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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe Arnaud Baumann, a sélectionné avec soin les rencontres qui ont marqué sa carrière de photographe. Il nous raconte notamment celle avec les génies d’Hara Kiri qui a littéralement bouleversé ses orientations professionnelles. Si Arnaud devait se destiner à une carrière dans l’architecture, c’est grâce au célèbre magazine satirique de François Cavanna et du « professeur Choron » qu’il décide de faire de la photographie sa profession.

Hara Kiri

Quand on déroule devant soi le tapis de sa vie, on réalise combien certaines rencontres s’avèrent déterminantes au cours d’une existence. En amour comme en amitié elles influent sur nos choix. Par manque de culture, d’éducation, de confiance en soi, ou même par excès de fierté, il arrive parfois de rater bêtement une bifurcation en ignorant la rencontre. Il en est d’autres, tellement fortes, qui s’imposent. Celles avec les génies d’Hara Kiri (Gébé, Reiser, le Professeur Choron pour ne citer que ces trois là…) ont largement bouleversé mes orientations professionnelles. Ces mauvaises fréquentations m’ont sans doute m’éclairé sur la route à ne pas prendre. Mes études d’architecte n’avaient pas de sens et m’auraient conduit à une impasse. J’ai publié ma première photo dans Hara Kiri.

Xavier Lambours

Couverture du livre « Dans le ventre de Hara Kiri », Éditions de La Martinière 2015

Dans les années 70, une amitié avec l’autre moi même qu’était le photographe en devenir Xavier Lambours*, m’a apporté un compagnonnage et contribué à tracer ma voie dans la presse. Dans les années 80, Xavier, l’un des portraitistes les plus doués de notre génération, en est devenu le chef de fil. La Médiathèque du Patrimoine et de la photographie** va rassembler nos archives, les conserver et les rendre accessibles à qui voudra s’y intéresser. Il faut savoir ne pas encombrer ses enfants de bagages trop encombrants.

*Nous avons raconté notre expérience commune dans le livre « Dans le ventre de Hara Kiri » (Éditions de La Martinière 2015)
** https://mediatheque-patrimoine.culture.gouv.fr

Pacôme Thiellement

Pacôme Thiellement, explosion solaire au café L’Artiste, Paris 11è, 2 novembre 2012 © Arnaud Baumann

Une autre de mes rencontres concerne l’écrivain Pacôme Thiellement*. Un personnage hors normes que je n’ai cessé de photographier depuis 15 ans, ne serait-ce que pour son look barbu chevelu, qui relègue Marx ou Hugo au statut d’amateurs. Il aura envahi les réseaux sociaux de ses réflexions d’exégète, en particulier sur Facebook, qu’il quittera un jour subitement, tel un drogué décide de son sevrage en apprenant qu’il risque sa peau. Le cinéma, la musique, la bande dessinée, la peinture, la politique, l’amour, l’Internet et même la ville de Paris et l’Empire romaine, sont autant de terrains de jeu soumis à ses analyses savantes développées dans une trentaine d’ouvrages aux milliers de références alors qu’il n’a que quarante-huit ans. Ses interventions sur BLAST, des « Infernet » à « L’empire n’a jamais pris fin » en passant par « La fin du film », véritables décryptages ou démontages des histoires et de l’Histoire, sont autant de voyages culturels qui nous aident à décrypter le monde. Autant dire que BLAST fait partie des fenêtres intelligentes, qui donnent un sens à l’Internet.

*Pacôme Thiellement sur BLAST

Muzo

Portrait de Muzo © Arnaud Baumann

Peinture Muzo au 148 © Arnaud Baumann

J’ai toujours préféré la compagnie des peintres à celle des photographes. Ma première acquisition d’une toile date de quarante ans. Un tableau de Muzo, réglé en dix mensualités, dont je ne me suis jamais lassé. Le groupe d’artistes dont font aussi partie Olivia Clavel, Placid, Captain Cavern, Kiki Picasso, Anne van der Linden et bien d’autres, représentent une famille que je n’ai cessé de photographier, certain(e)s nu(e)s pour le premier livre « Carnet d’adresses », la plupart sous la douche d’un verre d’eau pour l’album « Eau secours » et plus récemment en « Artistes peints » qui sera probablement le prochain. Je leur demandais de se tatouer de leur art. Muzo fut l’un des premiers à jouer le jeu. Son univers coloré nous entraîne souvent vers le noir, l’autodérision et le désespoir lié au ridicule de l’existence. J’adore.

Site du dessinateur et peintre Muzo : https://toutmuzo.fr/peintures.php

Galerie Corinne Bonnet et Studio Idan

Hung out to dry © Brooke Shaden / Studio Idan

Après un parcours de quarante ans dans la presse, franchir la porte des galeries passe par la rencontre de personnes susceptibles de déceler une autre dimension dans mon travail. En 2013, lors d’une exposition collective à Lorient, j’ai eu la chance de faire la connaissance de Corinne Bonnet*, fondatrice de la galerie du même nom, située rue Daguerre, la bien nommée pour un photographe. À moins d’être un artiste plasticien installé, habitué à produire pour une galerie, exposer de la photographie nécessite un retour sur son passé. L’examen de mes archives avec le regard extérieur de Corinne, m’a conduit à les exposer et en faire des livres. Depuis 2018, je n’ai cessé de répondre à des propositions d’expositions rétrospectives. La dernière en date, je l’ai consacrée exclusivement à mes portraits réalisés dans les années 90 à 2000 : « ICONIC PORTRAITS » à la galerie du STUDIO IDAN** à Paris. Entré dans ma septième décennie, je deviens donc un jeune photographe de galerie, toujours ouvert à de nouvelles rencontres. Cela me conduit à parler de ce nouveau lieu parisien dédié à l’image – installé à proximité du Centre Pompidou – créé en 2023 par le photographe Idan Wizen. Courageuse entreprise, lorsque l’on sait la difficulté d’attirer le monde secret des collectionneurs. Le 14 mars prochain, seront montrées pendant deux mois, les œuvres de Brooke Shaden**, photographe américaine aux 243 000 followers sur son Instagram. Ridicules comparés aux 864 sur le mien. Mdr.

*La galerie Corinne Bonnet n’a malheureusement pas survécu à la période du Covid
*Soirée de clôture ICONIC PORTRAITS d’Arnaud Baumann et vernissage « Au-delà des Rèves » de BROOKE SHADEN
https://www.studio-idan.fr/fr/la-galerie-du-studio-idan/agenda-exposition-photo-art

jeu11jan10 h 30 minlun11mar19 h 00 minArnaud BaumannIconic PortraitsStudio Idan, 43 rue Beaubourg 75003 Paris

Agnès Grégoire

Comment ne pas évoquer la mémoire d’Agnès Grégoire, la rédactrice en chef du magazine PHOTO ? Elle aimait la photo et elle était l’amie de tous les photographes. Je fais partie de celles et ceux qui ont eu la chance de la côtoyer professionnellement et amicalement. Plusieurs mois après son départ, je ne parviens pas à me convaincre de ne plus jamais croiser son regard pétillant ni entendre sa voix au timbre cristallin. Sa conversation va nous manquer, toujours positive, quelle que soit la tristesse de l’actualité ou sa déception du moment. Je me suis souvent demandé comment elle parvenait à rester si disponible lorsqu’on échangeait avec elle au téléphone y compris un jour de bouclage. Elle est de ces êtres qu’on aime éternellement. Soutenons PHOTO qu’elle a fait évoluer avec sa liberté féministe vers un regard moderne, en bonne complicité avec les photographes et les partenaires du métier.

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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