L'InterviewPhoto

La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Temps de lecture estimé : 5mins

Ce week-end, l’une des plus anciennes galeries dédiées à la photographie, Le Réverbère, a inauguré « Histoire(s) sans fin« , leur dernière exposition avant la fermeture. À cette occasion, j’ai rencontré les deux cofondateurs de ce qui est devenu au fil des ans, une véritable « institution » en France et en Europe, Catherine Derioz et Jacques Damez. Dans cet entretien, ils nous parlent à cœur ouvert, avec beaucoup d’émotion, de ce qu’ils estiment être la fin d’une ère. Pas (seulement) pour eux, mais pour toute la photographie. Découvrez cette rencontre passionnante et passionnée.

« La photographie a toujours eu une peine inouïe à être respectée. Tout le monde est très ennuyé qu’on s’arrête mais ceux qui nous ont fait le moins de signe d’amitié, ce sont les institutions car ils sont très mal à l’aise, ils ont très bien compris les problèmes que l’on pointait. Imaginez par exemple, que nous n’avons jamais eu aucun achat de la part de nos musées à Lyon ou de nos FRAC !  » – Catherine Derioz

Une décision qui tombe comme un couperet, la galerie Le Reverbère à Lyon annonce avant l’été leur fermeture, fin 2024. Une galerie qui œuvre pour une photographie d’auteur engagée depuis 43 ans. La raison à cela ? La réalité économique qui est venue les rattraper. Le plus frustrant sans doute c’est de ce rendre compte que les ventes de tirages sont toujours au rendez-vous, mais font face à l’augmentation – pour ne pas dire l’explosion – des frais de production de tirages et des frais courants de ces vingt dernières années. Ajouter à cela la baisse drastique et les demandes de plus en plus courantes de la gratuité de leur expertise et de leur savoir faire, pour les expositions hors les murs et autres commissariats d’expositions, qui ont eu raison de leur activité. Si la Covid n’a pas été un déclencheur, cela a été un véritable accélérateur.

« L’effet après Covid a entraîné des augmentations de prix de production gigantesques, on a pris entre 25 et 30% sur la production des expositions, 30% sur l’encadrement – sans parler des frais fixes, ces coûts supplémentaires ne peuvent pas être répercutés sur nos prix de vente, parce que ce n’est pas facile de vendre aujourd’hui. Malgré le fait que l’on vende bien, cet écart financier ne se compense pas. Là il y a vraiment un problème de modèle qui ne fonctionne plus avec le système économique en place qui est en train de se décimer. »  – Jacques Damez

Un modèle économique des galeries indépendantes dédiées à la photographie qui s’effondre donc. Et qui touchent d’autres galeries, c’est le cas de Baudoin Lebon qui a annoncé également avant l’été la fermeture de sa galerie, avant d’annoncer sa collaboration avec une autre galerie parisienne, celle de Miranda Salt, pour une saison. Le marché a beaucoup évolué, et comme le précise Catherine Derioz, la photographie réflective et intellectuelle défendue par la galerie Le Réverbère ne trouve plus sa place. On observe une prédominance des foires, comme Paris Photo dont le rôle, au fil des ans, a été lentement modifié pour devenir une course à la consommation.

Dans cet entretien, les deux co-fondateurs de la galerie nous font part que leur douleur n’est pas directement liée à la fermeture de la galerie, mais plutôt de perdre tout le travail et toute l’énergie déployés pendant plus de 40 ans au service de la photographie. Avec le risque que d’ici quelques années, tout soit définitivement enterré… Ne serait-il donc pas temps qu’un lieu officiel et donc institutionnel ouvre ses portes à Lyon afin de soutenir la photographie pour assurer un ancrage pérenne ?

« Les résidences d’artistes ! La belle trouvaille de notre ministère de la Culture. Ils demandent aux photographes – qui sont la plupart du temps mal payés – en plus de répondre à la commande, de faire la médiation, et les œuvres sont gardées, donc on ne peut rien en faire ! Les résidences sont de plus généralement difficiles à concilier avec une vie de famille. Tout le monde s’est engouffré dans ce système-là, et je trouve qu’on transforme de plus en plus les photographes, en OS de la culture  »  -Catherine Derioz

Une exposition manifeste d’une famille de pensée

Histoire(s) sans fin est la dernière exposition de la Galerie dans le local de la rue Burdeau, elle réunit la vingtaine d’artistes de la galerie. Avec des tirages iconiques, rares, parfois uniques, mais aussi des images oubliées, cette exposition est la première signée Le Réverbère, pour montrer comment à travers les artistes avec qui ils ont collaborés, ils ont su construire une famille de pensée et créer un positionnement éthique et poétique sur le monde et sur l’art avec des partis pris.

Tout au long de cette dernière exposition, 9 Lives magazine partagera avec vous les témoignages des photographes de la galerie.

L’entretien est également accessible en podcast ⬇

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Interview