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Ils sont concurrents et pourtant ils œuvrent ensemble pour défendre le métier de photographe. En 2019, Modds, MYOP, Signatures, Tendance Floue et VU’ se sont réunis en association pour créer le Comité de Liaision et d’Action pour la Photographie. Leur premier combat a été de défendre les droits d’auteur avec la campagne #Payetaphoto, l’an passé, ils ont publié la mise à jour de leur rapport sur la photographie française qui pointait l’absence de soutien des photographes du territoire par nos grandes institutions et aujourd’hui, le CLAP s’intéresse à la rémunération des photographes. Les chiffres viennent d’être publiés et ils sont éloquents…

Le ton est donné dès le premier chiffre communiqué « 416 » qui correspond au revenu maximal mensuel que presque un quart des photographes de l’étude a perçu net en 2022. Soit moins que le revenu de solidarité active qui est de 607€. Mais alors qui sont ces photographes et comment font-ils pour (sur)vivre ? Il faut donc se plonger dans cette enquête menée en fin d’année dernière auprès d’un échantillon de plus de 1000 photographes vivant en France pour mieux comprendre.

On savait que la situation des photographes en globalité était difficile, on avait eu connaissance de certains chiffres. Par exemple, en 2019 on apprenait par le Ministère de la Culture/DGCA grâce au travail de Marie Docher que le revenu médian mensuel pour un homme photographe était de 1400 euros contre 1000 euros pour une femme. À la même période, une autre étude menée par la sociologue (et photographe) Irène Jonas pour le Cereq alertait (entre autres) sur la baisse des rémunérations. Tout ceci s’est passé avant la crise sanitaire du covid-19 qui a fortement impacté tout le secteur culturel. Au sein des agences et des collectifs, cela fait une dizaine d’années que l’on constate – impuissant – à la baisse des prix et à la difficulté financière liée à cette activité. Il convenait donc de faire une étude approfondie sur la rémunération des photographes.
Pour cela, ils sont 1035 photographes à vivre et à travailler sur le sol français à avoir répondu à cette enquête. On note un bon équilibre en termes de genre avec 44,6% de femmes et 53,4% d’hommes (1,1% de non binaires et 1% dont le genre n’a pas été renseigné). Ils viennent de partout, en majorité de la région parisienne, et ils sont photographes dans tous les secteurs. La majorité des photographes participants sont auteurs (53%) et 19% exercent leur activité sous le régime de l’autoentreprise. Viennent ensuite les photojournalistes (14%) et les artisans (13%). Le panel présente des profils variés avec des débutants (moins d’un an d’activité) allant jusqu’à des photographes ayant plus de quarante ans d’expérience. La majorité des répondants (30,9%) ont créé leur activité entre 2004 et 2013, ils ont donc entre 10 et 20 ans d’expérience.

Graphique de rémunérations nettes pour l’année 2022

On y apprend donc que pour l’année 2022, la majorité (à 24,8%) des revenus nets se situe dans la première tranche à moins de 5.000€ sur l’année. En tout, ils sont 62% à toucher moins de 20.000€ de leur activité de photographe. Les plus hauts revenus (au-delà de 40.000€) ne concernent que 11,9% des personnes interrogées pour cette enquête.
L’étude présente le détail des rémunérations par genre, par localisation, par statut et par ancienneté.

Des données qui sont plutôt inquiétantes, mais ce qui alerte davantage c’est la baisse des revenus confirmée par 44% des photographes de l’enquête (19% n’enregistrent pas de baisse et 35% ne se sont pas exprimés sur le sujet). Sur les informations recueillies, 582 répondants précisent leur baisse de revenus en pourcentage, pour la majorité (23%) ils enregistrent une baisse de leurs revenus sur ces dernières années de -50%. Ils sont 3,3% à avoir perdu l’intégralité de leurs revenus liés à leur activité de photographe. Les raisons invoquées à cette baisse de rémunération sont multiples, les principales sont la crise sanitaire en première cause.
Les photographes qui étaient en activité avant la crise sanitaire et dix ans auparavant ont également communiqué leurs revenus permettant de mesurer la stagnation voir la baisse des rémunérations.

En bleue : zone de baisse de revenus depuis la crise sanitaire.

La baisse des revenus depuis la crise sanitaire du Covid s’étale sur une large tranche. Cette baisse est d’autant plus renforcée par l’inflation enregistrée ces dernières années (voir graphique de l’INSEE), les revenus diminuent et le pouvoir d’achat s’effondre, la qualité de vie des photographes s’est ainsi fortement dégradée depuis 2019. Elle touche particulièrement les revenus bas et moyens.

Face à cela, ils sont 56,7% des photographes répondant à évaluer le métier de photographe Difficile, 28% à le penser en danger, 9,8% à l’équilibre. Tandis que 4,6% l’estiment plutôt bien portant et 0,9% affirme qu’il se porte très bien. Les principales difficultés remontées par les photographes sont : la difficulté de revaloriser ses tarifs, voire des tarifs qui baissent alors que nous faisons face à une inflation record en 2022 (+5,2%) qui s’est poursuivie en 2023 (+4,9%). En seconde position, on retrouve la difficulté de trouver des clients, en particulier face à la perte de nombreux clients lors de la crise sanitaire. Ensuite, on retrouve l’utilisation contrefaite des photographies sans cession de droits payés et les délais de paiement qui sont considérables.

Au vu de l’ensemble des réponses des 1035 répondants à cette enquête, il apparaît très clairement qu’en majorité (62,7%) leur métier de photographe ne suffit pas à répondre à leurs besoins financiers. Ainsi, ils sont très nombreux à cumuler d’autres activités dans le même secteur (par exemple en faisant de l’enseignement) ou hors secteur.

Cette première partie sera suivie d’une étude qualitative relevant les expériences d’une sélection de photographes sur la question de la rémunération accompagnée d’une série de mesures possibles pour remédier aux problématiques de la profession.

Pour consulter l’étude complète, cliquez ici :
https://leclap.org

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Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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