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Vous avez jusqu’au 21 septembre, à l’occasion des Journées du Patrimoine, pour découvrir les dernières expositions de la 6ᵉ édition du Parcours Art & Patrimoine en Perche, placé sous la direction artistique de Christine Ollier. Parmi les artistes présentés, vous retrouverez notamment Guénaëlle de Carbonnières, qui repousse les limites de la photographie dans une magnifique scénographie immersive, aux côtés des céramiques de Marina Le Gall et des œuvres protéiformes de Marion Flament. Et bien d’autres découvertes vous attendent…

Guénaëlle de Carbonnières, Et concreto, 2024
gravure laser sur gravats de bétons
pièces uniques – dimensions variables

Guénaëlle de Carbonnières au Jardin de Montperthuis
Une invitation de la Galerie Binôme

Guénaëlle de Carbonnières a d’abord pris le chemin de la philosophie avant de rejoindre celui des arts plastiques.
Photographe sans caméra, elle récolte des images, archives muséales ou digitales, pour en produire de nouvelles. Son travail en chambre noire permet de leur donner corps en accueillant les traces et accidents à la surface des tirages. Auxquels se superposent a posteriori d’autres gestes, par gravure, dessin, couche picturale, érosion, pliure, surimpression et découpe. Les supports de verre, de béton, de tissu, de papier ou de chimies photographiques, possèdent une part d’enfoui. En formes de fragments archéologiques, ses oeuvres pensent l’image dans un rapport au palimpseste et au secret, ne révélant que certains angles. Attentive aux points de bascule de notre monde et à ses fragilités (dérèglements climatiques, conflits géopolitiques, luttes collectives), Guénaëlle de Carbonnières fait cohabiter des lieux et des époques, façon de réinterroger le passé pour construire une archive de nos mémoires futures.

Exposition in situ

L’exposition Le passé est l’inventaire du futur, titre tiré de l’anthologie d’Anise Koltz Somnambule du jour (Poésie/ Gallimard), entrelace diverses temporalités qui se télescopent: des mondes architecturaux fantasmés par l’IA aux vestiges archéologiques de l’Antiquité, en passant par l’esthétique propre aux Grands Ensembles des années 60-70 et à l’utopie architecturale de Tony Garnier. Le cheminement au sein des oeuvres rejoue une galerie du temps, à travers le prisme du patrimoine commun.

> Cette exposition est ouverte jusqu’au 28 seprembre!

Marina Le Gall ou le génie du dripping d’émail
Plus de 50 céramiques égayent le parc de la cour.belleme

Céramiste émérite, Marina Le Gall manie les corps animaliers avec humour, singeant les poses des humains lorsqu’ils expriment joie, sexualité, agressivité ou arrogance…

Elle se moque avec malice des hommes et de leurs besoins manifestement aussi primaires que ceux des autres animaux. Ses oeuvres suggèrent plaisamment une sorte de réconciliation des mondes. Là, la croupe relevée de Miss Kangourou qui se dandine est lorgnée par Sir Pélican, qui, un peu borgne sous son bandana, affiche une superbe endimanchée par un col en fraise. A côté, une hermine mutine, élégamment dressée sur ses pattes arrière, arbore une longue cape irisée d’émail aux reflets mordorés, prête pour le défilé. Dans la folie XIXème du parc dissimulée sous un hêtre centenaire, une girafe attend tranquillement le visiteur tandis qu’une meute de loups investit les pelouses. Un peu plus loin, sous les grands ifs, de l’eau coule avec un doux bruit des seins d’une alligator.

Marina Le Gall © Martine Camillieri

Sous la grande table du préau, l’artiste a disposé un joyeux festin : assiettes accueillant une renarde endormie, une salamandre en goguette, une mini forêt de champignons vénéneux ou une rigolote tête de sanglier. Pieuvres et oiseaux servent de soliflores, alors qu’en centre de table un cochon rose posé sur un plat fastueux se fait grignoter la peau par un marabout picoreur. Pour le dessert, une pièce montée loufoque attend qu’on vienne la déguster, bien qu’elle soit déjà envahie par de petits gourmands, approchée subrepticement par une tortue ananas et lorgnée par un couple de lapins amoureux. Marina Le Gall s’est aussi beaucoup amusée à créer ce lumineux lionceau jaune et vert, agenouillé et rugissant de plaisir.

Le modèle de départ de cette grande sculpture est son plus jeune fils, pris sur le fait d’avoir chipé une banane avalée de bon coeur et en train de lui éclater de rire au nez. Comme l’enfant, le lionceau n’a pas encore toutes ses dents (…) et de cette oeuvre jaillit un exceptionnel instant de bonheur artistique.

Une vie en interpénétration quotidienne avec la création

Marina Le Gall travaille autant les jours que les nuits, attendant que sa marmaille repue daigne dormir afin d’aller, dans le calme de l’atelier, modeler ou démarrer une énième cuisson. En effet, les terres repassent au four autant de fois qu’il est nécessaire. La céramiste les recouvre d’émail, apposant de multiples couleurs translucides par des superpositions insensées, telles les couches de glacis qu’on applique beaucoup plus aisément sur toile. Le résultat est un chatoiement inédit dans l’art de la céramique. Cette cuisson multiple préserve avec brio le geste expressionniste de cette artiste qui a su se libérer de la contrainte de la technique.

Marina Le Gall © Martine Camillieri

Un succès mérité, au rendez-vous d’un travail acharné

Représentée par la cour.belleme, plus récemment par la galerie Françoise Livinec à Paris et une galerie au Japon, appréciée des collectionneurs et de plus en plus par les institutions, Marina Le Gall ne s’arrête jamais. Son four peine à refroidir. Au printemps, en plus d’un atelier à l’école de Longny-en-Perche avec la réalisation d’une sculpture et d’une fresque monumentales, et de la préparation de cette grande exposition, elle a produit pour le Domaine de Fontainebleau cinq girafes à taille réelle, dont les robes sont composées de centaines de tâches de grès.

La petite famille partira sans elle en vacances car à la rentrée, Françoise Livinec ouvrira le bal, avec une première exposition de l’artiste à la galerie, rue de Penthièvre dans le 8ème. Le Perche l’accueillera à nouveau pour la prochaine édition du Parcours car une des propriétaire d’un de ces lieux magiques l’a d’ores et déjà invitée à investir son magnifique jardin à l’anglaise, l’été prochain.

Anna Di Monti

L’œuvre de Marion Flament irradie la Galerie Rateau

L’univers de Marion Flament est baigné de lumière. Tout en transparence, vitraux, flammes de verre, chapelets de céramique et verre viennent ponctuer l’espace. Rais et reflets transpercent les oeuvres de verre, s’irisent de couleurs et traversent de toute part l’endroit investi par l’installation. Les sites d’exposition choisis sont rarement neutres chez cette plasticienne car son travail puise ses sources dans les récits qu’ils renferment. L’artiste voyage ainsi de territoires en histoires, grâce à des résidences de création choisies en fonction d’attirances profondes. Elle s’installe le temps d’une création dans une chapelle, un bâtiment agricole, une ancienne usine, ou encore dans une maison paysanne ou une belle villa ancienne, pour mieux s’inspirer des traces mémorielles qu’ils véhiculent, parfois à cause de leur abandon ou leur décrépitude, toujours grâce à la spiritualité, à l’esprit du lieu.
Pourtant son travail n’est pas figuratif, il n’y a pas de storytelling. La narration vient d’ailleurs. Sans doute de cette atmosphère lumineuse dont sont imprégnées ces grandes scénographies parsemées de vitraux et autres oeuvres de verre. Les interstices spatiales sont rythmées par les rayons colorés qui émanent des sculptures et les chromatiques évoluent au fil des heures grâce aux variations lumineuses.
Les volumes surgissent des murs, d’autres sont suspendus comme Les Dissolutions. Ces derniers sont de grands chapelets sans fin, allant de la charpente au sol comme pour s’y dissoudre. Réalisés par l’association de centaines de pièces de verre, faïence, terre cuite ou émaillée, ces éléments agissent comme des signes ou des vestiges de fouille ; autant de témoins imaginaires d’une potentielle légende.

Marion Flament, Galerie Rateau © Garance Corteville

La scénographie entre en résonnance avec le lieu

À la galerie Jonathan Rateau, l’installation n’a, a priori, pas de raison d’être puisque l’artiste n’est pas venue en résidence. Pourtant, elle a accepté avec enthousiasme l’invitation de son ami Jonathan qui a lui dédié son espace à l’occasion du Parcours Art et Patrimoine en Perche.06. Les pièces créées ailleurs qui sont réunies ici dialoguent pourtant avec une harmonie intuitive avec les intérieurs de la Maison du Filet. Le bâtiment, dont la restauration va bientôt débuter, fut un temps le petit musée de l’histoire du filet – activité de broderie semi-industrielle qui prospéra au XIXe et au tourant du XXe grâce au travail fourni par les femmes du village et de ceux alentour. A l’origine, la modeste architecture formait une enfilade de petites maisons de bucherons ou d’ouvriers. Actuellement, le bâti est à l’os, certains murs ont disparu au profit d’un volume ouvert couronné par des charpentes également mises à nu.
L’interaction avec les oeuvres de Marion Flament est bénéfique au lieu, que le visiteur perçoit alors différemment. Les intérieurs ne crient plus la nécessité d’une restauration d’urgence et semblent se reposer le temps de l’exposition. Aux murs sont accrochés quelques pièces de verres empreintes de reflets métalliques et de noir de fumée qui renvoient au feu des cheminées et à l’épaisseur immémoriale de la suie. Des coulures de verre façonnées telles des larmes de feu, issues d’une installation de 2023, Le jour coule en lueurs, épousent les strates de peinture qui s’accrochent encore aux surfaces murales. En face, un vitrail placé à la perpendiculaire du mur fait face à la lumière qui pénètre par les fenêtres. Des bougies et quelques lumières d’appoint viennent s’ajouter aux rayons du soleil. L’ensemble baigné dans une lumière orangée, à la chaude palette mordorée, est propre à une contemplation paisible.

Marion Flament, Galerie Rateau © Garance Corteville

La magie du savoir-faire

L’enchantement qu’offre l’exposition est pourtant conçu à partir d’un solide savoir-faire. Diplômée de l’Ecole Boulle et de l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs – EnsAD, l’artiste trentenaire a su apprendre une variété importante de techniques comme les différents potentiels de la céramique, les couleurs du glacis d’émail ou celles envoutantes du vitrail. Plus récemment, elle a appris les techniques du verre soufflé ou moulé en collaborant avec des centres de production spécialisés comme le Cirva à Marseille. Parallèlement, elle a expérimenté le volume et la scénographie lors de son post diplôme en lumière interactive à L’EnsAD-LAB.
Elle est également une voyageuse imprégnée de multiples cultures et traditions, grâce à ses nombreuses résidences comme son année passée à la Casa Velázquez, sa résidence Hors-Pistes à Singapour, les précieux mois dans les ateliers de l’Académie des savoir-faire d’Hermès ou encore le temps passé plus récemment à la Junqueira à Lisbonne, dont certaines pièces de l’exposition sont issues. Cette somme d’expériences et de savoir-faire associée à un fort potentiel poétique et esthétique lui permet de concevoir une oeuvre singulière d’une grande force conceptuelle, qui a trouvé sa place sur la scène contemporaine et lui vaut une reconnaissance de plus en plus marquée, tant en France qu’à l’international.

Éclats céramique à Soisay

© Martine Camillieri

Pour celui qui découvre le manoir de Soisay pour la première fois, l’émotion sera totale quand il tournera dans le chemin de terre à travers champs, puis passera à pied l’arcade de buis pour pénétrer la grande cour. Sans doute sera-t-il médusé par la beauté épurée des bâtiments qui l’entourent : corps de logis, pigeonnier, grange seigneuriale… Tous restaurés au plus près de leur origine… Et puis le manoir central si altier qui fait face à cette esplanade herbeuse rythmée d’une simple ligne d’ardoises érigées (installation d’un des nombreux artistes venus en résidence) et d’un grand totem du sculpteur Vincent Barré érigé sur un des côtés… D’une splendeur si simple… La pureté des lignes de l’ensemble et la luminosité de la pierre percheronne ne peuvent que saisir le visiteur.

L’endroit est hors des routes et du temps. Il est d’une rare élégance, comme ses propriétaires Aline et Olivier Le Grand, qui ont su préserver la fonction agricole originelle de Soisay tout en faisant de cet écrin un lieu remarquable pour l’art contemporain et la culture. Mécènes, ils soutiennent depuis vingt ans des artistes émergents, en les invitant à résidence avec la complicité de leurs amis critiques et artistes qui les aiguillonnent jusqu’à eux. A chaque saison estivale, ils donnent à voir des expositions, selon leur gout pour l’art abstrait et minimal, et à entendre des concerts aussi bien de musique classique et contemporaine que de chanson française. De grands noms y séjournent, comme les plus jeunes auteurs.

Pour leurs vingt ans, un de leurs amis de longue date, le galeriste Bernard Jordan, leur a proposé en hommage à leur passion, une exposition de céramiques regroupant une vingtaine d’artistes. C’est avec enthousiasme que la commissaire générale du Parcours Art et Patrimoine en Perche, Christine Ollier, qui connait fort bien aussi cet ancien collègue passionné de peinture et de sculpture, a accueilli cette proposition. Elle a d’ailleurs lancé, sous cette impulsion, d’autres invitations à des galeries pour apporter une plus grande diversité de regards à cette sixième édition du festival.

Richesse élective des oeuvres présentées entre art and function

© Martine Camillieri

La sélection est le reflet de la diversité des techniques et des langages de la scène contemporaine. Parmi les pièces proposées, certaines sont fonctionnelles comme les bols de Marine Damas ou les cruches et vases de Victor Alarçon, Mariette Cousty, Maryse Boulesteix-Thibaud ou encore les grands plats où s’étalent des compostions abstraites du peintre Jean-François Maurige. D’autres sont sculpturales comme les oeuvres de Remi Galtier, Philippe Godderidge, Anja Marschal… pour n’en citer que quelques-uns. Flavie Courtil en a fait le support de ses compositions abstraites. Certaines font écho à des styles reconnus, comme les vanités de Valérie Delarue qui renvoient à l’art de Bernard Pallissy de la Renaissance française, ou les pièces de Raphaël de Villers qui rendent hommage à l’art subtil de la porcelaine chinoise. La plupart des formes proposées sont divagantes, issues de tous les mondes : animal, minéral, végétal, d’autres encore affirment leur abstraction. Toutes sont inhabituelles pour le moins, comme autant de reflets de la liberté des auteurs face à ces techniques dites décoratives et aux potentiels insoupçonnés, qu’ils parviennent à faire surgir.
Certains d’entre-eux ne semblent même plus chercher à produire une forme précise ou enjoindre une quelconque utilité à leurs travaux, il s’agit plutôt de pousser les limites du matériau pour arracher de nouvelles formes. Le rendu est parfois drôle, d’autres fois volontairement bancal ou au contraire empreint d’une géométrie rigoureuse.

© Martine Camillieri

Une exposition-miroir de la diversité de formes et des techniques contemporaines

D’évidence, c’est la multiplicité des approches qui prime. Le propos n’est pas de témoigner d’une tendance stylistique mais plutôt de donner à voir un foisonnement passionnant, autant offert par des céramistes de métier que des artistes pluridisciplinaires. L’exposition si bien nommée Useful Useless rappelle que l’art de la céramique est traditionnellement dédié à produire des pièces fonctionnelles qui pourtant sont aussi souvent, et depuis toujours, des oeuvres, certes classées depuis le XVIIIème siècle par l’Académie royale dans la catégorie dite des arts décoratifs. Or, à toutes les époques, dans toutes les cultures, la céramique dans sa grande variété de techniques, a donné lieu à nombre de sculptures. Elle a servi également comme support d’expression picturale, tels les magnifiques vases de terre cuite où s’étalent les épopées de la Grèce Antique, pour ne citer que les débuts de l’Histoire… Il était plus que temps de lui redonner son importance.
Depuis deux décennies, l’essor de nouvelles pratiques contemporaines est frappant. Le Parcours Art et Patrimoine en Perche s’en est fait l’écho, en montrant certains créateurs émergents privilégiant la céramique dans leurs pratiques sculpturales, comme Marina Le Gall, Elisabeth Lincot, Julia Haumont, ou Sébastien Gouju, etc. Longtemps marginalisée ou cantonnée aux pratiques amateurs, la céramique est redevenue le réceptacle d’oeuvres importantes qui réenchantent la discipline.

Les sculptures de Luc Andrea Lauras, entre fragilité humaine et abstraction

Luc Andréa Lauras au Manoir de Soisay © Garance Corteville / Parcours Art et Patrimoine 06

Le travail de la terre concerne également les sculptures de Luc Andrea Lauras, issues de sa résidence à Soisay à l’été 2024 et visibles dans une partie de l’espace qui lui est dédié. Cependant, sa terre est crue, tandis que le bois brut ou façonné structure les volumes. Composée de formes moulées et/ou d’éléments de bois en équilibre dans l’espace, elles sont fragiles dans leur matière et risquent de basculer au moindre souffle. Bien qu’abstraites dans leurs volumes, elles semblent évoquer la faiblesse humaine, celle des corps. Les oeuvres de Vincent Barré ou celles de Tony Grand sont voisines de cet univers sensible qui mêle l’organique à l’abstraction. Ce travail tout en délicatesse dénote de l’exigence du créateur car leur point d’équilibre est précis.
La lumière qui émane de la terre crue laissée au naturel ou blanchie et des surfaces de bois lustrées est douce et intemporelle. Il y a dans ce travail une incertitude alliée à un souffle d’éternité qui interrogent.

INFORMATIONS PRATIQUES

ven30mai(mai 30)10 h 30 mindim21sep(sep 21)18 h 30 minParcours Art et Patrimoine en Perche #06La Cour, 23 rue Boucicaut 61130 Bellême

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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