PhotoPortfolio

Rencontre avec L’Abbé Pierre, un homme de foi engagé et révolté contre la misère

Temps de lecture estimé : 5mins

64 ans après l’appel du 1er février 1954 de l’Abbé Pierre que reste t-il de notre humanité et de notre solidarité ? Un photographe, Marc Melki se bat pour dénoncer le nombre sans cesse croissant et alarmant de personnes isolées ou des familles dorment dans la rue. Pour ce 1er février 2018, nous avons décidé de publier un hommage à L’Abbé Pierre, un portrait intime, réalisé par le journaliste Jacques Revon.

« Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime »

Le 5 août 1912 nait à Lyon Henri Grouès dit plus tard: l’Abbé Pierre.
Jeune scout et castor méditatif, il devient en 1931 et durant sept années, moine capucin au Couvent des capucins de Crest dans la Drôme puis est ordonné prêtre en 1938 à Lyon, dans la chapelle de son ancien collège.

En 1942 il s’engage dans la résistance avec comme pseudonyme, « Abbé Pierre » et crée dans le Vercors le maquis Malleval.
En 1945 « parachuté » politique en Meurthe et Moselle, il devient député indépendant, apparenté au MRP, Mouvement Républicain Populaire.
En 1947, il ouvre à Neuilly-Plaisance une auberge internationale de jeunesse et en 1949 fonde la première communauté Emmaüs.

C’est en plein hiver 1954 qu’il impulse « une Insurrection de la bonté ». En 1991, l’Abbé Pierre s’installe en Normandie à Esteville dans le département de la Seine-Maritime et ce jusqu’en 1999.
A l’âge de 94 ans, l’Abbé Pierre décède le lundi 22 janvier 2007 à l’hôpital du Val-de-Grâce, à Paris.
Il repose au cimetière d’Esteville dans le diocèse de Rouen, il est enterré tout prêt de Lucie Coutaz et de 26 autres compagnons.
Lucie Coutaz fut cofondatrice du mouvement Emmaüs et également toute sa vie, secrétaire de l’Abbé Pierre.

Durant les années 1980, l’Abbé viendra un mois sur deux au monastère normand de Saint-Wandrille pour se recueillir dans la prière.
C’est là, durant l’hiver de l’année 1989 que je vais pouvoir le rencontrer dans sa minuscule cellule et échanger avec lui.
Je découvre immédiatement un prêtre hors du commun, aux positions précises, au parler doux, franc et sans détour. Il m’accordera une interview et m’autorisera à le photographier dans son univers.
Cet homme d’action bouleversera les idées reçues, les certitudes de certains, parlera toujours avec amour au nom de tous les sans papiers, des sans abris et des démunis. Médiatisé, il deviendra la personnalité préférée des français.
C’est donc le premier février de cet hiver glacial de 1954 que l’abbé au béret penché, lance sans mâcher ses mots, un appel mémorable sur les antennes de Radio-Luxembourg (RTL) « les sans-abris dit-il, sont moins bien soignés que les animaux » et ce soir là, il déclare une guerre contre la misère.

Voici le texte intégral de son appel du 1février 1954.

Mes amis, au secours…
Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à 3 heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant-hier, on l’avait expulsée. Chaque nuit, ils sont plus de 2000 recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant l’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent!
Écoutez-moi ! En trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir-même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent
sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime ».
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci! Chacun de nous peut venir en aide aux sans abri. Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain: 5.000 couvertures, 300 grandes tentes américaines, 200 poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie ! Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève.
Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.

En une semaine, 500 millions de francs seront récoltés – l’équivalent de 8 millions d’euros.

Avec cet argent L’Abbé Pierre créera les Cités d’urgence.
Le combat de l’abbé Pierre est à l’initiative de l’adoption d’une loi interdisant l’expulsion de locataires pendant la période hivernale.

Aujourd’hui plus que jamais, ses paroles résonnent et toujours nous interpellent.

Jacques Revon
Jacques Revon est photographe, journaliste d'investigation et grand reporter français. Reportages humanitaires, conflits divers, rallyes aériens, sujets économiques et sociaux, médicaux et scientifiques, échanges culturels, tournés dans de nombreux pays… Il réalise de nombreux reportages pour France 3 dans le domaine du jazz, et en photographie pour Culture Jazz et Media Music, il couvre de nombreux festivals. En 2020, il publie "Au temps du coronavirus", un ouvrage rassemblant des images d'un collectif de photographes qui témoignent de la vie quotidienne sous pandémie (L'Harmattan).

You may also like

En voir plus dans Photo