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Quelles sont les rémunérations quand on exerce le métier de photographe ? C’est la question que s’est posée le Comité de Liaison et d’Action pour la photographie (CLAP) qui réunit cinq agences et collectifs. Il est difficile de connaître avec exactitude le revenu moyen d’un photographe car ce métier est complexe à bien des égards. En fonction de la nature de ce qui est photographié, votre statut change et vous ne dépendez pas des mêmes structures administratives, vous pouvez même dépendre de ministères différents. De plus, le métier de photographe étant souvent pratiqué en indépendant (le salariat représentant une part infime), les revenus sont irréguliers d’un mois sur l’autre, voire d’une année sur l’autre, rendant la tâche d’évaluation de la rémunération encore plus difficile.

NDLR : Toutes les photographies publiées dans cet article proviennent de l’IA générative ou de micro stock gratuits. Nous avons imaginé un monde sans photographe… Pardon par avance…

L’année passée, le CLAP avait publié la mise à jour de son étude sur la visibilité de la scène française dans les manifestations et les institutions. Si une conviction planait sur son manque de représentativité, les chiffres étaient sans appel, les grandes institutions françaises, parisiennes pour la plupart, ont cette fâcheuse tendance à bouder la création nationale, sans penser aux répercussions que cela peut occasionner. C’est donc dans cette continuité que le CLAP s’est penché sur la problématique de la rémunération des photographes et de leur niveau de vie.

Cette photographie est nulle et ne raconte pas grand chose, mais elle est gratuite !

Une nouvelle enquête dans l’ADN du CLAP

« Depuis 30 ans il a fallu faire plusieurs « virages » et s’adapter. Le premier a été le virage numérique, au-delà du coût que cela représentait, il a fallu s’adapter et se former. Le second, que nous vivons depuis plusieurs années maintenant, est d’être présent sur les réseaux pour faire connaître notre travail et notre activité. Tout cela demande une réelle capacité d’adaptation et nécessite de passer beaucoup plus de temps devant les écrans. Aujourd’hui nous devons cumuler plusieurs métiers en un. Je pense qu’il y a 20 ans je passais les deux tiers de mon temps à faire des photos, maintenant c’est à peine le tiers ! » – Photographe auteur de l’Hérault ayant débuté son activité en 1991.

Frédérique Founès, Présidente du CLAP et fondatrice de Signatures, une agence de photographes auteurs, nous explique comment est né ce projet d’enquête : « Cette nouvelle action s’inscrit parfaitement dans l’ADN du CLAP, nous sommes nés de la campagne #payetaphoto lancée en 2018, il était logique que nous puissions montrer les répercussions du non-respect des droits d’auteur à travers cette enquête. Dans nos structures nous remarquons une baisse des revenus, on sent depuis un moment cette paupérisation et cette tension. Cela a commencé par l’arrivée du numérique début des années 2000, avec une accélération il y a environ 10 ans. Nous avons lancé Signatures en 2008, à cette époque-là, notre activité se portait bien, puis lentement la situation s’est dégradée et j’estime le climax vers 2017 – 2018, soit peu de temps avant la crise sanitaire du covid qui n’a pas arrangé la situation, loin de là. Tous les secteurs de la photographie sont touchés, au départ nous travaillions essentiellement avec la presse, aujourd’hui ce n’est plus que 22% de notre chiffre d’affaires pour un temps de travail encore très conséquent puisqu’elle nous mobilise la moitié de notre temps. Il y a eu l’arrivée des forfaits des agences filaires et des micro stocks, qui nous ont fait perdre énormément de clients, n’ayant pas le même volume d’images, il était impossible de nous aligner financièrement. Du côté culturel, les choses ont un peu bougé avec les recommandations du ministère de la Culture qui a rattrapé des structures qui ne payaient pas le droit de présentation publique pour les expositions avec un barème minimal à respecter. Avant cela, j’avais quand même entendu un responsable de musée à Bordeaux me dire qu’il mettait un point d’honneur à ne pas payer les photographes ! Cela a beaucoup aidé, mais malheureusement il y a eu un effet pervers avec les structures qui rémunéraient bien les photographes, elles ont réduit les droits pour s’aligner aux tarifs minimaux. Là encore, nous avons perdu des revenus… »

« Après 6 ans au RSA, mon activité de photographe a commencé à être fructueuse en 2018. J’ai eu la chance de continuer à travailler pendant le covid quand les salles de spectacles ont réouvert malgré l’absence de public. Depuis, mon activité est en progression, mais le temps passé à travailler également. Certains contrats au long cours me rapportent moins qu’un smic horaire mais ils sont nécessaires pour maintenir mon activité à flot. C’est difficile d’un point de vue psychologique, mais j’aime mon métier et je ne suis pas prêt à l’abandonner. Beaucoup de festivals ou salles de spectacle avec qui je collabore n’avaient jamais rémunéré de photographes, mais à force de pédagogie, les choses commencent à changer. » – Photographe auteur en Ille-et-Vilaine ayant débuté son activité en 2011.

Alors s’agit-il de phénomènes isolés ou bien le secteur de la photographie est-il réellement dans une situation délétère ? À la lecture de cette enquête, plusieurs éléments de réponse sont apportés.
À l’automne 2023, le CLAP a partagé un formulaire à destination des photographes professionnels pour qu’ils puissent renseigner le montant de leurs rémunérations, à l’heure où l’inflation subit ces deux dernières années est particulièrement importante, avec +5,2% pour l’année 2022 et +4,9% en moyenne pour l’année 2023. De manière anonyme, les photographes ont ainsi pu communiquer leurs revenus déclarés pour l’année fiscale 2022. Pour tenter d’établir l’évolution des revenus, les photographes ont également pu soumettre leurs revenus pour l’année 2019 (avant la crise sanitaire du covid) et pour ceux et celles qui étaient déjà en activité, inscrire leurs revenus dix ans auparavant, c’est-à-dire en 2012. Le formulaire a également permis de recueillir différents commentaires sur leur situation. Ils ont été plus de 1.000 photographes vivant et travaillant en France à avoir participé à cette enquête. L’échantillon était-il suffisamment représentatif pour faire un état des lieux d’un métier qui représente environ 26.000 photographes selon une enquête de l’INSEE datant de 2018 ? À cela Frédérique Founès nous indique « nous avons été surpris des premiers résultats, les rémunérations étaient plutôt hautes, mais plus les jours avançaient, plus la participation augmentait et plus les chiffres baissaient. Nous sommes rapidement arrivés à des moyennes de rémunération assez basses et très constantes. Nous nous étions fixé un objectif de 500 répondants avec la possibilité de prolonger les délais de participation, mais il est apparu très vite que malgré le nombre de répondants, les résultats n’évoluaient plus. Il paraissait inutile de continuer à collecter de nouvelles données. »

« 2022 a été une année exceptionnelle grâce à plusieurs bourses que j’ai remportées et un contrat à durée déterminée. 2023 sera plus proche de mes années moyennes, un peu moins de 30.000€ de revenus. Quand j’ai commencé et jusqu’en 2018 environ, je travaillais pour plusieurs titres de presse, notamment à l’étranger, aujourd’hui je n’ai plus que deux clients en presse. Heureusement, j’ai eu la chance de trouver un client en corporate depuis 3 ans qui augmente le nombre de mes prestations chaque année. Mes revenus d’une année sur l’autre sont irréguliers. Je cherche un modèle économique que je ne trouve pas, étant tributaire d’un nombre de « clients » extrêmement réduits. » – Femme photojournaliste en Ile-de-France, en activité depuis 2004.

Quelles rémunérations pour les photographes du territoire ?

L’étude commence par s’intéresser aux profils des photographes ayant répondu à ce formulaire. En majorité, à 38,8% les photographes de cette enquête vivent et travaillent en région parisienne, on note un bon équilibre au niveau du genre avec 53,4% d’hommes et 44,6% de femmes photographes (pour 2% restants de non binaires ou non renseignés). Ils sont presque un tiers à cumuler plusieurs statuts et ce sont en majorité (53%) les photographes auteurs (affilié à l’URSSAF Limousin) qui ont participé à cette enquête. Viennent ensuite les photographes déclarés sous le régime d’autoentreprise (à 19%), un statut qui est de plus en plus plébiscité par les photographes indépendants, pour la simplicité et l’allègement administratif, mais qui ne répond pas aux spécificités du métier. Les charges sont redevables sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices, et le plafond de ce régime impose de ne pas réaliser plus de 77.700 € de chiffre d’affaires par an, avec des frais non déductibles. Les revenus sont donc moins importants et aucune cession de droits d’auteur n’est prévue par ce statut juridique, ce qui va à l’encontre du respect des droits d’auteur. Ensuite dans le panel, à 14% et 13%, on retrouve respectivement les photojournalistes et les photographes artisans. Sur leur ancienneté, ils sont en majorité (30,9%) à avoir créé leur activité entre 2004 et 2013 et cumuler entre 10 et 20 ans d’expérience, arrive ensuite à 22,4% des photographes ayant entre 5 et 10 ans d’expérience. Au sein du CLAP, ils ont souhaité privilégier l’expérience plutôt que l’âge, qui n’apporte pas de renseignements suffisamment concrets dans la mesure où un photographe peut débuter tardivement.

Alors oui cette photographie n’a rien à voir avec notre article, mais on l’a trouvé « drôle ».
Et puis elle est gratuite !!

« J’ai personnellement un meilleur niveau de vie qu’il y a quelques années mais j’ai conscience d’être un cas isolé. Et c’est au prix d’une forme de surmenage. C’est dû essentiellement à une activité forte avec deux importants clients, ce qui est une forme de précarité sur l’avenir. Il y a toujours ce sentiment que le refus d’une commande peut entraîner le risque de ne plus être appelé, cette inquiétude permanente du lendemain est pesante et j’éprouve de grande difficulté à prendre des vacances. Par ailleurs il est impossible de négocier des prix qui sont pour la plupart à la baisse. » Photojournaliste et photographe auteur basé à Paris ayant débuté son activité en 1998.

Sur le millier de photographes participants, ils sont 62,7% à confier que leur métier de photographe ne répond pas à leurs besoins financiers, dans le détail pour l’année 2022 de rémunération nette avant impôts, la majorité à 24,8%, a perçu moins de 5.000€. Soit un revenu maximal mensuel de 416€, ce qui est presque 200€ de moins que le revenu de solidarité active qui s’élève à 607€. Un chiffre inquiétant et qui de plus est stationnaire comparé à la période de 2012. Ce qui signifie que pour un même montant de rémunération, aujourd’hui, face à l’inflation le niveau de vie est davantage dégradé. Une photographe basée à Paris témoigne « Je travaille principalement en argentique et l’explosion du prix des pellicules est de plus en plus difficile à gérer. »

« J’ai eu la chance d’être lauréat de la grande commande de la BnF et donc de toucher 22.000 euros. Avant je vivais de mon activité d’artiste de rue, et de quelques prestations pour de l’événementiel principalement rémunéré en liquide. Avec la BnF, j’ai perdu les minima sociaux, j’étais plus « riche » avant ! » – Photographe auteur ayant débuté son activité il y a plus de 10 ans.

D’ailleurs parmi les participants, on apprend qu’ils sont 16,43 % à percevoir la prime d’Activité et 7,54% à bénéficier du RSA d’Activité.
Sur le reste du panel, ils sont 19,1% à percevoir entre 10.000 et 20.000€,  18,5% à avoir une rémunération entre 5.000 et 10.000€. Pour les tranches entre 20 et 30.000€ et 30 à 40.000€ les chiffres sont légèrement à la baisse depuis 2012 avec respectivement 16,3% et 9,4%. Enfin pour les rémunérations les plus hautes, on note une légère augmentation pour arriver à 5,4% des répondants pour la tranche 40-50.000€, 3% pour les 50-60.000€ et 3,5% pour les photographes percevant plus de 60.000€.

Un métier qui se féminise et qui se paupérise

Voici ce qu’une plateforme d’IA générative peut vous proposer si vous indiquez « femme photographe pauvre »… On n’a pas compris non plus…

« J’adore mon métier, mais j’ai beaucoup d’angoisses, je ressens aussi une forme de vulnérabilité et d’injustice. Je travaille comme photographe au Parlement européen lors des sessions parlementaires. Une journée de dix heures est payée 300€ comparée aux salaires des parlementaires c’est vraiment indécent. Mon chiffre d’affaires est correct mais après la déduction de mes frais de fonctionnement, des impôts et des cotisations sociales, je finis dans le seuil de pauvreté chaque année. Et pourtant je m’estime chanceuse d’avoir des clients qui reviennent. Je me sens épuisée psychologiquement » – Photographe auteure qui partage son activité entre la presse et le corporate, basée dans le Bas-Rhin qui a débuté son activité en 2019.

En 2019, une étude publiée par le ministère de la Culture avec des chiffres compilés par la militante féministe et photographe Marie Docher, établissait le revenu moyen à 1400€ pour les hommes à et 1000€ pour les femmes, il semble que cette tendance soit confirmée par cette enquête, puisqu’en proportion, les femmes ont des rémunérations inférieures aux hommes, en particulier pour les plus hauts revenus. Elles sont majoritaires (52,4%) pour la tranche allant de 5.000 à 10.000€ en rémunération nette pour l’année 2022. Elles sont également majoritaires à pratiquer leur activité en tant que photographe artisan et sous le régime de l’auto-entreprise, statut plus précaire et qui concentre les revenus les plus bas (34% de rémunération annuelle ne dépassant pas les 5.000€). On remarque également, que le métier se féminise puisqu’elles sont majoritaires dans le panel ayant moins de 10 ans d’ancienneté.

« J’ai perdu au moins 50% de mes revenus depuis la crise du covid. Et 2023, ce sont 80% qui se sont envolés car je suis tombée enceinte et j’étais malheureusement dans l’incapacité de travailler jusqu’à mon congé maternité. » – Photographe auteure à Paris, en activité depuis 2007.

Dans les écoles, les femmes sont plus nombreuses, elles sont aujourd’hui majoritaires à exercer le métier de photographe pour les participantes ayant moins de 10 ans d’ancienneté. Pour celles qui choisissent d’avoir des enfants, la grossesse est une période financièrement difficile pour nombre d’entre elles, comme le témoigne l’étude sur les principales raisons à la baisse de revenus enregistrées ces dernières années, à 8,8% correspondant aux périodes de grosses et de congés maternité.

Certains statuts davantage soumis à la précarité

L’enquête évalue les revenus par statuts, ainsi on apprend qu’à 42%, les photographes auteurs touchent moins de 830€ nets par mois avant impôts. 5% perçoivent plus de 5.000€ nets par mois. Les photographes en auto-entreprise sont ceux qui sont le plus touchés par les rémunérations basses, à 52%, ils perçoivent moins de 830€ par mois sans pouvoir déduire leurs frais professionnels de leur chiffre d’affaires. Parmi les photojournalistes, ils ne sont que 8% à travailler uniquement dans la presse et à être rémunérés en pige. Contrairement aux deux précédents statuts, la tranche majoritaire de revenus (24,3%) se situe entre 10 et 20.000€ par an net avant impôts pour l’année 2022. Suivi de peu par la tranche supérieure entre 20 à 30.000€. Et ils sont 4,9% à percevoir plus de 4.166€ par mois net avant impôts. La tranche majoritaire de revenu pour les photographes artisans (24,7%) se situe quant à elle entre 10 et 20.000€ par an net avant impôts pour l’année 2022.

Sur les résultats de cette étude, Frédérique Founès réagit « Je m’attendais à des résultats très bas, mais tout de même un petit peu moins catastrophiques que ça. Ce que l’on voit, c’est que de plus en plus de photographes ont des doubles métiers et ça, ce n’est pas un bon signe. Certains vont faire de l’éducation, travailler en laboratoire, être iconographe…, voire même vont devoir travailler dans des secteurs qui n’ont rien à voir avec la photographie. Avant, ça n’existait pas ! Aucun des photographes de l’agence ne cumulait plusieurs métiers. Comme ils n’arrivent plus à rentabiliser leur activité, ils cherchent autre chose parce qu’il faut bien gagner sa vie. Mais au bout d’un moment, il y a une usure, s’ils prennent un poste à temps plein (ou quasi), ils feront moins de photos, c’est une situation qui fragilise davantage le métier. »

Cette fois, on a indiqué à l’IA « photographe pauvre », voici sa proposition. C’est vrai qu’il n’a pas l’air « jouasse ».

Baisse des rémunérations, un phénomène exponentiel inquiétant

« J’ai perdu la moitié de mes revenus, en cause la baisse des tarifs pratiqués dans le secteur de la presse. Il y a une absence totale du ministère de tutelle pour faire imposer et respecter des conditions tarifaires dignes. Un désastre pour un métier qui constitue la mémoire. Je ne vois pas comment on peut créer la relève d’un métier où la majorité des photographes journalistes sont dans la précarité. Nous préférerions vivre de notre métier plutôt que de survivre ! » – Photographe dans les Hauts-de-Seine, en activité depuis 1985.

La baisse des rémunérations se traduit par une baisse de commandes, de clients… Mais également parce que les prix se réduisent. Frédérique Founès le constate « par exemple dans l’édition il y a une dizaine d’années, une couverture de livre se négociait environ 450 €. Face à la pression des éditeurs, les couvertures sont descendues à 350, voire 300 €, sans même avoir en contrepartie plus d’achats de photos. Si en plus on considère l’inflation, alors cette baisse est encore plus importante ! Pour les pages intérieures, parfois entre le temps investi et le prix qui est payé, on vend presque à perte.
Le prix des sujets en presse a également baissé et il y a globalement moins de place laissée à l’image. On constate que les photographes font moins de démarches personnelles de reportage. Par exemple, si un photographe souhaite réalisé un travail sur les rohingyas en Birmanie, entre le prix du trajet, le logement, éventuellement en fixeur, un traducteur, et tout en restant assez économe, il y en a pour plus de 4.000 €. Le photographe revend le sujet à un magazine pour 2.500 € environ (en fonction des titres, cela peut être payé moins), il travaille à perte ! Il y a 20 ans, on pouvait vendre son sujet à plusieurs magazines, mais aujourd’hui s’il a déjà été publié, c’est presque impossible de le vendre à nouveau en France. Alors il faut trouver des publications à l’étranger, et lui trouver d’autres débouchées que la presse, pour tenter de rentabiliser le reportage. 
Sur les autres secteurs, et toujours malgré la hausse du coût de la vie, les tarifs n’ont pas été revalorisés ! Cela fait six, sept ans, que les prix n’ont pas bougés. Nous en tant qu’agence, on pousse à cette revalorisation, on essaie, mais on est bloqué par des grilles qu’on nous impose. On a le pouvoir de négocier, mais cela reste très difficile. On en vient parfois à se battre pour 5 € ou 10 € sur une photo. »

« J’ai perdu environs 40% de mes revenus. Le numérique a entraîné dans l’esprit des clients une notion de gratuité du travail ! » – Photographe artisan en Charente Maritime en activité depuis 1980.

La majorité des photographes (44% contre 19% et le restant ne s’étant pas exprimé sur le sujet) ayant répondu à cette enquête ont fait part de leur baisse de revenus enregistrée ces dernières années. À 23%, ils enregistrent une baisse de la moitié de leurs revenus et 3,3% ont perdu l’intégralité de leurs rémunérations liées à leur activité de photographe. Les principales raisons invoquées sont la crise sanitaire, l’inflation et la hausse des prix qui ne permet pas de renouveler la clientèle et la concurrence avec une baisse significative des tarifs.

« Avant je ne rencontrais aucune difficulté à facturer 1000€ la journée par des entreprises moyennes, aujourd’hui je peine à faire accepter 500€ » – Photographe auteure à Paris ayant commencé son activité en 2009.

Un photographe pigiste et auteur ayant démarré son activité il y a 10 ans et travaillant dans la Drôme dénonce une aggravation de la situation dans tous les secteurs : « En presse, les productions ont quasiment disparu ; sur la vente d’archives les barèmes stagnent depuis plus de 20 ans, voire baissent ; parfois on nous impose des tarifs dégressifs abusifs en fonction du nombre de photos publiées. On constate aussi de nombreux cas de minoration du format pour faire baisser la facture. Difficile à contrôler lorsque l’envoi des justificatifs des publications n’est plus du tout la règle et disparaît peu à peu. En communication ou en corporate, j’ai tendance à augmenter un peu mes prix pour limiter les dégâts, mais cela entraîne de plus en plus de refus des devis. Sur le culturel, la plupart du temps on me réclame la gratuité, ce que je refuse, lorsqu’il y a du budget il est souvent microscopique, mais j’accepte malgré tout parce que c’est là que je peux diffuser mon travail personnel. D’un point de vue global, le problème est la circulation exponentielle des photographies sur le web, il devient difficile de tracer toutes les utilisations abusives (sur le web, mais pas seulement), et surtout de trouver le temps de constituer des dossiers de défense et d’obtenir gain de cause en cas de contrefaçon, même accompagné par une société d’auteurs comme la Saif. Un cas particulier mais assez emblématique de la méconnaissance du respect du droit d’auteur ce sont les nombreux concours organisés sur la base de règlements illégaux qui exigent la mise à disposition de photographies dites « libres de droits » et donc gratuites. Le sujet est connu et défendu, mais la bataille est loin d’être gagnée. Beaucoup de photographes baissent les bras et font des cessions de droits plus larges dès la commande, mais à quel prix ? Côté matériel, en ce qui me concerne j’essaie de conserver mes outils de prises de vues et de post-production le plus longtemps possible, quitte à perdre un temps fou avec du matériel obsolète. L’équation reste difficile. »

Vers une réforme du statut de photographe ?

Avec un métier qui ne répond plus à leurs besoins financiers, à 62,7% les photographes se retrouvent dans une situation particulièrement critique. Ils l’affirment d’ailleurs en évaluant leur activité difficile pour 57% et en danger pour 28%. Ils font face à de nombreuses difficultés, parmi lesquelles la difficulté de revaloriser ses tarifs (voire des tarifs à la baisse), la difficulté de trouver des clients dans un marché de plus en plus tendu, l’utilisation contrefaite des photographies sans cession de droits payés et les délais de paiement qui sont particulièrement longs.

« Depuis 10 ans, j’ai subi d’énormes pertes de revenus. J’ai été pigiste durant 15 ans pour un hebdomadaire français et en 2018, du jour au lendemain, ils ont mis fin brutalement à notre collaboration, sans explication ni licenciement. J’ai un travail alimentaire et un emploi à mi-temps en tant qu’iconographe, en espérant que ce travail puisse être pérennisé jusqu’à ma retraite » – Femme photojournaliste à Paris, en activité depuis 1998.

Pour faire face à cette réalité, ils sont nombreux à cumuler d’autres activités que ce soit dans le même secteur lorsque cela est possible, ou dans un secteur complètement différent.

« Dans le secteur des arts plastiques, l’activité n’a jamais été correctement rémunérée malgré les quelques efforts opérés ces dernières années (comme les 1000€ conseillés dans le cadre du droit de représentation pour une exposition monographique, et ce quelle qu’en soit sa durée). Les rémunérations sont très insuffisantes par rapport au temps de travail engagé, les résidences sont rémunérées de manière aléatoire. Une grande partie de notre activité n’est jamais ou quasiment pas rémunérées (conception d’une exposition, scénographie, temps alloué à la réalisation des tirages, accrochage, rédaction de textes de présentation, communication, conception des catalogues, discussions, conférences, etc…). L’unique source de revenu à un taux horaire fixé est l’activité accessoire d’éducation (60€ de l’heure), à effectuer en plus du travail réalisé autour d’une exposition lorsqu’il y a un budget. Aujourd’hui, la nouvelle loi sur le RSA va nous obliger à travailler 15 heures supplémentaires par semaine, ce qui risque de condamner mon activité sans toutefois me sortir de la précarité puisque ce travail supplémentaire n’est pas rémunéré au taux horaire minimum, et ne me donne aucun droit au niveau des retraites ou du chômage. » – Photographe auteure à Paris ayant débuté son activité en 2010 et bénéficiant du RSA d’activité.

Cette « photographie » a été générée par l’intelligence artificielle et elle ne nous a rien coûté !

Avec cette étude, le CLAP souhaite démontrer que le statut de photographe est à moderniser et à réformer comme le précise Frédérique Founès : « Ne pourrions-nous pas imaginer un statut pour les photographes comme celui des intermittents bien que ce celui-ci soit lui-même menacé ? Nous sommes face a une vraie problématique entre le temps de travail passé et les rémunérations, c’est complètement dichotomique dans ce métier. À l‘époque de l’argentique, il y avait toute une partie du travail qui n’incombait pas au photographe comme les développements et les tirages par exemple… Aujourd’hui, la post-production est une étape supplémentaire qui n’est absolument pas valorisée et pour la plupart du temps, pas rémunérée. Ajouté à cela l’obsolescence du matériel, ces coûts n’existaient pas avant.
Et puis l’un des gros problèmes est celui de l’utilisation contrefaite des photos, avec le développement d’Internet. Avant, il était possible de le faire, mais c’était beaucoup plus compliqué ! Les images de nos photographes sont utilisées illégalement partout, tous les jours; Le préjudice est très important ! 
Je pense que le tournant d’Internet a été très mal négocié, en particulier sur le coût des publications dans la presse parce que tout était gratuit, ça a amené une culture de la gratuité. L’accès à cette gratuité est devenu une espèce de quête quasi naturelle et presque pas condamnable dans l’esprit des gens. L’arrivée de l’Intelligence artificielle bouscule et inquiète, mais finalement, ceux qui je pense deviendront véritablement essentiels, ce sont les photojournalistes et les reporters par la nécessité de leur travail. On va avoir besoin de vérité en matière d’image, leur rôle va être primordial. Et les travaux photographiques que l’on pourra encore valoriser seront ceux des photographes qui ont une singularité d’écritures et une intelligence de conception. Mais pour ce qui est de la communication ou de la publicité, l’IA va devenir beaucoup plus problématique. ».

« Les contrats de presse intègrent de plus en plus de droits cédés pour toute diffusion à un tiers (ndlr : syndication des journaux), et comme nous ne travaillons pas assez, il est difficile de négocier activement au risque de perdre la commande. Ainsi nous perdons de plus en plus ce petit équilibre qui nous permettait de toucher des droits d’auteur en dehors des missions ». Photographe non binaire à Paris ayant démarré son activité en 2011

« Les agences comme les nôtres sont touchées de la même manière, nous avons besoin de soutien pour nous développer. Il est important de prendre conscience que c’est notre patrimoine qui est en danger et qu’il faut participer à la valorisation de la culture française ! »

Il semble que la France et l’Europe soient prêtes à défendre les photographes et plus largement les artistes-auteurs avec l’arrivée de plusieurs mesures législatives. Fin novembre, le Parlement européen a adopté une proposition de loi afin d’améliorer les conditions de vie des artistes-auteurs, avec notamment la suggestion d’un « statut européen d’artiste-auteur ». La Commission européenne devra se positionner très prochainement sur ce sujet. Dans l’Hexagone, les associations et syndicats sont venus défendre à l’Assemblée nationale une proposition de loi pour la continuité de revenus, inspirée du statut d’intermittent, qui pourrait ouvrir aux artistes le droit à percevoir une assurance chômage.

https://leclap.org/

Cet article a été produit pour le numéro d’Avril de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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