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Pour sa troisième carte blanche, notre invitée de la semaine, la directrice photo Sylvie Bouvier se tourne vers le passé en confiant cette édition à François Boisjoly. Difficile de présenter François autour d’un seul métier, bien qu’il soit photographe, il est un grand passionné de la photographie du XIXème siècle et a constitué une immense collection de photo cartes, recensement accessible au public ou aux historiens via le site photo-carte.com. Il partage avec nous un focus sur Adolphe-Eugène Disdéri (1819-1889), l’inventeur des photos-carte. En 2015, il créé le du musée de l’appareil photo à Saint-Bonnet de Mure (69) et en décembre prochain, il inaugure le musée Nikon, le premier au monde du genre en dehors du Musée de Tokyo.

Autoportraits Adolphe-Eugène Disdéri

Adolphe-Eugène Disdéri, inventeur des photos-carte

Né le 28 mars 1819 à Paris, Disdéri est le fils aîné d’un marchand de toiles. Il semble qu’il aurait étudié la peinture entre 12 et 18 ans, mais ses talents médiocres ne lui permettent pas d’embrasser une carrière d’artiste. Entre 1837 et 1840, il fait partie d’une petite troupe de théâtre à Grenelle, en banlieue parisienne. A la mort de son père, il est dessinateur et a sa famille à charge. Après avoir été commis voyageur de 1840 à 1844, puis fabricant de lingerie au 14 rue du Cadran (il fait faillite l’année suivante). Il tient ensuite un commerce de bonnèterie au 54 rue Bourbon Villeuneuve qui fait également faillite en 1847.

Il quitte Paris en 1848 pour s’installer à Brest et ouvrir son premier atelier de photographie, activité qu’il couple avec celle de comptable pour boucler les fins de mois. Il pratique cependant la photo depuis 1847. Il se déclare “peintre“ et “artiste topographique“ alors que le registre de la Garde Nationale de Brest le mentionne alors comme comptable jusqu’en 1851. S’engageant dans la politique, il regagne Paris pour défendre la République. Le 10 avril 1858, il quitte les prisonniers politiques en criant : Vive la république démocratique et socialiste ! Le sous-préfet de police de Brest le décrit ainsi dans un rapport destiné au préfet:“… Le sieur Disdéri a des opinions républicaines très avancées. On peut sans crainte d’erreur le ranger parmi les ennemis du gouvernement. Il tire ses moyens d’existence de la fabrication de daguerréotypes. Sa conduite privée est régulière, l’exaltation pour lui est dans les idées et non pas dans les actes. Il a des relations avec les meneurs du partie Socialiste de Brest…“ (archives du Finistère. Lettre du 15 mars 1850).

Laborieux débuts

Bien que les rapports de police le nomme daguérréotypiste, Disdéri se considère comme peintre. A cette époque, sa femme exécute des réhaussements dorés sur les daguerréotypes. L’une de ses relations intimes à Paris est Joseph Diosse (élève de Daguerre) peintre de décors pour le théâtre et le diorama. Ils s’associent pour ouvrir un atelier à Brest, 42 rue du Chateau. Les 110 mètres de dioramas qu’ils réalisent, partent ensuite pour Nantes en 1852. A la fin de cette année, il quitte Brest pour gestion désastreuse, abandonnant alors sa femme et son fils Jules, seul de ses 5 enfants à passer l’âge de l’enfance. Mme Disdéri continue l’activité, utilisant le cachet Disdéri, à une nouvelle adresse, 65 rue de Siam. Elle réalise de nombreuses vues de Brest et de ses environs en 1858.

Disdéri se rend à Nîmes à la fin de l’année 1852. Il travaille le collodion et le papier ciré découvert par le Gray en 1851. Il travaille à améliorer les procédés. Le public manifeste de plus en plus d’intérêt pour les photographies fort bien composées et ses tirages très pales. Ses productions sont de plus en plus importantes et sa technique bien aboutie. Il écrit en 1853 le “Manuel opératoire de photographie pour collodion instantané“. Il revient à Paris en 1854 comme photographe professionnel.

La carte de visite

Le 24 août 1851, monsieur Dodero, photographe à Marseille, imagine d’adjoindre une petite photographie sur les cartes de visite, à côté des noms, titres et adresse de l’intéressé.

Le 3 juin 1854, le journal annonce l’installation de Disdéri & Cie à la maison de Robert Houdin, 8 boulevard des italiens. Le local comprend deux étages, avec une pièce pour les réceptions, le laboratoire, un salon pour les dames, un atelier d’encadrement et un studio de prise de vue. Il fait équipe avec le photographe Baldus le même mois, lors d’un concours agricole au champs de mars et y réalise 60 épreuves.

En novembre 1854, il monte une exposition qui lui vaut les commentaires élogieux de Lacan et Moigno. Après cette première exposition, il dépose un brevet pour la photo carte de visite. Divisant la plaque au collodion humide en 6 parties, il expose chaque partie, soit simultanément, soit les unes après les autres, donnant des images 6×9 cm. Cette image une fois tirée par contact, peu ensuite être collée au dos d’une carte de visite imprimée ou d’un carton.
Ces photographies de petites tailles, destinées aux collectionneurs et aux albums familiaux, seront vendues au rythme de plusieurs milliers par jour. Entre 1864 et 1866, plus de 400 millions de photos-carte seront vendus.

Disdéri décide alors de créer une seconde entreprise, la “Société du Palais de l’Industrie“. Cette nouvelle entreprise lui permet de réaliser les photographies de tous les objets de l’Exposition Universelle de 1855. A cette époque, cette société compte 77 employés, dont Pierre Petit qui s’installera plus tard à son compte. Disdéri réalise des portraits dits “grandeur naturelle” qui lui firent avoir une médaille de première classe à l’exposition d’Amsterdam en 1855. Le 7 janvier 1856, c’est une nouvelle faillite personnelle et professionnelle de ses deux sociétés. Disderi est emprisonné le temps de l’inventaire de tous ses biens. Contre toute attente alors qu’il a 56 000 fr de dette, sa société obtient le droit de continuer d’exercer, en diminuant le nombre de ses employés. Mais le 24 décembre 1856, le studio est vendu aux enchères à Hamilton. Disdéri continue cependant d’en assurer la direction.

Autoportrait, Adolphe-Eugène Disdéri

Gloire et richesse

Sa réussite débute réellement en 1859. Une légende court sur la visite de Napoléon III dans son atelier, lors de son départ en mai pour l’Italie. La carte de visite, jusqu’alors réservée aux milieux avants-gardistes et aisés, devint à la mode. Il utilise au début un appareil à 6 objectifs, permettant d’obtenir six vues simultanées ou différentes sur la même plaque. Il met ensuite au point un second appareil à 4 objectifs, avec châssis coulissant permettant de réaliser 8 clichés sur la même plaque. Sa production est alors énorme. Disdéri exécute sous le format carte de visite les personnalités de la politique et du théâtre, provoquant alors une diffusion très populaire. En 1862, un portrait grandeur naturelle coûte 100 francs, alors que les cartes sont vendues 30 francs les 25 copies de 2 poses, 50 francs les 50 copies de 3 poses et 70 francs les 100 copies de 4 poses. Telle est l’annonce parue dans le Figaro de 1862. En 1863, Disdéri inventa même la carte mosaïque.
En 1863, pas moins de 125 portraits sont ainsi largement diffusés. La noblesse, les politiques, les militaires, et les gens de théâtre défilaient dans son atelier.

En 1862, Disdéri obtient la médaille d’or à l’exposition de Londres pour ses épreuves agrandies. En mars 1865, il ouvre une succursale à Madrid, et transforme une maison de Londres en un luxueux studio. Il y réalise les cartes de visite de la reine Victoria, du prince de Galles, et de nombreuses personnalité anglaises.En 1868, il ouvre un autre studio, pour portraits équestres, à Hereford Lodge, équipé d’une machine électromécanique mue par une machine au gaz. Cela lui permet de pouvoir tirer jusqu’à 1 500 épreuves par jour en l’absence de soleil.
Il propose de constituer un service photographique des armées, mais son idée n’est pas suivie par Napoléon III.

Vers 1868, restructuration de l’atelier parisien et nouveaux investissements en matériel: le format “carte cabinet“ apparaît.

Le déclin

En 1872, la femme de Disdéri, qu’il avait abandonné à Brest, vient à Paris et ouvre un studio photo au 146 rue du Bac.

1874 est le début du déclin et des revers de fortune pour Disdéri. Il déménage au 6 Bd des Italiens, cédant ses ateliers du n°8 au photographe Tourtin. Après avoir vendu ses négatifs (dont une grande partie est rachetée par l’éditeur Pougnet) et son matériel photographique, il vent sa Firme en 1877 au photographe Délié qui se baptise lui-même “successeur de Disdéri”.
Disdéri part en 1879 à Nice et s’y installe comme photographe avec Numa Blanc fils au 15 boulevard des Anglais, puis début 1883, il déménage au 11 boulevard des Anglais. Fin 1883, il s’installe au 31 & 33 boulevard Dubouchage jusqu’en 1886. Il travaille ensuite avec le photographe A. Pasquier au 3 boulevard Dubouchage. Il le quitte en 1887 pour occuper le 15 Promenade des Anglais. Il quitte Nice pour retourner à Paris en 1889.

Il meurt âgé de 64 ans à l’hôpital Saint Anne en octobre 1889, dans le dénuement le plus complet.

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INFOS PRATIQUES DU MUSÉE
Musée de la photographie et de la marque Nikon.
Saint-Bonnet de mure (près de Lyon).
Contact Thierry Ravassod
06 11 95 44 87

La Rédaction
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