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Plateforme expérimentale et centre d’art et de recherche bruxellois, l’ISELP, Institut Supérieur pour l’Etude du Langage Plastique, fête ses 50 ans cette année. Il s’associe pour la première fois avec La Verrière, espace de la Fondation d’entreprise Hermès suite à l’invitation de Guillaume Désanges commissaire de l’exposition de l’architecte italien Gianni Pettena, « Forgiven by Nature ». Son directeur Adrien Grimmeau revient sur la genèse de ce projet partagé à travers l’installation historique et immersive Paper /Midwestern Ocean (1971) réactivée pour l’occasion par le public dans les vastes espaces du site.

Un second volet qui incarne la pensée frondeuse et pionnière de ce théoricien à l’encontre d’une vision autoritaire, dominante et standardisée de l’architecture. Après un échange sur zoom depuis l’Italie avec l’architecte âgé de 80 ans dans l’auditorium, nous sommes invités à dessiner un parcours à l’aide de bandes de papier blanc découpées avec des ciseaux, oscillant entre immersion sensuelle et perte de repères. Une expérience unique et sensible de cheminement aux confins des grands enjeux de l’anthropocène et des forces invisibles de la nature, qui fait sens avec les fondements mêmes de l’Institut comme nous le rappelle Adrien Grimmeau qui prépare les 50 ans de l’ISELP à travers un ambitieux chantier architectural en lien avec son histoire patrimoniale et les fondements de sa vocation.

Portrait d’Adrien Grimmeau © Hugo Frey

Genèse de ce partenariat avec la Fondation d’Entreprise Hermès autour de l’exposition Gianni Pettena : vos liens avec Guillaume Désanges

Guillaume Désanges responsable du cycle d’expositions pour la Verrière-Hermès tout proche de l’ISELP et moi-même, menons un partenariat autour de conférences, l’ISELP proposant un certain nombre de rencontres et de séminaires en plus de ses expositions. C’était une évidence pour nous d’accepter la proposition de Guillaume, étant donné toutes les qualités conceptuelles et sensibles de son approche, d’autant plus que le projet avait un brin de folie, nous permettant de questionner l’institut en repartant de ses origines, l’œuvre Paper, et c’est un hasard, datant de 1970. Il était pertinent pour nous de réactiver une forme qui à l’époque se voulait déjà un discours critique sur la société, cette analyse étant l’une des raisons d’être de l’institut.

Retour sur l’ADN de l’Institut et sa vocation

Nous sommes une plateforme d’art et de recherche en art contemporain, c’est-à-dire que nous organisons des expositions mais aussi des cours, des conférences, des résidences d’artistes et de chercheurs, des podcasts en histoire de l’art mais aussi en sciences humaines, en littérature, photographie, films, vidéos…Pour synthétiser toutes ces activités, notre ambition est de dresser des ponts entre les chercheurs, les artistes et le public autour des questions de l’ancrage de l’art dans la société contemporaine. On veut aider l’art à faire sens, à proposer à des gens de s’en servir pour nourrir leurs réflexions sur le monde.

Comment cela se traduit-il ?

A travers des conférences dans notre auditorium, trois expositions par an et depuis peu dans le cadre de nos 50 ans un programme de podcasts qui s’est trouvé encouragé par le confinement qui permet de pérenniser les échanges de nos chercheurs et conférenciers et de faire valoir ce contenu auprès d’un auditoire beaucoup plus large.

Gianni Pettena, Ice House I, 1971, installation, Minneapolis (États-Unis), courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris © Studio Gianni Pettena

Gianni Pettena, About Non-Conscious Architecture, 1972–1973, série photographique, courtesy de l’artiste et Salle Principale, Paris © Studio Gianni Pettena

Quelle vision avez-vous de l’architecture et comment rejoint-elle la pensée de Gianni Pettena ?

J’ai trouvé très pertinente la présentation de Guillaume Désanges du travail de Gianni Pettena dans la manière dont l’architecture nous contraint et je m’intéresse à l’architecture à travers les questions de l’art dans l’espace public sur lesquelles j’ai beaucoup travaillé. La question du graffiti dans sa dimension illégale et la question de la commande publique d’intervention dans la ville sont des enjeux qui me préoccupent particulièrement à savoir comment un objet dans la ville peut faire sens, alors qu’il s’agit plus souvent finalement d’imposer une vision des choses, un discours et un ordre établi. Je suis donc très sensible à cette question de se réapproprier l’espace collectif. L’intervention de Gianni Pettena est de ce fait particulièrement stimulante ici avec cet artiste qui nous invite à combler complètement l’espace d’exposition de bandes de papier, qui en vient à disparaitre, jusqu’à ce des visiteurs viennent le redécouper avec des paires de ciseaux créant un parcours qui leur est propre. Même s’il y a une sorte d’ambivalence dans ce geste, entre violence et plaisir enfantin, il en demeure une évidence à se réapproprier ce lieu qui est notre espace quotidien.

Mon rapport à l’architecture est de cet ordre là, à savoir comment essayer que l’architecture nous stimule plutôt que nous enclave.

Quelle est la typologie de votre public et ses attentes ?

Nous avons un public assez varié, qu’il soit très amateur d’art contemporain ou dans une envie d’initiation plus large. Cela va d’ étudiants en art ou d’un public d’anciens élèves qui a envie de compléter son savoir.

En ce qui concerne nos expositions elles attirent elles aussi un public très varié, et il est difficile de catégoriser. Nous sommes attentifs à certains publics et notamment les adolescents de l’enseignement secondaire et des écoles d’art belges, notre objectif étant de leur montrer que l’art peut être un outil «  en capacitation » même si je n’aime pas ce terme, un outil d’émancipation et de savoir qui ne soit pas une barrière mais au contraire une aide dans la société. Pour nous l’art est un outil et non une fin en soi. Nous leur proposons des workshops, des séminaires, et certains sont parfois exposés ici. Nous les invitons à vivre non seulement une expérience artistique mais à participer à l’élaboration d’un discours sur les liens entre l’art et la société.

Les 50 ans de l’ISELP, objectifs et chantiers

Dans le cadre de cet anniversaire j’avais envie en tant que directeur ayant travaillé ici depuis plusieurs années de pointer un certain nombre de questions qui sont sous-jacentes autour de la visibilité d’un centre d’art contemporain et de son accessibilité. Qui sommes-nous et à qui nous adressons-nous ? Nous avons alors réunies toutes ces questions en une seule autour de l’accueil de l’institut à travers une nouvelle charte graphique : logo et nouveau site web et surtout une transformation de l’entrée. Les architectes et artistes qui ont travaillé sur ce projet en diptyque (le duo Denicolai & Provoost associé à bureau NORD et studio OSP) nous ont proposé de déménager l’accueil, ayant la chance d’utiliser ce site magnifique des anciennes écuries du Palais d’Egmont, un bâtiment néo-classique classé en plein cœur de Bruxelles, véritable écrin jamais totalement assumé. L’entrée se fera désormais par le passage qui traverse les écuries au détriment du boulevard de Waterloo façade perdue parmi d’autres enseignes commerciales luxueuses. Il faudra alors faire un pas de côté et emprunter ce lieu qui est hors du temps, offrant une rencontre entre la nature du parc environnant et cette architecture néo-classique très reposante. Nous voulons réinstituer une sorte de simplicité et d’immédiateté pour se sentir prêt à entrer en dialogue et en confrontation avec l’art contemporain. Nous prévoyons également une publication suite à la numérisation de toutes nos archives.

Gianni Pettena, Paper (Midwestern Ocean), performance-installation, 1971-2021, ISELP, Bruxelles © Isabelle Arthuis / Fondation d’entreprise Hermès

Quelles synergies mettez-vous en place avec d’autres institutions phares à Bruxelles dédiées également à l’émergence ?

Nous mettons beaucoup de connexions en place et le partenariat avec Guillaume Désanges et la Verrière en est un exemple même si notre engagement le plus fort dans ce sens se fait avec les écoles d’art, Bruxelles offrant un vivier important et en parallèle aussi avec les universités. Un de nos objectifs de spécificités à développer concerne à la fois les artistes mais aussi les chercheurs. Nous sommes donc peut-être moins connectés à d’autres lieux d’expositions à Bruxelles qui sont foisonnants et proposent une offre exceptionnelle, souhaitant être le lieu de la discussion et du temps de la conception d’un savoir qu’il soit multiple, complémentaire ou non. C’est tout notre objectif. C’est pourquoi nous accueillons des historiens qui viennent pour quelques mois travailler au centre de documentation puis ensuite vont proposer des conférences, publier des podcasts, aller dans les écoles pour échanger sur leurs découvertes etc..Nous allons dans ce sens ouvrir deux résidences scientifiques par an. Il s’agit autant d’encourager une expérience artistique et l’exposition de Gianni Pettena en ce sens est immédiate et en même temps être le lieu d’une parole autour de l’art.

INFOS PRATIQUES :
Gianni Pettena, Forgiven by Nature
Jusqu’au 13 mars 2021
La Verrière Hermès
Boulevard de Waterloo, 50
Bruxelles, Belgique

L’ISELP
Bd de Waterloo, 31
Bruxelles, Belgique
Entrée libre, du mardi au samedi de 11 à 18h
Accueil – ISELP – Institut 
Supérieur pour l’Étude du Langage Plastique

Relire mon interview avec Guillaume Désanges à La Verrière/Fondation d’entreprise Hermès (1ère partie de l’exposition).

visit.brussels/fr
visitflanders.com/fr/

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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