Carte blanche à Sylvie Bouvier : Fiuri sunori, la photographie patrimoniale avec Julie Canarelli

Pour sa quatrième et dernière carte blanche, notre invitée de la semaine, la directrice photo Sylvie Bouvier laisse la parole à l’artiste visuelle et commissaire d’exposition Julie Canarelli. « Fiuri sunori » est le fruit de deux ans de travail et de recherche visant à sauver de l’oubli des photos de famille des habitants du village Figari, en Corse. Un projet qui a pris de l’ampleur et qu’elle a exposé puis qui a été publié en juillet dernier. Julie Canarelli nous raconte cette aventure qu’elle a menée en parallèle de son activité à Corsica Luce, un lieu alternatif qu’elle a créé et qui organise à Nonza des expositions et des résidences d’artistes.

 Fiuri Sunori
( Images sonores)

Daniel S m’a téléphoné de Valence ce matin, il avait trouvé le livre Fiuri Sunori cet été à Figari, avait vu l’exposition et le film sur Youtube.
Je ne connaissais pas Daniel S, le fait qu’il me dise que sa mère était originaire de Figari me suffisait.
 Il était tout emballé, me demandant s’il allait y avoir un tome 2.
 Il avait découvert son histoire familiale et celle de son village à travers ce livre et cette exposition. Il m’a demandé si je pouvais appeler sa mère demain, sa mère avait 87 ans vivait sur le continent, loin de la Corse, elle avait adoré le livre, ses parents étaient originaires de deux hameaux de Figari, Tarabuccetta et Ogliastrello et s’étaient mariés dans les années 20. J’ai promis à Daniel de l’appeler demain…

Julie Giuseppi

Lise Giuseppi

Lise Giuseppi

Lise Giuseppi

Ce livre Fiuri Sunori , je l’ai conçu en Juillet 2023 et pendant 2 ans à raison d’une dizaine de jours chaque mois, je suis descendue de Nonza au Cap corse, où je vis, jusqu’à Figari pour collecter les photographies anciennes des habitants du village.
Figari est un village de l’extrême sud de la Corse, qui compte presque quatorze hameaux, de Tivareddu à Ogliastrellu, en passant par Tarabuccetta et Poggiale.

Marie Maud Giuseppi

Marie Maud Giuseppi

C’est surtout à l’automne et en hiver que je suis allée taper aux portes des maisons, quand ne restent aux villages que les anciens, les jeunes étant souvent partis en ville, ou sur le continent.
Ces gens merveilleux, amoureux de leur village, m’ont volontiers confié leurs photographies de famille.
La rencontre avec les habitants avait presque toujours le même rituel :
– «  Intriti, intriti, vuleti un caffé ?
E dunca, seti di Ficari ?
Seti a fiddola di jean jean ?
(Entrez, entrez,Vous voulez un café ?
Alors, vous êtes de Figari ?
Vous êtes la fille de jean jean ?)

Marcellesi Jeanine Pasca Veghjui

Marcellesi Jeanine Pasca Veghjui

Mon parler corse était mauvais, je répondais en français et la conversation continuait moitié en corse, moitié en français.
Les familles ouvraient leurs albums et une image tenue entre leurs mains, chacune me racontait leur histoire familiale.
C’était extraordinaire d’écouter leurs souvenirs qui resurgissaient du passé, intacts : la joie à la fin de la Seconde Guerre mondiale, les jeunes gens insouciants qui font la fête, l’importance des liens familiaux, le sens de l’honneur.
Et aussi la transhumance, lorsque les habitants partaient des hameaux avec leurs troupeaux depuis la plaine de Figari le jour de la Saint Jean, pour passer l’été à la montagne à Carbini, Levie , ou Foci d’Olmo .
Bien sur, j’y découvrais beaucoup de photos de réunions familiales, de Mirendella, ces pique-niques que l’on fait en Corse le lundi de Pâques.
Des images de chasse aussi, des hommes armés de fusils, les fusils sont présents sur les images du Sud de la Corse, on les trouve très peu dans le Nord.
Ainsi que des images de jours d’élections. La politique tient une place importante dans les villages. «  E viva u meru » (vive le maire) criait-t-on au moment du résultat des élections, ceci accompagné de salves de tirs au fusil.
Aujourd’hui ces traditions se perdent mais les photos parlent encore….

Santa Canarelli

Pierre Canarelli

Depuis 2021, j’avais collecté plus de quatre cent photographies en noir et blanc.
Je les ai empruntées pour les scanner, les restaurer, sans systématiquement en effacer les traces du temps que je trouvais émouvantes.
Ensuite il a fallu sélectionner les images : j’ai retenu d’emblée celles qui peuvent par leur esthétique s’insérer dans une histoire de la photographie.
Mais aussi celles qui ont un important intérêt sociologique, mémoriel.

Francoise Doyenne

Anne Marie Bouygues

De lanfranchi

Le projet de l’exposition a été conçu comme l’exposition d’un collectionneur.
Ces photographies qui au départ étaient pour les habitants de simples photographies de famille, je les voulais par mon travail de sélection, de restauration, de choix d’agrandissement en tirages photographiques 30×40 leur permettre d’accéder au statut d’images de collection.
La scénographie dans la salle des fêtes de la mairie de Figari, photographies exposées au mur ou sur des tissus blanc a permis de rehausser leur statut.
L’exposition a eu lieu de Juillet à la fin du mois d’Aout, une trentaine de photographies ont été exposées.
Le vernissage a permis aux habitants ainsi qu’aux familles de Figari qui vivent sur le continent l’hiver de revoir ces images.
Le livre a eu un réel succès et a été acheté au delà du public de Figari par des passionnés de photographie.
C’est grâce à l’aide financière de la mairie de Figari, de la communauté des communes du sud et la collectivité de Corse que cette exposition ainsi que le livre Fiuri Sunori ont pu exister.

Mon projet me semblait abouti mais le coup de fil de Daniel S me fait soudain réaliser qu’il n’en est rien.
D’autant plus qu’il va me montrer les 30 photographies de famille qu’il a retrouvées.
Alors, je crois bien que cet automne et cet hiver, je quitterai à nouveau le Cap corse, pour continuer à sauver de l’oubli de nouvelles photos de famille, et surtout de découvrir toutes les vies qu’elles contiennent.

Julie Canarelli

Julie Canarelli est une artiste visuelle et une commissaire d’exposition
Elle a publié plusieurs ouvrages dont Nonza, Albums de Famille ou Empreintes Méditerranéennes.
En 2018, elle crée Corsica Luce, un lieu alternatif qui organise à Nonza des expositions et des résidences d’artistes. Elle promeut surtout les artistes insulaires.
https://corsicaluce.com/

INFOS PRATIQUES
Livre » Fiuri Sunori »
Editeur Corsica Luce, 155 pages,
Diffusé par Corsica Luce à Nonza 20217 ou Mairie de Figari 20114
Prix 30 euros

Film «  Fiuri Sunori » sur You Tube, musique originale de Carmin Belgodére