Julien Magre est photographe de l’intimité. Il a travaillé pendant vingt-cinq ans sur sa propre famille : la mère de ses enfants et ses enfants qu’il a photographiés tout au long de ces années. Il définit cette période comme un travelling avec la notion du temps qui s’inscrit dans une filiation. Ce grand projet a été couronné du Prix Niépce, en 2022. Pour Planches Contact Festival, Julien Magre a exploré Deauville dans le cadre d’une correspondance épistolaire et photo avec Madame S. – Sophie de Troubetzkoï (1838-1896) -, l’épouse du Duc de Morny (1811-1865), le fondateur de Deauville.

Fatma Alilate : Pour cette résidence de création, vous avez adapté votre thème privilégié, l’intimité, pour votre série Madame S., en lien avec Deauville.

Julien Magre : C’est un travail photographique mêlé à l’écriture, et à une marche à travers la ville. Une balade, plutôt une errance. Dès l’invitation à cette résidence de création, j’ai souhaité associer à la photo, l’écriture et la marche. Et en étant à Deauville, je photographiais des sensations de la ville, je marchais vingt kilomètres par jour, du matin au soir. C’est un peu l’idée de transe, j’étais en recherche. J’ai voulu connaître l’histoire de Deauville et à un moment de promenade, je fais des recherches par mon téléphone. Le Duc de Morny a acheté des terres qui étaient des marais pour bâtir des villas de villégiature. Il est tombé amoureux d’une tsarine, je l’appelle Madame S., et je me mets à lui écrire, à photographier des lieux où elle aurait pu être, où on se seraient croisés. J’ai cherché des images d’elle. Elle est morte en 1896, il y a plus d’un siècle. Il y a une peinture qui est dans l’exposition d’ailleurs, que j’ai recadrée.

FA : Ah oui avec le nœud ?

JM : Oui.

FA : Je me suis dit : « On dirait un tableau. »

JM : C’est une peinture d’elle que j’ai volontairement coupée pour donner un peu de mystère. Et donc j’ai décidé d’écrire à cette Sophie, avec une ambiguïté du temps. Tous les jours, je me suis imposé un protocole. Je venais à peu près une semaine par mois, pour cette résidence. Je me levais hyper tôt. Je marchais toute la journée, et parfois je m’arrêtais. J’écrivais sur mon téléphone une lettre, je revenais à La Villa Namouna. Au début ce n’était pas le bon papier, mais j’écrivais des lettres tous les jours.

FA : Des lettres manuscrites.

JM : Ça a été un choix d’écrire au stylo. Et même à Paris, j’écrivais aussi des lettres. Je n’en ai pas écrit tous les jours, mais une bonne quarantaine, je pense.

FA : C’était une façon d’établir un lien ?

JM : D’établir un lien et de me relier au projet. Quand je retournais à Paris, je mémorisais les promenades que j’avais faites. Et évidemment, cette Madame S., c’est une allégorie de Deauville. L’’idée est venue assez vite d’aller dans des endroits où possiblement je l’aurais vue, des cafés, des hôtels. On m’a prêté une chambre dans un Grand hôtel. Il y a une photo dans l’expo où il y a le lit défait. On pourrait croire que j’ai passé la nuit avec elle. Tout ce jeu de fiction. Au Théâtre de Deauville, j’ai fait une photo avec une porte entrouverte par un filet de lumière. On pourrait imaginer qu’elle vient de passer.

FA : Vous avez choisi délibérément des pellicules périmées avec un rendu assez magique, fantomatique.

JM : Je travaille souvent en couleur, j’ai continué à travailler en argentique. Je trouvais intéressant, ne sachant pas où j’allais, de prendre des pellicules périmées, d’aller vers l’inconnu. En utilisant des pellicules périmées, on n’est pas sûr d’avoir des images, ça aurait fait partie du processus. Il y avait cette idée d’images blanches, de feuilles blanches. Et il y a eu des images, par miracle. Ça a du sens aussi, les couleurs sont altérées, un peu brouillées, les noirs ne sont pas profonds. Et ça exprime aussi cette idée du souvenir, d’une image qui est en train d’arriver, de disparaître. Ce sont des images vaporeuses, des images fantômes ou des images mentales.

FA : Au moment de la visite de l’exposition Intimité, à votre section, Lionel Charrier a dit : « On arrive dans l’alcôve. »

JM : C’est vrai, c’était joli ça.

FA : Oui, c’était très joli. Et donc ma question : Est-ce que vous êtes tombé amoureux de Madame S., de Deauville ?

JM : Absolument ! Ce qui est assez extraordinaire dans cette résidence, c’est qu’on découvre Deauville aux différentes saisons. La première fois que je suis venu pour ce projet, c’était en mars, en semaine et la ville est assez vide par rapport aux week-ends où c’est très agité. C’est très silencieux. Anaïs Ondet, la jeune photographe, l’a dit. Il y a des maisons sublimes. Et même la région, c’est très photogénique. Pour mon projet, j’ai vraiment fait toutes les rues, j’aime toujours ce genre de déambulation, et d’aller au-delà de la ville. J’ai décidé d’écrire c’est aussi le temps de l’écriture qui ne se fait plus aujourd’hui, prendre un stylo, une feuille. Rédiger une lettre demande une attention particulière et c’était extrêmement agréable et puissant comme sensation, dans ce monde qui va tellement vite, où ça va dans tous les sens, on ne comprend plus rien.

Toutes les photographies : Madame S. © Julien Magre

FA : Qu’avez-vous retenu de cette résidence ?

JM : Au-delà du projet, c’est la générosité du lieu, de l’équipe, de Lionel, Jonas, Camille, Luther, toute l’équipe de la résidence qui nous offre un temps et un accueil exceptionnel. La photographie, c’est une pratique solitaire. On découvre d’autres regards, d’autres personnalités. Et on a eu la chance de super bien s’entendre, tous. C’était vraiment magique. C’est une expérience artistique et humaine. Là, on sent que c’est les derniers jours, on va être super tristes de ne pas se revoir. Il y avait cette espèce de rituel de se retrouver tous les mois. Ces conditions, ça n’existe pas ailleurs.

– Propos recueillis par Fatma Alilate

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Fatma Alilate
Fatma Alilate est chroniqueuse de 9 Lives magazine.

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