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Cette nouvelle saison artistique dans le Perche marque un changement majeur : la fin de la collaboration entre le Moulin Blanchard et Art Culture and co et la nomination d’une nouvelle directrice artistique. C’est Frédérique Founès, directrice de l’agence Signatures qui est en charge de la programmation de cette sixième saison au Moulin Blanchard. Un événement transversal et éclectique qui se déroulera en trois temps, jusqu’à fin septembre. De son côté, Christine Ollier, à la tête du Champ des Impossible depuis sa création, dirige la galerie La Cour à Bellême.

Temps 1

Depuis le 19 avril dernier, le Moulin Blanchard inaugure sa saison 2025 avec une exposition photographique programmée l’an passé sous la direction de Christine Ollier. Elle réunit les travaux issus d’une commande passée à 15 photographes de l’agence Signatures à Saint-Éloy-les-Mines, dans le Puy-de-Dôme, portant leur regard sur cette ville de la « diagonale du vide »*, victime de la désindustrialisation menant à la désertification.

Exposition la Diagonale du Plein © Stéphane Kovalsky / Signatures

Exposition la Diagonale du Plein © Stéphane Kovalsky / Signatures

Pour la première fois, cette exposition collective, intitulée Diagonale du Plein, est présentée au public. Elle rassemble une sélection de photographies de 14 photographes, chacun posant son regard singulier sur ce territoire et sur ses habitants. Thierry Borredon et Raphaël Helle réalisent respectivement des portraits de commerçants ayant réinvesti le cœur de la ville — mettant en lumière un tissu social essentiel à la dynamique locale — et des ouvriers de l’usine danoise Rockwool, qui domine cette ville marquée par la désindustrialisation.
Arno Brignon, Sandrine Expilly et Joanna Taret Gauteur s’attardent sur les paysages de la région : l’un en arpentant la ville en auto-stop, l’autre en explorant à pied les lisières urbaines, et la dernière en capturant les artères principales. Michel Séméniako révèle, dans l’obscurité de la nuit, la mémoire ouvrière du territoire à travers les friches industrielles désertées.

Diagonal du hasard © Arno Brignon / Signatures

Que serait ce territoire sans ses habitants — ceux et celles qui composent cette faible densité de population ? Sophie Brandström se rend dans d’anciens espaces industriels transformés en lieux de loisirs ou en campings pour photographier les jeunes de la ville, vacanciers, résidents et nomades. Éric Facon capture des portraits et des scènes de vie de l’association l’Amicale laïque, pilier de la vie locale. Mathieu Farcy imagine, à travers des récits alternatifs, une histoire où les femmes reprennent le pouvoir sur leur vécu et leur sécurité. Laurent Monlaü réalise des portraits étonnants, transformant les visages en chimères, en animaux totems, dans une danse baroque et chamanique — reflet visuel d’un effondrement écologique en cours.
Jérémie Jung, quant à lui, s’intéresse à l’évolution des migrations sur ce territoire. Cette ancienne ville minière conserve les traces des migrations polonaises, espagnoles et italiennes du siècle dernier. Aujourd’hui, plus d’une centaine de demandeurs d’asile y trouvent refuge, fuyant les instabilités du monde.

Exposition la Diagonale du Plein © Stéphane Kovalsky / Signatures

Exposition la Diagonale du Plein © Stéphane Kovalsky / Signatures

La jeunesse en formation professionnelle est au cœur du projet au long cours Les héritiers, mené par Géraldine Millo. Florence Levillain, elle, invite les habitants à jouer avec les réalités et les représentations à travers des mises en scène ludiques et des décors vivement colorés. Enfin, Xavier Lambours réalise des portraits pour témoigner de l’histoire de l’ancienne cité ouvrière.

Un quinzième photographe, Patrick Bard, se plonge dans le passé minier de la ville et fait dialoguer les archives de la commune avec des images générées par intelligence artificielle, interrogeant la frontière entre réalité et fiction. Cette série sera dévoilée dans son intégralité à l’été 2025, dans le cadre d’une exposition présentée à Saint-Éloy-les-Mines.

Trois Huit © Raphaël Helle / Signatures

Cette exposition entre en résonance avec une installation de Raphaël Helle, fruit d’une résidence au Moulin Blanchard en novembre-décembre 2024. Il a travaillé sur l’industrie rurale en pays percheron, exploré le bassin industriel du Val d’Huisne où des milliers d’emplois s’épanouissent sur 20 km.

* Cette expression décrit une zone du territoire français qui s’étend de la Meuse aux Landes et qui se distingue par ce faible densité de population.

Temps 2 et 3

À partir du 29 mai, le festival déploiera une programmation pluridisciplinaire et éclectique dans différentes lieux d’exception du Coeur-de-Perche avec une thématique commune pour 2025 « La liberté », autour du mouvement underground. On y retrouvera notamment :

Le Voyage Mexicain de Bernard Plossu
Témoignage de la Beat Generation, rupture dans l’histoire de la photographie, cadrages à l’opposé de la tradition française, ces images nous en disent autant sur le photographe que sur le pays traversé. Dans sa mémorable préface, Denis Roche explique ce qu’est la liberté de la photographie qui permet qu’un savoir et une esthétique soient mystérieusement spontanés comme chez Bernard Plossu.

©️David Wojnarowicz , Courtesy of the Estate of David Wojnarowicz and P·P·O·W, New York
Courtesy New galerie, collection Jean-Pierre Delage

Rimbaud in New York, exposition projection de David Wojnarowicz
Utilisant la figure du poète maudit comme moyen d’intervenir dans la réalité, David Wojnarowicz raconte sa propre vie et sa relation affective avec la ville de New York à la fin des années 1970. L’artiste fait le portrait de plusieurs amis portant un masque grandeur nature du poète français, assumant ainsi son identité et soulignant les parallèles dans leurs vies : violence subie dans leur jeunesse, sentiment d’être privé de liberté, désir de vivre loin du milieu bourgeois. Wojnarowicz confronte le temps historique du poète symboliste au présent de l’artiste.

David & Marion © Marion Scemama

Le Road Trip de Marion Scemama
Dans les années 1980-1990, la photojournaliste et réalisatrice Marion Scemama s’est immergée dans l’underground de la scène artistique new yorkaise dans ses ramifications les plus radicales. En 2019, dans le sillage de la première rétrospective en Europe de David Wojnarowicz au Mudam, Marion Scemama lui consacre avec François Pain le film/ essai Self-Portrait in 23 Rounds : A Chapter in David Wojnarowicz’s Life (1989-1991).

Piero Heliczer / Pascal Barrier
Photographe au regard affuté bien connu des Percherons, Pascal Barrier a été le témoin de la présence de Piero Heliczer, poète et co-fondateur du Velvet Underground, et de Friedensreich Hundertwasser, à Perche en Nocé. Pris dans les années 80, ses magnifiques clichés en noir et blanc témoignent de la force d’une personnalité hors normes.

Beat Hotel d’Harold Chapman
Dans les années 50 et 60, le photographe Harold Chapman a tenu dans un profond noir et blanc, la chronique des habitants du « Beat Hotel » à Paris. Chapman s’installe à Paris en 1956 et habite au 9 rue Gît-le-Coeur, un hôtel du quartier latin. Il y documente le quotidien de William S Burroughs, Gregory Corso, Allen Ginsberg, Piero Heliczer et bien d’autres. Son oeuvre est un indispensable témoignage de ce que fut la Beat Generation.

Thierry Alonso, dit Gravleur
Le peintre Thierry Alonso, dit Gravleur, artiste du territoire, a été retrouvé décédé en 2021 dans sa chambre à 55 ans. Il laisse une oeuvre magistrale, douloureuse et dérangeante. Un jour de 1999,, un passant se fige devant la vitrine de la Connoisseur’s Gallery, où l’un de ses grands formats est exposé. Il entre et achète six de ses oeuvres. C’est le début d’une surprenante amitié entre Johnny Depp et Thierry Alonso, auquel l’acteur consacrera, à Los Angeles, en 2006, une exposition, et un film réalisé par Richard Carroll. Kevin Bacon collectionne aussi ses oeuvres, et l’écrivain Nick Toshes devient l’un de ses plus fidèles soutiens. Ses portraits en grand format, entre autres de Basquiat ou de Burroughs qu’il n’a jamais rencontrés, impressionnent par leur puissance.

Trois expositions d’art brut et singulier seront présentées hors les murs avec les œuvres de Pierre Amourette et Hubert Cherrey. Au Manoir de Lormarin/Nocé, c’est les collections du Musée Sainte-Anne qui seront exposées.

Du 18 juillet à fin septembre, le 3ème temps de ce festival présentera notamment l’exposition de Matt Wilson, lauréat de la résidence Capsule 2024.
Les paysages de Matt Wilson sont le fruit d’un minutieux travail de composition et de traitement de la lumière qui ne sont pas sans rappeler les tableaux de maîtres tels que John Constable ou Jacob van Ruisdael et nous évoquent de véritables carnets de voyage photographiques. En résidence au Moulin Blanchard en 2024, il s’est immergé dans les paysages du Perche.

INFORMATIONS PRATIQUES

sam19avr(avr 19)10 h 00 mindim25mai(mai 25)18 h 00 minLa Diagonale du PleinExposition collectiveMoulin Blanchard, 11 Rue de Courboyer 61340 Perche-en-Nocé

sam19avr(avr 19)10 h 00 mindim25mai(mai 25)18 h 00 minRaphaël HelleTrois huitMoulin Blanchard, 11 Rue de Courboyer 61340 Perche-en-Nocé

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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