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Pour sa seconde carte blanche, notre invité de la semaine, Éric Cez, l’un des fondateurs de la maison d’édition Loco et Président de l’association France Photobook, prône le gratuit illimité pour le livre de photographie et souhaite trouver les moyens de le faire exister. Beaucoup de questions circulent autour de l’avenir économique de la profession d’éditeur du livre photo, mais quelles sont les réponses ? Ici, Éric emet l’idée d’éditer des livres qui ne seraient plus à vendre, et dont le prix unique serait précisément de zéro euro et zéro centime. Une idée folle ?

Longtemps, j’ai eu dans mon bureau une carte reproduisant une œuvre de Pierre-Lin Renié composée de ces deux mots : « Gratuit illimité ». Chaque fois que je levais la tête de mon écran, je tombais sur elle, et je crois que l’injonction de cette œuvre a fini, insidieusement, par conceptualiser une intuition que j’avais quant au devenir économique de notre profession. Ce Gratuit illimité me semble résumer la voie que prend l’avenir du livre de photographie. La raréfaction du nombre d’exemplaires vendus, la précarité de son économie, son marché qui reste « de niche » car destiné à quelques fidèles passionnés confirment déjà cette intuition. Nous, éditeurs de livres de photographie, avons souvent le sentiment de travailler pour la beauté de l’art, pas pour son économie… Aussi, pourquoi, en poussant l’idée à son paroxysme, ne pas éditer des livres qui ne seraient plus à vendre, et dont le prix unique serait précisément de zéro euro et zéro centime ?

Offert (Paris, 8 juillet 2023)
Impression numérique sur papier offset 300 g, 10,5 x 14,8 cm
Édition gratuite et illimitée, juillet 2023

Il faudrait ici évoquer la passion qui anime les éditeurs, les photographes, et les auteurs qui passent de nombreux mois, parfois des années, à concevoir et à réaliser un livre de photographie dont la destinée commerciale est souvent déceptive. Et pourtant, un besoin irrépressible pousse les photographes à chercher à éditer des livres toujours plus nombreux, cette situation paradoxale dont nous avons parlé. Nous pourrions dire que la valeur d’un livre de photographie ne se mesure pas à la quantité d’exemplaires vendus, mais bien à la façon dont il mettra en valeur une œuvre ou une série photographique. L’imprimerie, les arts graphiques, ont cette promiscuité troublante avec le médium photographique, ils en sont quasiment un élément constitutif. Tous deux sont des procédés mécaniques de reproduction qui se sont accompagnés dans leur développement technologique. Une photographie reproduite dans un livre est aujourd’hui aussi fidèle que peut l’être un tirage d’exposition, la large palette de choix de papier concurrençant sans peine les supports de tirages. Le livre est l’élément le plus naturel pour accueillir une photographie et constitue le meilleur environnement pour son épanouissement. Cette union se poursuit depuis plus d’un siècle. C’est pourquoi on comprend aisément l’enjeu que représente un livre de photographie pour son auteur.

Un livre devient un espace où peuvent être « exposées » et confrontées des dizaines, des centaines de photographies, leur garantissant une certaine pérennité (comparé à l’éphémère d’un lieu d’exposition). Un livre de photographie jalonne le parcours d’un photographe, il valorise une œuvre et la rend visible pour une petite éternité. Voici la véritable valeur ajoutée du livre de photographie, essentielle à la construction d’un regard photographique et à sa diffusion. Une valeur symbolique mais, comme on le disait, pas forcément pécuniaire.

Gratuit-Illimité (Lyon, 30 décembre 2017)
Impression numérique sur papier couché mat 350 g, 14,8 x 21 cm
Édition gratuite et illimitée, décembre 2018

Prônons donc ce gratuit illimité pour le livre de photographie et trouvons les moyens de le faire exister. Car nous ne sommes pas naïfs, derrière toute gratuité, il y a toujours quelqu’un pour payer. C’est ce travail souterrain et invisible déjà fait par nombre de confrères : la recherche de partenariats, de mécénats, de préventes d’exemplaires permettant d’équilibrer les coûts. Mais demain, que faire pour généraliser cette gratuité ? Une piste ? Imaginons un infime pourcentage de quelques centièmes (non pas de seconde mais d’euro) prélevés à la source de ces incessantes machines à produire des images que sont les smartphones et, des réseaux sociaux, autoroutes pour ces mêmes images dématérialisées, qui serait reversé aux photographes, aux auteurs, aux éditeurs pour arrêter le flux, et redonner de la profondeur aux images et de la densité au regard : pour faire des livres en quelque sorte…

https://www.editionsloco.com/
https://francephotobook.fr/

Iconographie :
L’œuvre de Pierre-Lin Renié explore une voie conceptuelle de la photographie. L’image s’énonce par ce qu’elle représente, pour les jeux de langages également. Il produit notamment des livres d’artistes.

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La Rédaction
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