arbre.
Si j’étais un breuvage : un diabolo grenadine, avec une paille.
Si j’étais un héros : l’inconnu devant les chars sur la place de Tian’anmen.
Si j’étais un vêtement : un tablier de cuisine en toile bleue.

CARTES BLANCHES DE NOTRE INVITÉE

Carte blanche à Sylvie Bouvier : la Collection de Näkki Goranin (mardi 14 novembre 2023)
Carte blanche à Sylvie Bouvier : Gwenola Furic et la restauration de photographies (mercredi 15 novembre 2023)
Carte blanche à Sylvie Bouvier : la photographie du XIXème siècle et Adolphe-Eugéne Disdéri (jeudi 16 novembre 2023)
Carte blanche à Sylvie Bouvier : Fiuri sunori, la photographie patrimoniale avec Julie Canarelli (vendredi 17 novembre 2023)

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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