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Partager Partager Temps de lecture estimé : 16minsQuoique mal connue, l’œuvre de Harold Feinstein (1931-2015) ne manque pas de qualités. En dehors de ses qualités intrinsèques comme photographie populaire et accessible, elle constitue aussi un approche fort pertinente de ce que je nommerais « l’expérience américaine », ou, plus précisément, les expériences américaines, à un moment bien précis de l’histoire des Etats-Unis, le mitant du XXe siècle. Il s’agit de ce que l’on a appelé les années « Truman-Eisenhower », ces « années 50 » qui, en réalité, couvrent la période allant de la fin de la Seconde Guerre mondiale à 1954. Pourquoi 1954 ? Parce que c’est la date de l’arrêt de la Cour suprême dit Brown contre Topeka Board of Education (mai 1954) qui reste un tournant dans l’histoire du droits des minorités aux Etats-Unis (en déclarant anticonstitutionnelle la ségrégation dans l’éducation), mais aussi celle du début de l’implication américaine en Indochine – qui ne s’appelle pas encore le Vietnam – après la déroute française (août 1954) qui faisait suite à l’impasse coréenne (1950-53), et enfin parce que c’est en décembre 1954 que le Sénat censura l’un des siens, Joseph McCarthy, le pourfendeur des ennemis communistes de l’intérieur, un geste important qui, à défaut d’éteindre l’anti-communisme américain, en tempéra les manifestations les plus hystériques. C’est aussi l’année où les Etats-Unis sortent d’un cycle économique paradoxal de l’après-guerre, où le produit intérieur brut a retrouvé son niveau de 1945, et où la crise du logement induite par la fin de la guerre et le baby-boom commence à s’estomper. C’est enfin, en photographie, le moment (1955-1956) où Robert Frank, un photographe (certes suisse mais qui travaillait déjà aux Etats-Unis depuis presque une décennie), accomplit son périple qui donnera le livre fondateur Les Américains (1958). Take Your Own Photos, 1978Tirage au gélatino-bromure d’argent/ 40,6 × 50,8 cm / 16 × 20 in CI-008 hHarold Feinstein Photography Trust Ce sont ces éléments qu’il faut garder à l’esprit pour bien comprendre l’œuvre de Harold Feinstein, une œuvre empreinte d’une fausse familiarité et de fausses évidences. Car, alors que le monde de l’après-guerre change avec une vitesse que les années de Dépression, et même de guerre, avaient fait oublier, les images de Feinstein sont empreintes d’un sentiment d’inquiétude et de nostalgie face à un monde qui disparaît, que l’on perçoit dans des formes qui s’éloignent d’une célébration de la modernité et valorisent au contraire la permanence menacée, la fragilité et les liens qui sont en train de se défaire². Il faut d’abord rappeler que la prospérité des années d’après-guerre est certes réelle vue dans la longue durée mais aussi loin d’avoir été évidente et uniforme pour les acteurs de l’époque. Alors que la Dépression et la guerre avaient plombé les espoirs, l’après-guerre devait être le moment de l’explosion du bonheur retrouvé. Or, si les chiffres indiquent une réelle prospérité (la courbe de Gauss des revenus montre la naissance d’une énorme classe moyenne), l’abondance matérielle tarde à se réaliser pour tous avec une très forte inflation et une crise du logement durable qui met presque une décennie à se résorber. Elle a surtout un vrai coût psychologique et culturel. C’est l’ère de « l’organisation », du « big », de la déshumanisation du travail et même du social, avec la perte des anciennes solidarités, la généralisation de la technostructure (déjà partiellement amorcée dans les années 1920), la tertiarisation du travail. Il faut convertir à la consommation une génération (voire deux) élevée dans les privations de la « Grande dépression », et donc aussi lui faire repenser son identité, un phénomène que Philip Roth a si bien traduit dans ses romans du cycle Zuckerman, alors que se diffuse son versant sombre, l’aliénation. Pour ne rien arranger l’Amérique ne s’appartient plus : elle devient responsable du monde libre, et ce faisant découvre, en dépit (ou peut-être à cause de) sa toute puissance financière et économique qui commence à libérer une large partie des Américains de certaines contraintes du quotidien, que monte dans le monde un anti-américanisme politique corrélat de l’hyper-puissance. La logique des blocs fait peser une menace permanente d’affrontement avec des armes nucléaires de plus en plus puissantes, une tension que l’on retrouve dans la montée des problèmes de santé mentale, que tentent de régler les psychotropes ainsi que des interventions telles les électrochocs voire les lobotomies. Mais si la guerre nucléaire devient une possibilité à laquelle on essaie d’entraîner les élèves par divers exercices de protection et d’évacuation, et les parents en implantant un peu partout des abris atomiques dont il reste encore des traces sur les murs des grandes villes, il existe simultanément des guerres bien réelles, quoique conventionnelles. Après la Guerre c’est encore la guerre³, à commencer par la Guerre de Corée (de juin 1950 à juillet 1953 et à laquelle Feinstein participe en tant que conscrit), premier vrai conflit de la Guerre froide, conflit très dur qui va pousser la confrontation des blocs au bord de l’usage des armes nucléaires. C’est une expérience marquante pour une génération, même si elle a été un peu oubliée, effacée par celle du Vietnam. Ce sont en effet 1,5m de jeunes Américains qui seront appelés sous les drapeaux. Plus largement, conséquence de la conscription pendant les années 1940 et 1950, un nombre non négligeable de jeunes Américains, dont de futurs photographes, vont voyager dans les différentes bases militaires que les Etats-Unis installent de par le monde. Beauty Parlor Window, 1964Tirage (vintage) au gélatino-bromure d’argent27,9 × 35,6 cm / 11 × 14 in CL-004Harold Feinstein Photography Trust Autre point important pour comprendre Harold Feinstein, le fait qu’il était juif, comme beaucoup des photographes de rue (Sid Grossman, Sol Libsohn, Lisette Model, et plus tard Robert Frank, Garry Winogrand, Lee Friedlander). Le photographe William Klein (1926-1922) avait une théorie sur le sujet : pour lui les juifs photographient la ville, les gentils la nature. Même s’il faut se méfier des formules trop parfaites dans le domaine de l’histoire qui est souvent faite d’exceptions, on doit constater une forme de sensibilité métropolitaine ou urbaine, d’un rapport particulier à la communauté, au quartier, aux voisins, etc. Il n’est que de lire les romans de Philip Roth sur son enfance dans le New Jersey pour sentir ce tropisme. Or l’après-guerre est une période bien particulière pour les juifs aux Etats-Unis, spécifiquement à New York, où travaillait Feinstein. C’est à cette époque probablement la plus grande ville juive du monde (2 m sur 7m d’habitants sont juifs) mais il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’une communauté homogène. L’immense majorité de la communauté n’a pas vécu l’extermination (les réfugiés d’Europe centrale sont peu nombreux par rapport aux Juifs qui ont immigré avant le nazisme) mais celle-ci est évidemment bien présente, plutôt sous la forme d’un sentiment enfoui qui ne fait que renforcer le désir d’intégration. La communauté n’a pas accueilli les réfugiés aussi largement qu’elle l’aurait souhaité. Elle a combattu dans les rangs de l’armée en masse contre le nazisme sans que cela efface complètement le malaise. Et, fait important, malgré le soutien de certaines des institutions juives américaines à la création de l’Etat hébreux, il n’y aura pas d’aliyah massive lors de la création d’Israël⁴. Feinstein était trop jeune, il a donc en partie échappé aux choix mais il en hérite. Il fait partie d’une génération de la pleine intégration, qui va profiter pleinement de la prospérité d’après-guerre et connaître la fin de l’ostracisme dont étaient encore victimes avant-guerre les juifs dans différents secteurs économiques. La question de l’appartenance, ou de la revendication identitaire pour être plus schématique, reste donc très discrète chez Feinstein, loin de son importance chez d’autres photographes comme Diane Arbus, mais elle n’est pour autant pas totalement absente de ses images pour celui qui sait regarder. D’ailleurs, vingt ans plus tard, cette question de l’appartenance minoritaire va ressurgir dans son travail lorsqu’il va s’intéresser à des communautés qui sont, au fond, aussi marginalisées que le furent les juifs, par exemple les homosexuels masculins. Window Washer, 1968Tirage au gélatino-bromure d’argent40,6 × 50,8 cm / 16 × 20 in CL-092Harold Feinstein Photography Trust Autre bouleversement dans les Etats-Unis de cet après-guerre, la double révolution géographique avec d’une part la suburbanisation et d’autre part le déplacement de population du Nord-Est vers le Sud. Cette révolution de l’habitat va conduire à une forme d’abandon des centres-villes où ne vont plus guère vivre que les Noirs et les immigrants les plus récents (dont les Portoricains – qui sont, eux, citoyens américains – comme on le voit dans West Side Story). Les règles de la sociabilité se modifient rapidement avec les maisons individuelles implantées dans d’immenses lotissements, le commerce se déplaçant vers des malls impliquant un usage indispensable et généralisé de la voiture, et le mouvement pendulaire quotidien des chefs de famille (c’est l’homme qui redevient le breadwinner) qui impacte les relations familiales. Par opposition, le phénomène que dépeint Feinstein dans ses images de Coney Island, reste, lui, d’essence vraiment métropolitaine : mais Coney Island n’est déjà plus tout à fait ce qu’elle a été avant-guerre, et le regard plein d’humanité qu’il porte sur son terrain de prédilection doit être compris aussi comme un regard sur un monde en sursis. Coney Island Teenagers, 1949Tirage au gélatino-bromure d’argent / 40,6 × 50,8 cm / 16 × 20 in CI-023Harold Feinstein Photography Trust C’est enfin une époque marquée par l’anti-communisme virulent de l’État, période dite du macarthysme, qui va toucher tout particulièrement la communauté juive car celle-ci est plutôt politisée à gauche, et les juifs sont nombreux dans les professions du spectacle et de l’éducation prioritairement visées par les purges. Cela va obliger les artistes, et les photographes particulièrement, à se déplacer vers des sujets moins directement engagés, vers des recherches plus esthétiques, et d’une part vers une forme d’humanisme et d’autre part vers un certain formalisme qui tente à la fois de faire pièce au réalisme socialiste en plein essor et d’établir les Etats-Unis comme le dernier bastion d’un autre universalisme. Il est d’ailleurs tout à fait paradoxal que la PhotoLeague, le club de photo, où se forme Feinstein à partir de la fin des années 1940, soit blacklistée en 1947 alors même qu’elle s’était éloignée des formes les plus politiques de la photographie dès 1945 et remettait en cause l’efficacité politique du documentaire qui sont credo central dans les années 1930. De plus, face aux bouleversements existentiels provoqués par la Seconde Guerre mondiale, l’introspection, voire l’autonomisation du photographe face à son sujet prennent le pas sur une rhétorique plus directement didactique, avec le développement d’un goût plus marqué pour le pouvoir des formes, comme en témoigne le travail de Grossman et dont la carrière de Feinstein sera une bonne illustration. Un mot de précision sur la PhotoLeague s’impose ici en raison de l’importance qu’elle a eu pour Harold Feinstein. Il s’agissait à la fois d’une école de formation de photographes, d’un club et d’un lieu de socialisation. Son credo était fondé sur l’idée d’une photographie « indigène », c’est-à-dire faite par les sujets de la photographie eux-mêmes : une photographie de ceux qui vivent ici par ceux qui vivent ici. En cela, elle s’oppose aux grandes campagnes documentaires comme celles de la FSA dans les années 1930, ou a fortiori la photographie des grands hebdomadaires illustrés (Life, Look, Collier’s etc.) qui dominent le paysage de la presse du milieu des années 1930 au milieu des années 1950⁵. Elle porte donc une exigence éthique particulière car la photo documentaire soulève la question du devoir du photographe, de sa responsabilité non seulement devant sa communauté mais devant l’histoire que seules peuvent garantir son honnêteté (la fidélité à la chose vue), et sa sincérité (idée du « cœur pur »). De ce point de vue, il n’est pas anecdotique que les mentors de Feinstein dans les années 1940, c’est-à-dire tout au début de sa pratique photo, aient été Sid Grossman et Eugene Smith, deux personnages du monde photographique à la fois perfectionnistes, exigeants et sans aucun compromis ni bien sûr compromission. Ce furent aussi tous deux des moines-soldats vivant uniquement pour la photographie dans un ascétisme le plus rigoureux. Feinstein, lui, n’ira pas jusqu’à ces extrémités mais il gardera cette exigence de vérité que le photographe doit à ce qu’il voit. Contrairement à d’autres photographes, Feinstein, lui, n’oubliera jamais les leçons de la PhotoLeague que l’on retrouve bien dans ses images, jusqu’à son passage vers une forme d’abstraction. C’est pour cela qu’on peut le comparer à Ruth Orkin ou Helen Levitt, et en revanche l’opposer clairement à ses presque contemporains, Garry Winogrand et Lee Friedlander, qui verront, eux, bien autre chose dans la rue devenue une théâtre sinon de l’absurde à tout le moins d’une complexité presque post-humaine. Bad Luck Tattoo, 1957Tirage au gélatino-bromure d’argent50,8 × 40,6 cm / 20 × 16 in CI-004Harold Feinstein Photography Trust L’un des lieux centraux de cette exposition et du travail de Feinstein est Coney Island. Développée dans les années 1830-40, cette station balnéaire en bordure de la ville de New York connaît son apogée dans les années 1920. Ensuite, en raison de la multiplication des parcs d’attraction aux Etats-Unis, de la modification des habitudes de loisir dans les années d’après-guerre, Coney Island perd sa place comme parc d’attraction et lieu de villégiature, même si elle reste quand même la plage populaire de New York, et tout particulièrement de Brooklyn où la population est largement juive. On peut donc voir dans ces images – magnifiques – ainsi que dans celles d’autres photographes attirés par l’effervescence et la puissance populaire du lieu, moins une célébration du présent que la vision nostalgique d’un monde qui disparaît, la nostalgie pour une vie collective, une forme d’énergie juvénile, un émerveillement devant les spectacles déjà d’un autre temps (d’où l’étrange titre la roue des merveilles) ainsi que pour un certain mélange pluri-ethnique (où les Noirs sont quand même rares !) avant que, paradoxalement, dans les années 1960, les barrières raciales ne se solidifient dans les villes du Nord, contrairement à ce que l’on affirme communément. Boy With Chalk Numbers, 1955Tirage au gélatino-bromure d’argent50,8 × 40,6 cm / 20 × 16 in CL-007Harold Feinstein Photography Trust Mais la photographie, elle aussi, est en train de changer. Elle perd après les années 1940-50 de sa sagesse fabriquée, de son fini (avec ses grandes profondeurs de champ, ses éclairages recherchés, son grain fin) pour devenir plus brute, plus rugueuse. C’est le début d’une photographie de rue qui capte le mouvement, l’instant, le flux de la vie urbaine essentiellement. Avec Robert Frank, la métonymie cède le pas à la métaphore. En d’autres termes, la photographie n’est plus autant une opération de prélèvement du monde qui essaie de dire le tout (la métonymie) que la fabrication d’images symboles qui évoquent des idées, des sentiments, des ambiances (la métaphore). Boardwalk Sheet, Music Montage, 1952Tirage au gélatino-bromure d’argent / 50,8 × 40,6 cm / 20 × 16 in CI-251Harold Feinstein Photography Trust C’est ce que l’on va voir dans les images de rue que fait Feinstein dans les années 1960 à 90, une photo du « moment magique » dit-il, comme une forme de rencontre visuelle. L’évolution est visible en comparant les images de Coney Island : certes les corps y sont encore mais pour l’essentiel se sont des nus qui sont des études assez conventionnelles ou des photographies de statues, des natures mortes, mais c’est désormais le motif voire la couleur, presque une forme d’abstraction des objets semi abandonnés, d’un autre temps qui domine⁶. Coney Island n’est plus que le souvenir d’elle-même. Enfin, ce sera presque comme métaphore la disparition même de l’appareil dans sa fonction de « voir humain » avec les photocopies dites « scanographies ». C’est une évolution qui n’est pas unique à Feinstein : on la retrouve chez Walker Evans, chez Bill Brandt, voire chez Weegee qui s’amusera à la fin de sa carrière avec des nus déformés. Même si chez Feinstein les choses sont plutôt doucement suggérées, elles restent visibles car il ne quitte pas son obsession documentaire mais en fait simplement évoluer l’objet. J’aimerais conclure en remarquant, avec plaisir, que le public démontre depuis quelques années un regain d’intérêt pour le type de photographie que pratiquait Harold Feinstein : Sabine Weiss à Arles, Ruth Orkin dans plusieurs villes d’Europe, Robert Doisneau bien sûr et d’autres auxquels on pourrait même ajouter le cas un peu particulier de Vivian Maier. Il est possible de voir dans ce nouvel engouement la réaction à une photographie qui s’est par trop fondue dans l’art contemporain et a produit des œuvres souvent incompréhensibles et surtout d’où a disparu toute idée de sujet. Or la photographie telle que la comprend le public reste intrinsèquement liée à cette question du « sujet ». Peut-être la dimension nostalgique n’y est-elle pas étrangère, nostalgie d’un monde plus sûr et plus simple, une volonté de retrouver une certaine beauté du monde, de le réenchanter face aux crises sociale et environnementale. Mais il y a plus, d’autant que le public apprécie aussi des images similaires de photographes plus contemporains. Ce que démontre en réalité le succès aujourd’hui de ces images faites autour du mitan du XXe siècle, c’est qu’elles parlent à la sensibilité contemporaine parce que le photographe savait s’effacer derrière son sujet sans pour autant se déprendre d’un point de vue. C’est cette difficile position d’équilibriste qui fait les grands photographes, ceux qui durent et continuent à compter. C’est dans ce minuscule espace de dialogue et de générosité, sans concession ni admiration béate, que se joue la grandeur d’une photographie qu’a si bien servi Harold Feinstein. – Jean Kempf Professeur à l’Université Lumière-Lyon 2 / UMR Triangle CNRS INFORMATIONS PRATIQUES Maison de la Photographie Robert Doisneau1, rue de la Division Général Leclerc 94250 Gentilly ven07mardim01juiHarold FeinsteinLa roue des merveillesMaison de la Photographie Robert Doisneau, 1, rue de la Division Général Leclerc 94250 Gentilly Détail de l'événementHarold Feinstein ne peut se réduire à une série. Mais pour ce natif de Coney Island, cette « terre sans ombres » restera avant tout le terrain d’une pratique photographique, Détail de l'événement Harold Feinstein ne peut se réduire à une série. Mais pour ce natif de Coney Island, cette « terre sans ombres » restera avant tout le terrain d’une pratique photographique, et surtout la parfaite illustration d’une vision de la société américaine. Né en 1931, Harold Feinstein n’a jamais eu d’autre ambition que de devenir photographe. Sa biographie est connue. On sait qu’il rejoint la Photo League à dix-sept ans et, dans l’entourage de Sid Grossman, il saura en retenir les leçons d’empathie pour le petit peuple new-yorkais, pour les exclus de la « prospérité ». Dans cette Amérique d’après-guerre, s’il ne fait guère bon afficher ses sympathies pour cette association d’artistes résolument engagés, Harold Feinstein n’entrevoit d’autrevoie possible pour sa photographie que d’être au plus près des sens et des vivants. C’est pour cela que Coney Island est plus qu’un sujet. Pendant près de soixante ans, régulièrement, le photographe revient sur le sujet, sur l’origine des choses. La combinaison parfaite d’une biographie et d’une communauté. Coney Island, cette partie de Brooklyn, une ancienne île, pointe la plus à l’ouest de Long Island, a vu se développer à partir du début du XXe siècle des activités liées à un front de mer important. Pour les New-Yorkais, Coney Island offre la possibilité d’échapper aux lourdes chaleurs estivales. Et jusque dans les années 1950, la fréquentation de la plage est inséparable de la fréquentation des multiples parcs d’attractions. On y trouve la plus grande concentration de manèges des États-Unis. Plusieurs millions de visiteurs par an se ruent sur la Wonder Wheel, le Cyclone ou le Parachute Jump. Les New-Yorkais, qu’ils soient italiens, juifs, portoricains, noirs, viennent assister à la Mermaid Parade, se font lire les lignes de la main et sortent des baraques foraines réjouis et satisfaits. Ceci n’est pas un inventaire de l’« entertainment », encore moins une galerie de portraits ou une mélancolie maîtrisée. L’ensemble des images produites dans la durée constitue la toile de fond d’un oeuvre qui se caractérise par sa volonté d’écrire au jour le jour des suites de petits récits. La dimension narrative demeure l’apport fondamental d’une photographie qui évacue toute tension négative au profit d’une dimension collective, d’une expérience partagée par tout un peuple. Les pratiques ne se différencient guère d’une classe à l’autre, d’une communauté à l’autre. La plage, la promenade Riegelmann, les attractions façonnent une manière d’être commune. Le mode d’appropriation du lieu est collectif et fédérateur. Le Coney Island d’Harold Feinstein est la transcription photographique de la Rhapsody in Blue, de Gershwin : « La musique doit exprimer les pensées et les aspirations des gens, ainsi que leur époque. Je suis un homme sans tradition, ma famille est américaine, mon époque, c’est aujourd’hui. J’ai la modeste prétention de contribuer à l’élaboration du grand roman musical américain. C’est tout. » Il n’est pas de contemplation « pure » dans ces images, il s’agit avant tout d’une disposition éthique, d’une esthétique du banal. Il n’y a rien d’important dans ces suites de petits riens. Mais ce sont ces moments, ces gestes et ces postures, ces rencontres étranges qui structurent et assurent la continuité d’une communauté. Tout cela compose, in fine, un ensemble, un grand roman musical au milieu des bouleversements de la société américaine, avec la Grande Dépression, l’exacerbation du problème racial, le maccarthysme, etc. À l’opposé des images de Diane Arbus, ici, il n’y a nulle inquiétude, tous se retrouvent et communient autour des mêmes pratiques. Ces événements simples sont les fondements de la nation tels qu’Harold Feinstein les entrevoit, une fusion entre races, communautés et classes d’âge. « Ce qui est remarquable et nourrissant dans le travail en noir et blanc d’Harold, c’est qu’il aborde un environnement sans concession, stressant et difficile – une ville archétypale comme New York, que beaucoup ont dépeint comme étant sombre, dangereuse, lugubre, isolée, voire inhumaine –, et qu’il y trouve constamment des instants pleins de charme, de plaisir, de tendresse humaine, de générosité, et même de spiritualité. » 1 C’est là, en 1952, mobilisé par l’armée, que le jeune Harold Feinstein se retrouve dans le corps expéditionnaire américain en Corée. Refusé comme photographe officiel, il effectue son temps sous les drapeaux comme tout appelé : « J’ai été affecté dans l’infanterie. Avec du recul, ce fut une véritable aubaine, car j’ai pu emporter mon appareil photo partout et capturer la vie quotidienne d’une recrue. Je n’étais pas le photographe officiel chargé de photographier les poignées de main officielles et les cérémonies de remise de médailles. » La photographie documente de manière originale les étapes qui accompagnent la vie de chaque appelé de la conscription militaire. « J’avais vingt et un ans en 1952 lorsque j’ai été appelé. Je venais de me marier. Je me souviens d’avoir été dans une pièce de Camp Kilmer avec des centaines d’autres jeunes hommes de mon âge, de m’être déshabillé pour passer l’examen médical, d’avoir traversé la “chaîne de montage” des vaccins, puis d’avoir été transporté à Fort Dix pour seize semaines d’entraînement de base, avant d’être expédié en Corée. » 1. A.D. Coleman in Todd Weinstein et Peter Norrman (production T. Weinstein),Uninterrupted Seeing: A Short Film about Harold Feinstein, 2010, Voir Dates7 Mars 2025 13 h 30 min - 1 Juin 2025 18 h 30 min(GMT-11:00) LieuMaison de la Photographie Robert Doisneau1, rue de la Division Général Leclerc 94250 GentillyOther Events Maison de la Photographie Robert Doisneau1, rue de la Division Général Leclerc 94250 GentillyEntrée Libre. Ouvert du mercredi au vendredi : 13h30 - 18h30 et le samedi et dimanche : 13h30 - 19h Dermée les jours fériés Maison de la Photographie Robert Doisneau Get Directions CalendrierGoogleCal ¹ Ce texte est un développement d’une conférence donnée à l’occasion de l’exposition de Harold Feisntein en septembre 2023 au Centre de la photographie de Mougins. L’auteur souhaite remercier celui-ci et sa directrice, Yasmine Chemali. ² C’est ce que l’on trouve dans la photographie dite « humaniste » en France mais avec des enjeux différents : en France elle constituera plutôt, à l’inverse, une forme d’appel à la modernisation. ³ Et ce le restera jusqu’à aujourd’hui, un fait qui explique beaucoup de choses sur les Etats-Unis contemporains. ⁴ Déjà en 1891 le rabbin Hirsch disait : « Nous, les juifs modernes, affirmons que nous ne souhaitons pas retrouver la Palestine.(…) Le pays où nous vivons est notre Palestine. ». ⁵ On retrouve dans la PhotoLeague cette idée du « travailleur photographe » de la photo allemande de l’entre-deux-guerres. ⁶ Voir https://haroldfeinstein.com/galleries/ Marque-page0
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