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Partager Partager Temps de lecture estimé : 5minsPour sa première carte blanche, notre invitée de la semaine, Julia de Bierre, fondatrice et directrice de la très singulière galerie Huit à Arles nous dévoile la terrible histoire qui se cache derrière l’exposition que nous découvrirons en 2024 intitulée The Colour of Memory et organisée en collaboration Photo Doc. Une histoire qui naît à l’ambassade de Somalie à Paris aux côtés du photographe James Bain Smith pour rencontrer son Excellence Saïd Farah… Au printemps 2011, je suis une des rares personnes à franchir le porche grandiose de l’ambassade de Somalie à Paris, située dans le 16ème arrondissement. Accompagnée par le photographe James Bain Smith, nous venons nous entretenir avec Son Excellence Saïd Farah, digne ambassadeur d’un pays qui, depuis la féroce guerre civile qui a suivi la chute du dictateur Siad Barre en 1991, n’existe plus en tant qu’Etat en fonction – c’est à dire depuis 20 ans. A la différence de la majorité des ambassades somaliennes à travers le monde qui ont fermé leur portes, Saïd Farah a choisi la résistance, se battant à sa façon pour que le drapeau somalien flotte toujours à Paris, travaillant et vivant seul dans cet hôtel particulier déserté, où les lignes de téléphone ont été coupées suite aux factures impayées par un gouvernement fantôme, et où le chauffage ne fonctionne plus faute d’argent pour assurer la maintenance et les réparations. Dans le Salon de l’Ambassade de la Somalie, 2011 © James Bain Smith Dans le Salon de l’Ambassade de la Somalie, 2011 © James Bain Smith Tandis que son épouse et ses enfants ont trouvé refuge au Canada, Son Excellence Farah a mis un point d’honneur à rester en poste en France, où entre autres tâches il aide les ressortissants somaliens réfugiés et sert d’interprète auprès des pirates somaliens – souvent très jeunes- languissant dans les prisons françaises. Une vingtaine en tout, qui a troqué une vie normale de pêcheur pour la piraterie, du fait de la déliquescence de l’Etat somalien, où un long littoral sans garde-côte est devenu un dépotoir idéal pour navires de toutes origines. Dans un immense salon, dont la décoration date des années 70, meublé de fauteuils cossus recouverts de velours épais, nous buvons un verre d’eau, sous une tapisserie façon troubadour et des tableaux contemporains aux couleurs vives d’un artiste somalien, égayant le style pompeux des stucs Louis XVI. Personnage clef d’un groupe d’intellectuels somaliens au service de la paix et de la démocratie, Farah Saïd explique avec un sourire qu’il s’est fait des ennemis, en particulier chez les intégristes somaliens affiliés à Al Qaeda. Il mentionne que jeune homme, il était étudiant à l’École supérieure de journalisme de Lille, et qu’il garde de cette formation une passion pour la liberté d’expression et l’information. Dans le Salon de l’Ambassade de la Somalie, 2011 © James Bain Smith Pendant que nous parlons, je remarque des morceaux de plâtre blanc qui tombent du plafond fissuré, tels des flocons de neige – nous apprendrons plus tard que le toit de l’immeuble commence à s’effondrer. J’entraperçois au détour d’une porte ouverte, des piles de dossiers jonchant le sol, abandonnés par le personnel ayant un à un quitté ce Titanic chavirant. En sortant de l’Ambassade, je me suis dis que nous étions en présence d’un véritable unsung hero, un héros méconnu qui était en train de sacrifier sa vie de famille et sa santé dans l’espoir que son pays ravagé puisse renaître de ses cendres. Les photographies qui ont été prises ce jour-là devaient faire partie d’une exposition estivale à la Galerie Huit Arles, où je souhaitais mettre en avant la Somalie, mais finalement, ce sont des images prises sur le terrain, à Mogadiscio, par le grand photojournaliste Pascal Maitre, spécialiste de l’Afrique, qui ont été accrochées. Notre ami l’Ambassadeur a continué inlassablement à défendre sa cause, en costume-cravate, au milieu des décombres de son palais, et les années passant, épuisé, il a enfin quitté la France pour rejoindre sa famille devenue canadienne, son pays continuant à subir conflits, crises politiques et sécheresses battant tous les records. Présentation sur notre stand au Salon Photo Doc Paris, 2022 En 2022, au salon Photo Doc, nouvelles écritures de la photographie documentaire, à Paris, j’ai choisi d’exposer quelques images de cette série « ambassade » sur mon stand, le sujet somalien restant toujours cher à mon âme de galeriste engagée. Je m’attendais à une indifférence polie – les photos d’intérieurs délabrés étant récurrentes et souvent appréciées plutôt pour leur teneur pittoresque que pour la pertinence de leurs histoires – mais l’intérêt manifeste suscité par cette série et les questions posées m’ont surpris. De fil en aiguille, les visiteurs ont compris qu’il y avait une narration plus intime, entremêlée dans le drame plus vaste d’un pays et de son ambassade à l’abandon …et que le snapshot encadré, qui se trouvait par terre au milieu de vieux papiers, représentant un jeune somalien de 25 ans sur une plage à Lamu, photo prise bien avant la guerre civile, n’était pas une image fortuite et que cette personne ne m’était pas inconnue. Maintenant, avec mes collègues de Photo Doc, championnes des enquêtes personnelles travaillant sur le temps long, je me permets de plonger dans le mystère caché de ce lointain passé, vécu à deux et dont je suis la seule survivante aujourd’hui. A suivre à Arles et Paris en 2024 : The Colour of Memory, une collaboration avec Photo Doc. Favori0
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