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Rencontre avec Gaëlle Rio : « Faire du musée de la Vie romantique une référence du romantisme est une ambition forte pour moi »

Temps de lecture estimé : 11mins

Nommée à la direction du musée de la Vie romantique en janvier 2019, Gaëlle Rio consacre sa première exposition aux salons littéraires à l’ère romantique, annonçant ainsi les grandes lignes de son projet pour ce musée-atelier d’artiste consacré à l’art du XIXe siècle, magnifique écrin dont elle entendu valoriser les collections en regard d’expositions consacrées au courant romantique au sens élargi et à des artistes contemporains.

Sa nouvelle exposition «Tempêtes et naufrages. De Vernet à Courbet » n’ayant pu ouvrir, elle revient sur les défis qui se posent en cette période de pandémie, à plus ou moins long terme, le numérique étant l’une des pistes possibles pour maintenir le lien avec le public. Gaëlle Rio souhaite aussi engager d’autres réflexions en matière de conception et de durabilité des expositions.

Portrait de Gaelle Rio

Docteure en histoire de l’art, Gaëlle Rio a débuté sa carrière en qualité de conservatrice du patrimoine et cheffe du service d’action culturelle au musée Carnavalet – Histoire de Paris, avant de rejoindre en 2013 le Petit Palais, en tant que conservatrice en charge, des arts graphiques XVIIIe-XXe (de 2013 à 2018) puis des peintures XIXe (en 2018). Elle enseigne dans le même temps à l’École du Louvre et à l’Institut national du Patrimoine (INP). Spécialiste du XIXe, Gaëlle Rio a été commissaire de nombreuses expositions telles que L’Allemagne romantique. Dessins de la collection de Weimar (2019) ; L’Art du pastel, de Degas à Redon, (septembre 2017-avril 2018); L’Art de la paix. Trésors et secrets de la diplomatie, (octobre 2016-janvier 2017); Fantastique ! Kuniyoshi, le démon de l’estampe et L’estampe visionnaire, de Goya à Redon, (octobre 2015-janvier 2016); Paris 1900. La ville spectacle, (avril-août 2014) au Petit Palais ; French Jewelry from the Petit Palais, à Cincinnati, Omaha et Jacksonville aux États-Unis (février 2017-janvier 2018), expositions dont elle a réalisé les catalogues de référence.

Herida como la niebla por el sol, 1987 © Ouka Leele, Galerie VU’

Que représentait pour vous le musée de la Vie romantique avant votre arrivée ?

Ce musée m’était familier étant précédemment conservatrice au Petit Palais et au musée Carnavalet, autres musées de la Ville de Paris et également amatrice des expositions proposées par le musée de la Vie romantique, toujours de grande qualité.

L’exposition « Tempêtes et naufrages. De Vernet à Courbet » : genèse

Cette exposition me tient particulièrement à cœur traitant du domaine maritime et de la tempête, une thématique selon moi emblématique de l’histoire de la peinture et vraie source d’inspiration pour les artistes romantiques. L’idée principale de cette exposition est de montrer comment la tempête météorologique et le déchaînement de la nature, font écho aux tourments intérieurs des artistes, qu’ils soient peintres, écrivains ou musiciens. Au delà d’un simple motif pictural c’est une grande source d’inspiration qui s’inscrit également dans mes souhaits de programmation pour le musée. On s’éloigne un peu des collections du musée centrées autour de la vie artistique parisienne de la première moitié du XIXème, pour élargir le spectre. Faire du musée une référence du romantisme est une ambition forte pour moi en proposant des expositions en contrepoint des collections centrées sur la vie parisienne à l’époque romantique. Cette exposition, de plus, présente un panorama d’artistes, comme l’indique son sous-titre « de Vernet à Courbet » tous différents mais emblématiques de cette acmé de la représentation de la tempête à cette période. Même si la tempête a déjà été représentée avant, au XVIIème et XVIIIème siècle et le sera après, elle connaît son apogée à la période romantique.

La tempête, Félix Ziem

Enjeux et parti pris scénographiques

Les expositions temporaires sont situées dans les ateliers d’Ary Scheffer ce qui est à la fois un atout et une contrainte. N’étant pas dans un espace complètement neutre, notre marge de manœuvre reste assez minime. J’ai souhaité alors favoriser une scénographie originale qui s’éloigne un peu du lieu de l’atelier, au contraire de la première exposition que j’avais proposé autour des salons romantiques parfaitement en osmose avec l’esprit du musée. Avec la scénographe Cécile Degos nous avons imaginé une occultation de la verrière des deux ateliers pour n’en garder que la forme d’un hublot, créant ainsi un espace plus sombre dans une palette de couleurs en résonance maritime dans les bleus et verts.

Huet Paul (1803-1869). Paris, musée du Louvre

L’enjeu, plutôt que de proposer un parcours chronologique, est de proposer un récit vivant en trois chapitres autour tout d’abord des sources de la tempête, son spectacle et de l’après tempête.

La première partie dédiée aux sources de la représentation de la tempête explore aussi bien l’origine de sa représentation, les grands jalons et les sources littéraires et bibliques. Le premier tableau qui inaugure l’entrée de l’exposition est de Rubens avec une représentation de Jonas jeté à la mer pour calmer la colère divine (Musée des Beaux-Arts de Nancy). Suivent différentes œuvres en lien avec la littérature et bien entendu le grand maître de la tempête pré-romantique : Joseph Vernet.

Après ce premier jalon, on entre véritablement dans les grandes tempêtes romantiques à travers deux angles d’une part, les peintres qui représentent exclusivement la nature déchaînée et le paysage à travers un certain nombre de phénomènes : les vagues, les nuages, les éclairs, la foudre et d’autre part, ceux qui introduisent la figure humaine dans un infiniment petit par rapport au sublime de cette nature. Ce spectacle effroyable doit susciter différentes émotions ou sentiments, tels que la colère, le désespoir, le désarroi, la peur, l’imploration, avec ces personnages les bras levés au ciel. La tempête et la nature deviennent ce miroir parfait des sentiments de l’artiste comme avec Théodore Géricault, Eugène Isabey, Paul Huet, puis Johan Barthold Jongkind, Eugène Boudin et Gustave Courbet qui sont les héritiers d’Isabey.

La troisième partie s’intitule « après la tempête » à partir du titre de nombreuses œuvres. Une fois que la tempête s’est déchaînée, la mer s’est démontée et le ciel s’est couvert de nuages, nous sommes face à un spectacle de désolation avec les épaves et les naufragés sur le sable, la plage, la côte, qui suscitent de nombreuses représentations. Les peintres Eugène Isabey, Pierre-Emile Berthélémy ou Paul Huet s’attachent au thème de la femme noyée.

L’idée importante aussi de cette exposition est de donner une large place à la littérature et à la musique en lien avec ma conception générale du musée. Cette place se traduit dès la première partie de l’exposition avec la diffusion d’une bande musicale composée d’ extraits liés aux tempêtes par Beethoven, Liszt, Rossini, et la présence de la littérature avec des manuscrits de Lamartine, Victor Hugo, Bernardin de Saint-Pierre, Chateaubriand… provenant de notre bibliothèque et enfin l’enregistrement de textes lus par Guillaume Gallienne, de la Comédie Française.

Sélection de textes littéraires à travers la voix de Guillaume Gallienne, pourquoi ce choix ?

C’est un comédien dont je suis le travail, qui a une voix que j’apprécie pour son timbre est assez chaud et enveloppant. De plus je voulais accompagner l’exposition d’une voix connue afin que cette thématique de la tempête qui a été très célèbre puisse trouver ainsi un écho et un ambassadeur talentueux auprès du grand public et parler au plus grand nombre.

Louis Garneray, le Naufragé musée des beaux-arts de Brest

En parallèle à la vie parisienne des salons vous souhaitez donner une vraie place à la création contemporaine avec notamment l’exposition « Coeurs » , quelle en a été la réception ?

Cette exposition s’inscrivait dans un souhait de programmation élargie, pour pouvoir alterner une exposition de beaux arts classique et une exposition plus contemporaine mais en écho avec nos collections. Il ne s’agit pas d’écarter les collections permanentes, assumant pleinement mon côté dix-neuvièmiste. Je voulais m’adresser à un public qui ne connaissait pas forcément notre musée par le biais de l’art contemporain. J’ai choisi cette thématique également à partir d’une réflexion sur notre identité et le titre même du musée. Cette notion de vie romantique est souvent galvaudée dans le langage commun et ne renvoie pas à ses fondements littéraires et artistiques. Cette exposition était un moyen d’interroger nos collections au regard d’un motif, le coeur, très présent au XIXème dans la littérature notamment chez Alfred de Musset et de nombreux écrivains, aux côtés d’oeuvres contemporaines pour sonder comment aujourd’hui les artistes s’en saisissent comme métaphore de l’amour mais aussi de la création et du génie artistique.

En terme de réception, l’exposition a très bien fonctionné. Nous avons ouvert le 14 février, jour de la Saint Valentin, lors d’une belle fête ayant accueilli 3000 visiteurs, tout ceci avant le grand bouleversement de cette année. Le musée était gratuit pour la première fois et ouvert de 10h à 22h avec différents événements qui se sont succédé tout au long de la journée : ateliers pour les enfants puisque nous étions en période de vacances scolaires, un concert de chansons d’amour, une compagnie de danse, des étudiants médiateurs de l’École du Louvre… Après cette belle programmation de lancement nous avons eu du 14 février au 16 mars une fréquentation de près de 13 000 visiteurs, au-delà de ce que nous attendions. Nous avons rouvert suite au premier confinement, le 16 juin et j’ai pu prolonger l’exposition jusqu’au 13 septembre alors qu’elle devait se terminer initialement le 12 juillet. On peut considérer que le bilan est positif malgré tout. J’entends donc bien poursuivre dans cet esprit et j’insiste dans une approche globale autour du XIXème siècle. A l’avenir je voudrais donner carte blanche ou proposer à un.e artiste seul.e cette fois d’investir aussi bien l’intérieur et l’extérieur du musée avec le jardin qui s’y prête, en regard de nos collections.

Fonctionnement du musée au quotidien

L’équipe du musée regroupe 25 personnes en comprenant les agents d’accueil et de surveillance.
Notre de budget de fonctionnement est de 20 000 euros sachant qu’un certain nombre de nos dépenses et ressources sont mutualisées par le réseau Paris musées, établissement public de la Ville de Paris.

Ce nouveau confinement soulève un certain nombre d’enjeux et de défis pour les institutions culturelles, quelles sont vos priorités et réflexions dans ce sens ?

Le premier constat est un certain désarroi car il est compliqué dans cette période en regard de la vocation même d’un musée, de maintenir le lien avec le public et nos collections. Malgré tout il faut rester mobilisés. Nous le faisons par le numérique même s’il ne peut se substituer au contact direct à l’œuvre.

C’est une manière de faire perdurer ce lien, et au delà de l’expérience du premier confinement je tiens à renforcer notre présence numérique par le biais de Podcasts par exemple autour de différentes œuvres et coups de cœur de notre équipe. J’ai eu à l’occasion de la Nuit des musées, numérique cette année, la visite de Mme Bachelot qui a été filmée et est diffusée à présent sur le site du Ministère de la culture.

Si l’on dépasse ce manque d’interaction avec le public et plus largement, d’interaction sociale, c’est une période où l’on peut aussi inventer et réfléchir aux missions d’un musée dans un tel contexte : sont-elles vitales ou essentielles ? L’intérêt à mon sens, de cette période, plutôt de se précipiter est d’entamer des réflexions à plus long terme sur le mode de présentation, de valorisation et de diffusion de nos collections auprès d’un plus grand nombre, par le biais des itinérances notamment en commençant par la France où tous les publics ne viennent pas systématiquement à Paris voir une exposition. Cela nécessite aussi une réflexion collective autour de la durabilité des projets dans une approche plus vertueuse.

INFOS PRATIQUES
« Tempêtes et naufrages. De Vernet à Courbet »
Jusqu’au 14 mars 2020
Le musée de la Vie romantique
16 Rue Chaptal
75009 Paris
Le musée de la Vie romantique étant actuellement fermé suite aux décisions gouvernementales comme l’ensemble des musées de la Ville de Paris, sa réouverture est prévue le 15 décembre 2020.
https://museevieromantique.paris.fr/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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