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Rencontre avec Laura Sérani : Festival Planches Contact 2020, une édition particulière

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La onzième édition du festival Planches Contact à Deauville a été maintenue contre vents et marées. Les résidences ont débuté au tout début du premier confinement, perturbant le bon déroulé des projets des photographes, mais sans les mettre en péril. La ferme volonté de l’équipe organisatrice de maintenir la présentation des travaux a permis son inauguration le 17 octobre.

C’est à la veille de la mise en place du couvre feu à Deauville, le week-end du 22 octobre, que nous nous sommes rendus sur place pour découvrir les 16 expositions du festival, cru 2020. À cette occasion, nous avons rencontré Laura Sérani, directrice artistique de la manifestation, pour nous présenter cette édition qu’elle qualifie de « spéciale ». 2020 ne pouvait pas être une année comme les autres, de par la pandémie qui sévit sur l’ensemble du territoire depuis le premier trimestre, et qui a imposé ces mesures de confinements et un arrêt complet et brutal du secteur culturel. Une édition particulière donc, tant par les sujets traités, souvent inhérents au contexte inédit, avec une approche où démarche documentaire et travail d’auteur ont été plus que jamais étroitement liés ; mais aussi par l’état d’esprit général qui s’est développé pendant les résidences.

Laura Sérani entourée des photographes de Planches Contact © Ericka Weidmann

Ericka Weidmann : L’une des spécificités de Planches Contact, c’est de présenter un travail réalisé à Deauville et ses environs dans le cadre d’une résidence. Quel est donc le rôle du directeur artistique dans ce processus, du projet jusqu’à la réalisation de l’exposition ?

Laura Sérani : Ici, en plus du rôle de directeur artistique comme pour n’importe quel autre l’événement, c’est que l’on participe à l’élaboration et à la conception du projet. C’est ce qui rend mon rôle encore plus passionnant. Dans ce cadre-ci, c’est un pari que l’on fait sur un photographe, lorsqu’on lui demande de venir faire une résidence. On ne sait pas avec exactitude quel sera le résultat. De plus, souvent les projets initiaux sur le territoire sont amenés à évoluer, pour mille raisons. Parfois un peu, et quelques fois diamétralement. Ici, on travaille aussi beaucoup sur la présentation des expositions en plein air, c’est quelque chose qui me tient beaucoup à cœur. Cette ville se prête vraiment à l’intégration de l’image, ce qui permet de toucher tout le monde, et aller à la rencontre de nouveaux publics. Tout le monde fait des photos aujourd’hui, mais peu savent réellement faire la différence entre une bonne et une mauvaise image. Placer les expositions dans l’espace public participe à l’éducation du regard.
Ensuite, il y a un travail de recherche des lieux d’exposition, il est essentiel de faire correspondre le projet en fonction du lieu qui accueillera les photos. Cet exercice est difficile car les images n’existent pas encore, donc on doit appréhender le rendu.
La réalisation des résidences a commencé en février et s’est terminée au mois de juillet, et après c’est toute la partie production des expositions, scénographies et catalogue qui prend la main.

Sublime exposition de Todd Hido, Planches contact Deauville 2020 © Ericka Weidmann

Et puis, il y a eu les oiseaux, 2020 © Todd Hido, Galerie les Filles du Calvaire

EW : Le délai de résidence est finalement assez court, j’imagine qu’il y a des moments de doutes, de remise en question…

LS : Il y a des choses dont je suis sure, mais oui il y a forcément des doutes. Et du côté des photographes c’est la même chose, j’essaye de les accompagner au mieux dans leurs réflexions, les inciter parfois à changer de direction quand c’est nécessaire ou au contraire les conforter dans leur projet. De les motiver… Finalement, on commence à voir les premières images très tôt, puisqu’on est tous ensemble en résidence. On vit ensemble dans une maison très accueillante, ce qui facilite tous ces moments d’échanges. Parfois il y a 6/7 photographes en même temps, et cela permet des interactions entre tous, les photographes confirmés, les plus jeunes talents… C’est très enrichissant et intéressant. C’est un risque également, on redoute un peu qu’il n’y ait pas d’entente entre tout le monde…
Todd Hido est venu en février – puisqu’il recherchait la lumière d’hiver – juste avant la période de confinement, heureusement sinon il n’aurait pas pu venir puisqu’il vit à San Francisco. Il était en résidence avec plusieurs jeunes photographes, c’était une chance pour eux de partager cette résidence avec un tel photographe, même s’il est très solitaire. Ca permet aussi de découvrir les gens autrement, dans des instants d’intimité… Il y a aussi des amitiés qui se tissent.

Théo et Salomé © Lorenzo Castore pour Planches Contact Deauville 2020

EW : Compte tenu de la situation sanitaire, avez-vous envisagé d’annuler l’événement ? Et pourquoi était-il important de le maintenir? 

LS : Au début, on ne savait pas grand chose. La résidence a bien entendu été interrompue au moment du confinement. On ne savait pas si elle pourrait reprendre et dans quelles conditions. La volonté de continuer était bel et bien là. Nous avons donc repris la résidence, et lorsque nous avons appris que le festival de cinéma américain de Deauville était maintenu, nous étions très confiants. S’il avait lieu en septembre, nous pouvions normalement et logiquement faire le nôtre en octobre, à moins qu’il y ait un reconfinement. Tout pouvait arriver finalement, mais nous avons décidé de continuer dans le but que la manifestation ait bien lieu. Nous avons dû modifier le programme, puisque des photographes n’ont pas pu venir ; les Franciscaines – nouveau lieu culturel – devaient ouvrir leur portes cette année, les expositions en intérieur devaient être présentées sur place, l’inauguration était été repoussée, nous avons dû nous adapter pour trouver de nouveaux espaces d’expositions.

Magic Hour © Evangelia Kranioti, ADAGP, pour Planches Contact Deauville 2020

Magic Hour © Evangelia Kranioti, ADAGP, pour Planches Contact Deauville 2020

EW : Est-ce que tu as eu des surprises à la restitution des travaux des photographes ? 

LS : C’est toujours une surprise. Le premier point, c’est sur la quantité, le volume du travail sur l’ensemble de la résidence. Il y a le travail de Lorenzo Castore avec sa série « Théo & Salomé », deux jeunes amoureux de 18 ans, un nouveau chapitre de portraits de la condition humaine. Je voyais les images s’accumuler, chaque jour un peu plus. Et on a travaillé sur toute cette matière là. Il y a également Philippe Chancel qui a catalogué de manière systématique l’ensemble du territoire de Deauville et de ses alentours. Au fil du temps, j’ai vu toute la transformation du projet, jusqu’à découvrir les très belles images qu’il a restituées. Todd Hido, ça a été une vraie surprise car je n’avais rien vu avant son retour à San Francisco, j’avoue que c’était d’ailleurs assez stressant car je savais qu’il n’allait faire qu’une petite dizaine d’images. Finalement, il y en a eu un peu plus, et on en a gardé une quinzaine pour l’exposition, c’est sublime. On a pas besoin de plus, pour qu’il raconte son histoire. Je pense également à Evangelia Kranioti. Pour moi, c’est une sorte de nuit américaine, elle a réalisé des portraits mis en scène en extérieur, entre chien et loup. On a organisé la venue d’un cheval sur la scène du théâtre du Casino de Deauville, c’était incroyable. L’exposition est au petit bassin, nous avons donc fabriqué des structures spécialement conçues pour présenter cette exposition, pour qu’elle s’inscrive parfaitement dans l’architecture balnéaire du lieu… Il y a aussi l’installation très étonnante et très intelligente d’Hugo Weber, un regard décalé sur les coulisses du monde hippique.

Exposition Nadine Jestin, lauréate du Tremplin Jeunes Talents 2020 © Ericka Weidmann

Exposition Clara Chichin, Tremplin Jeune Talents 2020 © Ericka Weidmann

EW : Le tremplin Jeunes talents a été initié en 2016, que recherchent les membres du jury dans ces jeunes photographes ?

LS : Le jury est très varié, ils viennent d’univers différents. Donc généralement avec des profils aussi différents, on a des attentes différentes. On se réunit une première fois en janvier avec les dossiers que j’ai préalablement sélectionnés. Déjà là les différences d’intérêts se font sentir. Chacun défend son point de vue et dans la sélection finale (Clara Chichin, Nadine Jestin, Manon Rénier et Hugo Weber), on retrouve cette pluralité de regards. Avec Anne Lacoste et Philippe Augier, par exemple, on est souvent sur la même longueur d’ondes, et on a de nombreux points communs dans la manière de voir les choses. Mais c’est un vrai échange, je n’impose rien au jury. C’est important que chacun puisse s’exprimer. On essaye de proposer des écritures et des sujets différents pour obtenir un panorama réaliste de la jeune photographie.

Si Deauville, 2020 © Philippe Chancel

Expositions des photographes invités : Evangelia Kranioti, Todd Hido, Philippe Chancel, Lorenzo Castore, Mathias Depardon, Riverboom et Nikos Aliagas.
Exposition sur la place : Dans cette année de Brexit, Planches Contact fait un clin d’oeil à l’Angleterre en dédiant sa grande exposition sur la plage à Martin Parr et ses images iconiques de New Brighton et de la côte britannique dans les années 80 et 90.
Expositions Tremplin Jeunes Talents : Clara Chichin, Nadine Jestin, Manon Rénier et Hugo Weber.
Exposition photo4food : Charlotte Bovy, Thomas Dhellemmes, Letizia Le Fur et Anaïs Tondeur.

INFORMATIONS PRATIQUES
Festival Planches Contact 2020
Du 17 octobre au 3 janvier 2021
14800 Ville de Deauville
Les expositions en intérieur sont fermées au public jusqu’à nouvel ordre.
Les expositions en extérieur sont accessibles, mais dans le cadre des mesures sanitaires.
http://deauville.fr/

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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