Temps de lecture estimé : 8mins

« Histoire(s) sans fin » est la toute dernière exposition présentée à la Galerie Le Réverbère, à Lyon. Catherine Derioz et Jacques Damez ont annoncé avant l’été la fermeture définitive de la galerie après 43 ans d’activité. Un arrêt aussi triste que brutal. Après avoir réalisé un entretien avec les deux co-fondateurs, nous avons proposé aux photographes représentés de la galerie d’apporter leur témoignage. Aujourd’hui, rencontre avec la photographe Arièle Bonzon, qui est représentée depuis 1982…

© Arièle Bonzon – Chère absente. Épiphanie 
N° 25 / (hors-série)
Impression aux pigments de charbon sur papier d’art, 60 x 90 cm
Limité à 5 exemplaires

© Arièle Bonzon – Chère absente. Épiphanies
Vue de l’installation pour l’exposition « Quatre fois cinq / 1995-2005 »
L’Imagerie centre d’art, Lannion, 2006

Reproduction d’extraits d’un texte manuscrit qui accompagnait la présentation de cet ensemble.
Publiée dans le dossier consacré à Arièle Bonzon sur le site Documents d’Artistes,
ainsi que Écrits dans le noir, 1994 (extrait) Carnet de notes de travail publié aux éditions Environ L’infini, Lyon (épuisé)

Ericka Weidmann : Pouvez-vous nous raconter votre rencontre avec Catherine et Jacques et comment avez-vous intégré la galerie ?

Arièle Bonzon : En 1981, j’avais terminé mes études aux Beaux-Arts et je m’étais mise à la recherche d’une galerie. Des amis m’avaient alors parlé du Réverbère, galerie qui venait d’ouvrir ses portes à Lyon, proposant des expositions de photographie contemporaine. A cette époque, il existait très peu de galeries photographiques, encore moins de galerie de photographie contemporaine, et encore moins ailleurs qu’à Paris. Je connaissais la galerie Agathe Gaillard, qui avait ouvert quelques années auparavant à Paris. Je savais qu’elle montrait des photographes vivants, plutôt la photographie humaniste, le noir & blanc, première moitié du 20ème siècle, pour aller vite.
J’avais une approche de la photographie bien différente, et pensais que toutes les limites, catégories, frontières étaient faîtes pour être franchies et que l’espace bien arrêté du cadre photographique pouvait être un lieu d’expérimentation. La photographie était pour moi une clé magique d’entrée dans ma création.

J’ai contacté Catherine Derioz et Jaques Damez, et je leur ai montré mes travaux. Une petite valise contenant des pièces uniques réalisées à partir de photographies, noir & blanc que je tirais moi-même, et couleur, notamment Polaroid, associées à du dessin, parfois à des textes manuscrits. Ils étaient intéressés par cette approche. Environ un an plus tard, ils sont venus voir l’avancement de mes travaux/recherches et m’ont proposé de faire une exposition dans l’espace galerie du Réverbère, qui à cette époque se trouvait dans la presqu’île, rue Neuve, et jouxtait une librairie de photographie & cinéma.

Ma première exposition personnelle, intitulée « Photo-Graphies », a donc eu lieu en 1982. C’est à partir de là que Catherine et Jacques m’ont proposé de représenter mon travail. Une représentation, cela signifiait pour moi de la visibilité, de la diffusion, des rencontres avec les institutions, des collectionneurs, un réseau pour faire découvrir, exposer plus largement et vendre mon travail photographique. Confirmation avec l’exposition suivante, « Sous-Exposition évidente » programmée à la galerie en 1985, qui se positionnait clairement dans cette recherche avec, autour et dans l’image photographique, par la pratique de techniques mixtes. J’étais la première artiste que la galerie représentait, c’était une aventure totale qui commençait ensemble.

© Arièle Bonzon – Chère absente. Fondation I , Livre 7
Technique mixte. Polaroid & shiste.
15 x 11 x 4 cm

© Arièle Bonzon – Chère absente. Fondation II , Livre 11
Technique mixte. Baryté & ardoise.
21 x 17 x 7 cm

E.W : Que représente pour vous cette collaboration ?

A. B. La rencontre avec Catherine et Jacques a été très enrichissante, nous avons eu beaucoup d’échanges autour de la photographie et sur la création, Jacques Damez étant également photographe. Nous avons tissé quantité de liens, partagé des avis et des rencontres, nous avons eu des débats, monté des expositions, le coeur de notre collaboration. Discussions amicales et passionnées, moments de partage et de rigolade, autour d’un repas, dans un voyage, aux rencontres d’Arles à l’époque héroïque ! La possibilité d’échanger sincèrement est assez réduite dans nos parcours d’artistes. Et le photographe est souvent un animal solitaire. Quant à « la » photographe, c’est alors un(e) ovni, sortant de nulle part, elle existe à peine. Je me suis sentie accueillie, en accord avec les choix et la façon qu’ils avaient de conduire leur projet. La capacité de rayonnement de la galerie et des artistes qu’elle choisissait de représenter au fil du temps se faisait dans la construction d’une histoire commune. En prime, essentielle, la confiance dans le regard porté sur les images.

Mon parcours artistique s’est ainsi dessiné dans cet élan. Il se doublait d’activités professionnelles complémentaires me permettant de gagner ma vie et de produire mes créations. Avec les années et de profonds bouleversements technologiques, les tâches se sont démultipliées pour nous faire, parait-il, gagner du temps ! Nous avons appris à composer avec un marché photographique naissant, dont l’évolution a suivi la mondialisation du marché de l’art. Les galeries ont dû s’adapter pour continuer, le métier en lui-même a radicalement changé. Investir, vendre plus : Le passage du millénaire a inauguré l’ère généralisée du « plus » mais pas pour tous ! Les photographes, assignés à de nouvelles obligations : trouver des financements privés ou publics, multiplier les résidences, concourir à des prix et répondre aux appels à candidatures. Dans l’ensemble, faire plus avec moins ! Être exposé(e) ne permet ni de vivre, ni d’assurer la continuité d’une recherche artistique, entravée par ces nombreuses contraintes, par les codes du marché et ses priorités, argent, consommation, nouveauté.
Je peux donc dire aujourd’hui que la première moitié de ces 40 années de collaboration se prêtait davantage à l’exigence, aux échanges riches et joyeux, à la confiance et à la création artistique.

© Arièle Bonzon – Équinoxe d’automne n°1, pièce unique.
Tirages sur papier baryté Kodak Elite, bois teinté, ébène.
Environ 26 x 26 cm

© Arièle Bonzon – Équinoxe d’automne
Diptyque n°14, tirages N&B sur papier baryté,
Encadrement boite, teinté blanc, verre AR 62 x 98 cm

E.W. : Comment voyez-vous la suite, sans Le Réverbère ?

A.B. : Je ne peux pas répondre à cette question. Il est trop tôt pour cela.

{ Intérieur } 2015/16 © Arièle Bonzon / 29.11.13 – 14:40

{ Intérieur } 2015/16 © Arièle Bonzon / 29.11.13 – 16:16

{ Intérieur } 2015/16 © Arièle Bonzon / 31.01.14 – 16:21

{ Intérieur } 2015/16 © Arièle Bonzon / 31.01.14 – 16:24

E.W. : Cherchez-vous une autre galerie pour vous représenter ? Si oui, que recherchez-vous dans une collaboration avec une galerie ?

A.B. : J’ai quelques pistes mais encore une fois, c’est un peu tôt pour répondre, l’annonce officielle de la fermeture ayant eu lieu début juin seulement. Une histoire qui a tenu aussi longtemps, si elle touche à sa fin, ne peut se terminer sans un temps de pause, photographique et humain. Du temps et de la réflexion, ce sont des ingrédients nécessaires pour envisager la suite. Actuellement j’avance pas à pas.

D’abord ma participation à « Histoire(s) sans fin », exposition qui sera en quelque sorte la dernière « photographie » de la galerie Le Réverbère, avec un choix d’œuvres fait par Catherine et Jacques. Pour ce qui me concerne, des pièces uniques, extraites de deux séries réalisées en 1990/91, intitulée Chère Absente. Fondations / Épiphanies et en 1995 : Équinoxe d’automne.
Parallèlement, je travaille à l’actualisation de mon dossier sur le site « Documents d’artistes » en Auvergne-Rhône-Alpes, une forme de soutien à la présentation et au rayonnement des travaux d’artistes plasticiens et photographes : dda-auvergnerhonealpes.org/ariele-bonzon

Et enfin, pour ce que je peux imaginer du futur, l’avancement d’un beau projet avec le Musée Nicéphore Niépce de Chalon-sur-Saône. Un ensemble photographique construit à partir de ma série { Intérieur } 2016 / 2026, enrichie de nombreux inédits. L’ensemble sera présenté en 2026.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven20sep(sep 20)14 h 00 minsam28déc(déc 28)19 h 00 minHistoire(s) sans finExposition collectiveGalerie Le Réverbère, 38 rue Burdeau 69001 Lyon

A LIRE
Galeries photo : des fermetures en cascade…
La fin d’une utopie. Rencontre avec Catherine Derioz et Jacques Damez de la Galerie Le Réverbère

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

You may also like

En voir plus dans L'Interview