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C’est en 2016, sur le réseau social Instagram, que l’aventure The Analog Club a commencé dans le but de promouvoir la photographie argentique. Après un an passé dans l’incubateur culturel du CENTQUATRE-PARIS, The Analog Club vient d’ouvrir il y a quelques mois son premier espace permanent à Ménilmontant. Pensé comme un lieu hybride entièrement dédié à la pratique analogique traditionnelle, ce lieu réunit une galerie, une boutique, un laboratoire et une librairie, mais aussi un atelier de réparation pour vos appareils photo. Rencontre avec deux des associés, Léopold Fulconis et Clément Lacombe.

Espace librairie/galerie © The Analog Club

Pouvez-vous nous raconter les débuts de l’aventure The Analog Club ?

Léopold Fulconis : The Analog Club a été créé par notre associé, Mathis Clamens, en 2016. À cette époque, nous faisions de la curation photographique sur Instagram, il y avait très peu de comptes dédiés à l’argentique, c’était un peu les débuts du retour progressif de ce procédé. La plateforme a mis en avant notre compte où l’on repartageait des photos argentiques d’artistes, nous permettant d’atteindre une certaine notoriété avec plus de 175k abonnés. La majorité de notre communauté est internationale, avec un ratio de 80% et 20% pour la France. On faisait cela par passion, en parallèle de nos métiers respectifs, et c’est en 2021 qu’on a décidé de tout quitter pour se consacrer pleinement à ce projet. Choukri Bechir, qui vit à Berlin, nous a rejoint. On a réalisé des expositions temporaires à Paris qui ont rencontré un vif succès. On a commencé à vendre des tirages en édition limitée, on a également lancé une collection plus abordable. On a développé la partie boutique d’appareils et d’accessoires, dont s’occupe Clément. On répare et on revend des appareils vintage, il y a beaucoup de demandes sur la réparation. Clément s’en charge et nous avons cofinancé la formation de deux réparatrices qui sont basées à Saint-Etienne. On propose un espace galerie pour accueillir des expositions et où l’on vend des tirages, et un espace librairie qui propose une sélection de livres, dont beaucoup d’auto éditions. Enfin, nous avons une collaboration avec Thibaut Piel qui investit le sous-sol avec son laboratoire – LE SEL – pour des initiations au développement et au tirage argentique noir et blanc, mais qui est également ouvert en libre-service pour les photographes déjà initiés.

Laboratoire Le Sel © The Analog Club

Laboratoire Le Sel © The Analog Club

Pouvez-vous vous présenter ? D’où venez-vous et comment avez vous découvert l’argentique ?

Clément Lacombe : Léo et moi travaillions dans des grandes entreprises, on venait du secteur tertiaire, mais nous avions tous le point commun d’être passionnés par la photographie. De mon côté, cela fait 15 ans que je fais de la photo et que je répare des boîtiers. Je me suis intéressé à l’argentique un peu par contrainte. Je voulais faire de la photo et je rêvais d’avoir un boîtier plein format, et le meilleur moyen pour cela sans que ce soit trop coûteux c’est de travailler en argentique.

L.F. :
De mon côté, je faisais du e-commerce dans une société de grande distribution et cela faisait plusieurs années que j’avais en tête de développer des projets autour de la photo qui était ma passion. J’ai découvert l’argentique en voyageant, j’ai le souvenir d’avoir passé une soirée extraordinaire en Mongolie avec ma copine, dans un cadre exceptionnel, et au lieu de profiter de cet instant, je me suis aperçu que j’avais passé ma soirée à regarder mon écran numérique pour voir si mes photos étaient bonnes. Ça m’a fait réfléchir, je suis ensuite parti vivre à Istanbul pendant un an et j’ai tout de suite acheté un appareil argentique. Aujourd’hui, mon usage du numérique est restreint, mais nous ne mettons pas en opposition ces pratiques.

Pourquoi choisir de se spécialiser dans la pratique argentique ?

L.F. : Je crois que cela s’est imposé naturellement, car notre passion commune était la photographie argentique. Il y a une passion du vintage et de l’objet, on est tous convaincus que les appareils argentiques sont extraordinaires, souvent mécaniques et donc réparables, qui vont un peu contre l’obsolescence programmée des appareils que l’on construit aujourd’hui. Il y a un design aussi qui est assez attrayant. Et puis surtout, nous sommes face à une prolifération de l’image, avec cette nécessité de voir immédiatement ce que l’on produit. L’argentique permet de ralentir le rythme, de réduire cette profusion d’images, de prendre le temps de faire les choses et de bien les faire. Je suis comme tout le monde, j’ai des dizaine de milliers d’images dans mon téléphone portable, mais quand j’ai 36 poses, je vais faire attention à ce qui se passe autour de moi. Cela nous pousse à aiguiser notre œil, à développer notre sens artistique et un certain sens technique.
Je pense que l’on essaye de retranscrire cette philosophie au sein de notre espace. On avait à cœur de proposer un lieu de transmission et de partage où chacun peut venir s’inspirer, même s’il ne connaît pas l’argentique.

C.L. : Je ne suis pas sûr de me considérer comme un photographe d’art, mais il y a ce côté artisanal de l’argentique qui ouvre la créativité à quiconque. Que l’on soit photographe d’art ou que l’on s’amuse à prendre des photos le week-end, l’argentique est un médium qui permet de développer son inventivité. La plupart de nos clients recherchent, même inconsciemment, à aller vers un canal dédié à leur créativité.

© The Analog Club

Qu’est ce qui vous a poussé à ouvrir cet espace permanent à Ménilmontant ?

L.F. : On a compris qu’il était extrêmement important d’avoir un lieu physique lorsque nous avons présenté nos premières expositions. Le contact avec les œuvres est une expérience qui ne se fait qu’en présence physique. Nous aimons le contact avec les clients, on aime interagir et échanger, on ne crée pas un lieu uniquement parce que ça a du sens, mais parce qu’on aime ça. Ce qui nous a vraiment décidé à franchir le pas, c’est fin 2023 lorsque l’on a initié The Analog Days. C’était un peu comme un festival étalé sur 15 jours, on y exposait la série Rockabilly de Gilles Rigoulet, on a organisé des lancements de zines dans une partie librairie qui proposait une sélection d’ouvrages, on vendait des appareils, il y avait des initiations gratuites à l’argentique, des lectures de portfolios… Et Thibaut Piel réalisait des portraits à la chambre qu’il développait dans un laboratoire temporaire du sous-sol. Donc les jalons de notre lieu était déjà posés lors de cet événement qui a été un vrai catalyseur. Il y a eu beaucoup de passages, nous avons reçu de bonnes retombées et les gens nous ont vraiment encouragés.
Quelques mois plus tard, nous sommes tombés sur cet espace à Ménilmontant qui est mis à disposition par la Mairie de Paris, on a déposé un dossier qui a été très vite accepté.

Espace librairie © The Analog Club

Espace boutique de boîtier argentique © The Analog Club

Comment avez-vous pensé votre modèle économique à l’heure où les consommables argentiques sont très onéreux ?

L.F. : C’est évidemment une donnée qu’il faut prendre en compte, c’est pour cela que Thibault à pensé à la mise en commun des ressources pour le laboratoire. Pour les personnes qui souhaitent s’initier ou faire du libre-service, elles doivent apporter leur papier, mais toute la gestion des chimies est mise en commun. On le voit également sur le prix des pellicules qui augmente mais heureusement il existe de plus en plus d’alternatives qui font leur apparition sur le marché. C’est le cas de Sunbath qui utilise des émulsions initialement dédiées au cinéma. Il y a pas mal de projets en Europe qui vont dans ce sens pour apporter des alternatives moins chères et qui tentent de limiter la hausse des prix. 
Pour revenir sur notre modèle économique, on voit bien que les initiatives européennes proches de la nôtre fonctionnent bien, cela signifie qu’il y a une appétence pour cela, mais il n’y a pas de formule magique. C’est pour cela qu’on développe plusieurs axes différents, on pense qu’il est important de diversifier notre offre et c’est cet agrégat qui va nous permettre d’avoir une cohérence financière sur le moyen terme.
C.L. : Hors consommables, l’aspect financier est justement un des arguments majeurs de l’argentique, on peut avoir accès à du matériel professionnel à moindre coût.

Quelles ont été vos inspirations pour créer ce lieu ? Et avez-vous prévu d’ouvrir d’autres espaces ?

L.F. : C’est justement parce que ce type de lieu communautaire manquait à Paris que nous l’avons créé. Un espace où l’on peut rester pour échanger, parce que le monde de l’argentique est plein de passionnés et qu’ils ont besoin d’un lieu qui leur est dédié. Et il était important pour nous de créer cet espace basé sur notre identité et de créer un lieu qui nous ressemble.
 Pour l’ouverture d’un nouvel espace, Mathis est basé à Marseille, Choucri à Berlin, donc pourquoi pas si on a de bonnes opportunités, mais ce n’est pas notre priorité, nous avons en tête d’autres projets autour de la photo et sur lesquels on veut se concentrer dans le futur.

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En savoir plus :
The Analog Club
6 rue Julien Lacroix
75020 Paris
https://theanalogclub.co

Entretien publié dans le numéro #379 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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