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Cette semaine, dans notre rubrique réservée aux photographes, nous partageons le travail documentaire de Rudy Burbant sur l’impact des violences policières sur les corps et les vies. Le photographe a rencontré dix victimes, hommes et femmes, manifestant·es, gilets jaunes, pompiers ou simples passants… Il a réalisé leur portrait, accompagné d’une nature morte d’objets liés à leurs agressions et d’un témoignage sonore. Ce travail a été primé lors de la dernière édition du festival Quinzaine Photographie Nantaise.

C’est l’histoire d’un instant de bascule, le moment du choc, mais c’est aussi la vie après. Ce sont des histoires de reconstruction, de combat des corps et des esprits pour réapprendre, parfois se retrouver, souvent se réécrire. Ce sont aussi des histoires de déni, d’invisibilisation et d’inlassables combats judiciaires,
J’ai travaillé sur cette série pour que nous puissions tous, faire face à chacun de ces regards. Le volet central de ce travail documentaire est la rencontre avec 10 victimes de ces violences dans différents contextes d’opérations de « maintien de l’ordre ».
La série s’attache à sortir des images brutes des événements pour prendre le temps de saisir ce qui se joue pour chacun d’entre eux au travers de leurs regards, leurs stigmates mais aussi par les objets de la reconstruction. En ponctuation, j’ai souhaité décortiquer ceux de l’impact, donner quelques clés pour comprendre les enjeux.
L’approche se veut à la fois factuelle, clinique et sensible.

Antoine a 26 ans lorsqu’il perd sa main droite lors de sa participation à la Marche pour le Climat le 8 décembre 2018, à Bordeaux.

Ce jour là, le cortège s’entremêle assez vite à celui des Gilets Jaunes. Antoine qui avait quelques a priori sur ce mouvement, réalise en échangeant avec les manifestants qu’ils sont pour la grande majorité des personnes très sympathiques portant des revendications qui lui font écho.

La situation se tend sur la Place Pey-Berland où les manifestants sont accueillis par des grenades lacrymogènes pour les disperser rapidement. Mais la tension monte à mesure de l’après-midi. Antoine et ses amis dans un geste potache, lancent en réponse, sur les forces de l’ordre, des œufs de poules élevées en batterie pour dénoncer symboliquement le capitalisme effréné. Puis ils s’éloignent de la tension du lieu pour aller prendre un verre.

Ils reviennent plus tard pour voir où en est la situation. La place est noyée de gaz lacrymogène, Antoine s’avance par curiosité dans le nuage pour voir ce qu’il peut distinguer plus en avant, il ne distingue pas grand chose. Une grenade GLI-F4 roule à ses pieds. Dans son esprit, à cet instant, c’est une grenade lacrymogène. Par réflexe il tente de la saisir pour l’éloigner, se protéger. Elle explose et pulvérise littéralement sa main, qui devra être amputée. L’explosion lui cause aussi de multiples brûlures profondes au niveau des jambes. Les cicatrices resteront.

Bac + 2 en animation sociale et socioculturelle, Antoine avait pris une année de pause dans ses études pour travailler. Il occupait un poste d’animateur dans une école maternelle de Bordeaux. Les soins, puis la convalescence et la rééducation, ne lui ont pas permis de renouveler son contrat. Il a donc perdu son travail. Il a repris ses études à la rentrée suivante.

Sa plainte déposée contre le ministre de l’Intérieur d’alors, Christophe Castaner, et le préfet de Gironde de l’époque, Didier Lallement (qui deviendra plus tard préfet de Paris), à été classée sans suite au motif que le policier qui a lancé la grenade n’a pas été identifié, selon l’enquête de l’IGPN. L’enquête à ensuite été relancée par le procureur général de Bordeaux, elle est à ce jour, toujours en cours d’instruction.

Il participe avec d’autres blessés à la création du collectif «Les mutilés pour l’exemple», qui à pour vocation de leur donner une visibilité et permet une solidarité entre eux, de venir en aide aux nouveaux blessés et de militer pour l’interdiction de ces armes par la police.

Le 28 juin 2020, Antoine est élu conseiller municipal d’opposition sur la liste «Bordeaux en luttes» aux cotés de Philippe Poutou (NPA). Par la voie des urnes, il entre à la mairie devant laquelle il avait perdu sa main.

La prothèse myoélectrique sur mesure d’Antoine a été fabriquée en octobre 2019. C’est la plus élaborée des prothèses, mais elle demande un effort de rééducation extrêmement important comparé à une prothèse mécanique.

Son coût est d’environ 30 000 euros pris en charge par la Sécurité sociale. La condition pour en bénéficier  : avoir à l’essai une prothèse de prêt du même type,  apprendre à l’apprivoiser durant la rééducation et constater sa capacité à en faire usage.

Cette prothèse n’est pas adaptée à tout le monde du fait de la rigueur de cette rééducation. Elle est équipée d’électrodes qui, posées contre le moignon, captent les contractions musculaires et permettent d’actionner la main. Elle n’a pas la fluidité d’une main naturelle mais permet de tenir 16 positions différentes, dont certaines peuvent être programmées via une application mobile.

D’après Antoine rien n’est devenu impossible, tout est question d’adaptation… Il dispose également d’une prothèse mécanique en cas de panne de sa main myoélectrique, son coût est de 7 000 euros.

Au total, c’est donc près de 37 000 euros que la Sécurité sociale prend en charge. Antoine pourra changer de prothèse tous les 5 ans, selon l’usure.

Certaines mutuelles ne prennent pas en charge les frais médicaux causés par des blessures survenues lors de manifestations, ce qui cause de grandes difficultés pour certains blessés et mutilés. Des cagnottes sont mises en place pour leur venir en aide. Antoine n’en pas eu besoin, sa mutuelle prenant en charge ses frais médicaux.

La grenade GLI-F4 est une grenade explosive lacrymogène à effet de souffle. Elle libère le gaz instantanément puis  «  crée un effet brisant et cassant  » selon le fabricant.
Son explosion produit un son de 165 dB à 5 mètres et 160 dB à 10 mètres. (Des dégâts auditifs irréversibles peuvent être provoqués au delà de 120 dB).  Elle contient 26 grammes de TNT et 4 grammes d’hexocire.
Elle peut être lancée à la main ou propulsée par un lanceur Cougar de 50 à 200 mètres. Ici nous ne voyons que le contenant vide, puisque la partie explosive constituée de polystyrène blanc contenant le détonateur, le dispositif d’allumage et la substance explosive est pulvérisée lors de l’explosion.
Arme classée par le code de la sécurité intérieure en catégorie A2  : «Matériel de guerre»

Cette arme très controversée du fait des multiples amputations,
mutilations et autres blessures graves dont elle est la cause a été
remplacée définitivement en janvier 2020 par la GM2L qui, selon l’ACAT, produit des effets similaires.

Selon le ministre de l’Intérieur de l’époque, Christophe Castaner, la GLI-F4 a été remplacée pour prendre en considération les mutilations et blessures.

Des collectifs, associations et journalistes ont dénoncé une opération de communication et ont mis en lumière que les stocks arrivaient à épuisement, la GLI-F4 n’étant plus produite depuis quelques années par la société Alsetex.

L’usine de fabrication d’Alsetex est située à Précigné, dans la Sarthe. Classée Seveso seuil haut. Une salariée, opératrice de 48 ans, y est décédée en 2014 en préparant une composition pyrotechnique destinée à l’allumage des munitions.

Le 18 décembre 2018, Lola, 19 ans, est en prépa d’école d’arts à Bayonne lorsqu’elle participe avec une amie à un rassemblement à Biarritz contestant l’organisation du G7 l’été suivant.

L’idée de voir la région tranquille barricadée et privatisée pour la venue de ce sommet mobilise des militants altermondialistes, écologistes et Gilets Jaunes du coin le jour de la visite préalable de Jean Yves Le Drian venu rencontrer les élus. Lola se souvient d’un dispositif policier démesuré pour le nombre de manifestants et de son sentiment d’une démonstration de force en vue du G7 à venir.

Le rassemblement débute dans le centre-ville, puis est repoussé vers la promenade au bord de la grande plage. Sur place un cordon policier bloque le passage. Ils sont quelques dizaines de manifestants, dispersés. L’instant est calme. Certains manifestants s’amusent à courir sur la plage. Lola est debout sur un banc, étonnée de ce déploiement de force dans ce lieu où les manifestations sont d’habitude très tranquilles. Elle regarde la scène au travers de son caméscope qu’elle a amené pour documenter la manifestation, mais elle ne filme pas à ce moment-là. Sur sa droite, une personne jette un sachet contenant une crotte de chien sur le cordon de policiers en criant par deux fois «Attention merde de chien  !».

L’un d’entre eux riposte immédiatement par un tir de LBD qui rate sa cible. Il vient percuter Lola en pleine mâchoire. Envahie d’incompréhension elle descend du banc, s’éloigne et porte sa main au visage pour faire «  compresse  ».

Elle est prise en charge par les pompiers un peu plus loin. Le choc post traumatique se manifeste déjà dans le camion qui l’amène aux urgences. Très vive et en colère face à ce sentiment d’injustice, elle est prise de sortes de crises d’angoisse, de sanglots, de souffles courts, a du mal à se faire comprendre. Ces crises resurgiront plusieurs fois de jour comme de nuit les jours qui suivront.

L’impact du tir, à la commissure des lèvres, a éjecté une dent, provoqué une plaie ouverte et des déchirures de la peau à l’intérieur et à l’extérieur de la bouche, recousues par 40 points de suture.

Lola souffre aussi d’une triple fracture de la mâchoire. Elle est opérée le lendemain. Une plaque et une broche lui sont posées pour consolider et limiter les dégâts. Les mois suivants ses mâchoires récupèrent au fil des multiples séances de rééducation qui lui permettent de retrouver de la mobilité et de réapprendre à bien articuler.
Mais elle ressent toujours une gêne qui persistera du fait du décalage subsistant entre les deux mâchoires. L’onde de choc a également impacté d’autres parties du corps. Elle a notamment engendré des gènes dans les cervicales. Ses dents restent fragilisées, elle doit parfois extraire des morceaux qui s’effritent et l’une d’elles a dû être dévitalisée pour être retirée. Lola risque dans l’avenir de subir une arthrose précoce de la mâchoire.

Fait rare,  le tireur, un policier de la BAC, est identifié et reconnaît le tir injustifié. Mais il sera condamné le 26 juin 2020 à une modeste amende de 1350 € lors d’une procédure expéditive nommée «CRPC». Un «plaider coupable» qui permet de juger rapidement en négociant la peine avec l’accusé contre une reconnaissance préalable de sa culpabilité. Cette peine est proposée avant le procès par le procureur à l’accusé, qui l’accepte ou non. En cas de refus la procédure classique s’applique  : la peine proposée est donc en général plutôt «alléchante».

Lola est consternée qu’une telle procédure soit mise en place pour une question aussi importante que les violences policières, d’autant qu’elle et son avocate ne l’apprennent qu’une semaine avant la date du procès. Elle a la sensation de ne pas être respectée en tant que victime, que la gravité de l’acte n’est pas reconnue et que c’est une manière d’éviter le fond de la question puisque l’on ne revient pas sur les faits lors de l’audience, qui est en fait une simple audience d’homologation de la peine par le juge.

Le tireur, bien que condamné, peut continuer d’exercer.

Le LBD 40 (Lanceur de balle de défense) est le successeur du Flashball. Il tire des munitions en caoutchouc dur d’un diamètre de 40mm à 350 km/h.

Plusieurs études scientifiques, publiées notamment dans The Lancet, pointent l’extrême dangerosité de cette arme. En France, 35 professeurs d’ophtalmologie ont demandé au gouvernement, en mars 2019, un moratoire sur l’utilisation du LBD 40, en dressant le constat d’une recrudescence manifeste du nombre de blessures oculaires extrêmement graves dont il est la cause. En vain.

Le Pr Laurent Thines, neurochirurgien au CHRU de Besançon, constate que les blessures provoquées par le LBD 40 sont très similaires à des blessures d’accidentés de la route qu’il observe  dans sa pratique.

Pour faire comprendre la dangerosité de cette arme il explique que l’énergie de l’impact d’un tir de LBD est équivalente à l’énergie d’un parpaing de 20kg lâché à un mètre au dessus d’un visage. De nombreuses fractures du visage ainsi que de graves lésions sur d’autres parties du corps sont recensées.

Le LBD 40 est équipé d’un viseur électronique dont la distance optimale de tir, en terme de précision, est de 25 à 30 m.

Avant 2014, les tirs à moins de 10 mètres étaient interdits pour éviter, selon des notes de la police et de la gendarmerie, de graves lésions corporelles possiblement irréversibles et pour préserver le caractère non létal de cette arme. Cette interdiction n’existe plus.

Lorsqu’il était Défenseur des droits, Jacques Toubon, a également alerté l’Etat et demandé, plusieurs fois, l’interdiction de son usage en maintien de l’ordre.

Le LBD 40 utilisé par les forces de l’ordre françaises depuis 2009 est fabriqué par la société suisse Brügger & Thomet. Un appel d’offre du ministère de l’intérieur à été remporté, en 2019, par la société française Alsetex qui complétera l’équipement d’ un nouveau LBD, le Cougar 40, dont les caractéristiques sont similaires.

Arme classée par le code de la sécurité intérieure en catégorie A2  : «Matériel de guerre»

Dans la nuit du 21 au 22 Juin 2019 à Nantes lors de la Fête de la musique, l’intervention de la police fait tomber plusieurs personnes dans la Loire, au pied du Quai Wilson, où des Sound Systems avaient pris place pour la soirée.

La fête avait commencé comme les années précédentes. L’ambiance était toute aussi bonne. Ces dernières années, la police présente mais en retrait laissait la fête se dérouler et se terminer d’elle même. Les teufeurs fatigués quittaient les lieux tranquillement, au fur et à mesure. Jérémy se souvient être resté parfois sur le quai jusqu’en début d’après midi, le lendemain.

Mais cette année-là, le préfet de Loire-Atlantique souhaite que le son soit coupé à 4h. La plupart des DJ obtempèrent, sauf un qui, après un silence, lance un morceau bien connu : «Porcherie» du groupe Bérurier Noir.

L’intervention des forces de l’ordre commence. Les autorités disent avoir subi des jets de projectiles qui auraient déclenché cette intervention. La version des fêtards diffère  : l’offensive policière injustifiée pour disperser la foule aurait provoqué les jets de projectiles en réponse. Rien ne permet d’affirmer l’une ou l’autre version. Sur certaines vidéos, nous pouvons bien distinguer des jets de projectiles, mais l’offensive à déjà commencée.

Quoiqu’il en soit, dans cette nuit symbole de fête, de fraternité et de liberté, dans ce lieu qui se trouve au bout de l’île de Nantes dans un quartier quasiment inhabité, au bord d’un fleuve aux courants toujours tourmentés, le déploiement d’une telle force pose nécessairement question :

33 grenades lacrymogènes MP7
10 grenades de désencerclement DMP
12 Tirs de LBD 40

Des vidéos témoignent également de l’utilisation d’un pistolet à impulsion électrique (Taser) braqué sur une personne de dos et de coups de matraques portés sur des personnes au sol.

La police nie un «bond offensif» pour disperser la foule mais les vidéos montrent bien une ligne de policiers en équipements (casque – bouclier – matraque en main), avec un maître-chien, avancer dans cette direction. On entend également très rapidement et tout au long de l’intervention, des cris de personnes alertant les policiers du danger de la Loire qui se trouve derrière et leur signalant que des personnes sont tombées à l’eau à cause des «lacrymos».

A 4h30, lors de l’intervention des forces de l’ordre, près de trente minutes avant la marée basse, la hauteur de chute dans la Loire est d’environ huit mètres au niveau du Quai Wilson. La profondeur du fleuve est de près de cinq mètres.

Les eaux turbides et les courants forts, complexes et contradictoires créent des phénomènes de tourbillons particulièrement dangereux.

Les dangers du fleuve sont bien connus des Nantais et la police ne pouvait ignorer les risques d’une telle intervention sur le Quai Wilson.

Le corps de Steve Maia Caniço a été retrouvé le 29 Juillet 2019, plus d’un mois après sa disparition cette nuit là.

Jérémy, passionné de free party depuis quatre ans, s’y rend une fois par mois en moyenne. Il aime parler de sa passion pour le son, la danse, la fête, la capacité de ces instants à lui vider l’esprit de son quotidien et cette grande tolérance et solidarité qu’il ressent dans ce milieu et ne retrouve nulle part ailleurs.

Le soir de la Fête de la musique est le dernier jour de sa semaine à l’usine, où il travaille sur une chaine de production. Jérémy termine vers 2h30 cette nuit-là et arrive sur le Quai Wilson vers 3h du matin, déposé par un collègue. Il a prévu de prendre un train le matin à 7h directement après la fête pour se rendre à Saint-Etienne où il a rendez vous pour acheter le camion aménagé dont il rêve depuis longtemps.

Il se ballade le long des quais au hasard des murs de sons pour s’imprégner et croise un copain qui lui offre une bière. Ils discutent, ils dansent, l’ambiance est très bonne et ressemble à une «vraie teuf». Mais pour peu de temps.

4h, le Sound System où il se trouve coupe le son. Avec son ami ils s’approchent du dernier qui continue de jouer mais il finit par s’arrêter peu de temps après. Jérémy voit les gyrophares derrière la tente du DJ. Il comprend que c’est à la demande de la police que le son est arrêté et que c’est la fin de la soirée. Sans se poser de question il dit au revoir à son ami et commence à s’éloigner.
Un instant, le son repart. «Porcherie» du groupe Bérurier Noir. Tout contents d’entendre de nouveau de la musique, ils retournent tout les deux danser et chanter innocemment dans la foule. Deux minutes. Le son coupe net.

De la «fumée» s’élève au milieu de cette foule, à 5-6 mètres de lui. Jérémy comprend que c’est du gaz lacrymogène envoyé par les policiers. Il sent que ça devient dangereux, qu’il n’a rien à faire là, veut éviter les ennuis et marche donc aussitôt pour quitter le quai en direction du Hangar à bananes. Il croise une amie à quelques mètres et se retourne pour la prévenir que ce sont des gaz  envoyés par la police. Le temps qu’il se retourne à nouveau et reprenne son chemin, il éprouve une sensation de brulure sur le visage. Ses yeux commencent à piquer. Les gaz l’ont rattrapé et l’entourent maintenant. Par réaction il se frotte les yeux et ne voit plus grand-chose devant lui. Désorienté, il sent son pied gauche atterrir dans le vide.

Huit mètres plus bas, il sort la tête de l’eau et aperçoit des cordes devant lui. Mais à contre-courant, il se fatigue à nager pour les atteindre. Impossible. Jérémy se laisse donc dériver sur quelques mètres espérant croiser quelque chose pour s’accrocher. La lune se reflète dans l’eau ce soir-là et lui permet de distinguer une autre corde qui descend du quai. Il parvient à l’atteindre dans sa dérive.

Des bruits de détonations lui font penser à des feux d’artifices qu’il recherche dans le ciel, mais il réalise vite que les sons viennent de l’intervention de la police sur le quai. Il se dit d’attendre le calme pour appeler à l’aide et être entendu, pour ne pas se fatiguer à crier dans le vide. Quelques minutes après, il entend quelqu’un appellant à l’aide derrière lui. Jérémy parvient à l’aider à s’accrocher à la corde. Cette personne est blessée à l’épaule, probablement du fait de sa chute. Ils restent là, silencieux et agrippés à cette corde, le temps que ça se calme. Le courant de la marée descendante fait pression sur leurs corps.

La calme arrive enfin. Plus loin dans l’obscurité, quelqu’un se met à crier et tous se mettent à appeler à l’aide. Sur le quai, des personnes qui les ont entendus appellent les secours et les éclairent de leurs téléphones.
L’effort de s’agripper à cette corde, dans cette eau froide, crispe les mains de Jérémy. Ses articulations commencent à fatiguer. Il doit aussi faire l’effort de laisser le haut de son corps dans l’eau jusqu’au cou, malgré ce courant fort, pour atténuer le froid et rester «à température».

Jérémy estime à une trentaine de minutes le temps écoulé entre sa chute et l’arrivée des secours, qui doivent repêcher dans l’urgence d’autres personnes avant de l’atteindre.

Sur le bateau des secouristes, ils sont trois à être repêchés avec lui. L’un d’entre eux est persuadé qu’une personne qui se débattait près de lui dans l’eau, s’est noyée.

Arrivé à 5h55 aux urgences, Jérémy reste en observation pendant quelques heures. Il quitte l’hôpital dans la matinée. Une heure de bus pour rentrer chez lui, vêtu des habits de papier fournis par l’hôpital. Il porte ses vêtements trempés dans un sac poubelle alourdi par le poids de l’eau.

 

Les gaz lacrymogènes (aussi appelés CS) sont très fréquemment utilisés. Les grenades sont lancées principalement à la main ou à l’aide d’un lanceur Cougar de 50 à 200 mètres.
Leur banalisation fait oublier les risques qui y sont liés. A court terme, les effets identifiés sont «incapacitants»  : irritation des yeux, des voies lacrymales et respiratoires, nausées et vomissements, spasmes, problèmes respiratoires, douleurs thoraciques, dermatites et allergies.
A forte dose, ce gaz peut causer une nécrose des tissus dans les voies respiratoires ou dans l’appareil digestif, des œdèmes pulmonaires ou des hémorragies internes.
Les deux fabricants français de ces grenades, Nobel Sport situé à Pont de Buis (29), et SAE Alsetex, à Précigné (72), ainsi que l’Etat, refusent de communiquer la composition exacte des gaz utilisés.

Cette grenade MP7 libère 7 palets qui s’éparpillent et permettent de diffuser le gaz sur une zone pouvant aller jusqu’à 1000 m2.

33 grenades MP7 ont été utilisées le soir de la Fête de la musique, à Nantes, sur le Quai Wilson (rapport IGPN).

C’est une grenade MP7, qui a été tirée en direction de l’appartement de Zineb Redouane, alors qu’elle fermait les volets de sa chambre, en marge d’une manifestation le 1er Décembre 2018 à Marseille. Le tireur, un CRS, est muni d’un lanceur Cougar. La grenade percute violemment le visage de l’octogénaire à 97 km/h, puis libère son gaz dans l’appartement. Elle décédera à l’hôpital le lendemain.

 

Le 15 octobre 2019, une manifestation nationale des pompiers professionnels a lieu à Paris à l’appel de leurs syndicats. Entre 7 000 et 10 000 pompiers sont venus de toute la France.

Ils sont mobilisés dans différentes actions depuis le mois de mars et en grève depuis le début de l’été.  Ils revendiquent une meilleur considération notamment par une revalorisation de leur prime de feu et des recrutements pour faire face à la recrudescence des missions qui leur sont confiées, sans cesse étendues.

Le cortège défile entre République et Nation avec sifflets, sirènes et fumigènes dans une ambiance bon enfant. Jean, sapeur pompier professionnel au SDIS de Dijon, amer et éprouvé de voir ce métier qu’il aime tant changer ainsi depuis des années, participe avec ses collègues à la marche. En tenue et casqué comme la plupart des manifestants. La symbolique est forte.

Alors que la manifestation se termine, Jean souhaite rejoindre son bus accompagné de ses collègues du SDIS 21, pour rentrer à Dijon. La Place de la Nation est alors quadrillée de gendarmes mobiles et de CRS bouclant les sorties, empêchant le départ des pompiers.

Bien qu’il n’y ait plus d’issue, une pluie de gaz lacrymogènes est envoyée sur la place. Jean est au milieu de cette place, il attend patiemment, immobile. Il lève la tête en voyant un projectile arriver au-dessus de lui. A peine le temps de distinguer ce qu’il pense aujourd’hui être une GLI F4, qu’elle explose. Un fragment de cette grenade vient briser un morceau de sa visière et percuter son œil droit. Il perd la vue.

Après 32 ans dans ce métier où l’on ne peut être diminué physiquement, il ne pourra plus exercer en intervention sur le terrain, cette passion qui l’animait depuis le début de sa carrière.

Un communiqué de presse est publié après la manifestation par le ministère de l’intérieur dont les pompiers professionnels dépendent comme les policiers  : «  Des incidents isolés, contenus grâce à l’intervention des forces de l’ordre, ont fait trois blessés parmi les policiers et ont donné lieu à six interpellations.  » Il n’est nul part fait mention de la blessure irréversible de Jean.

 

Ce casque remplace celui que Jean portait ce jour-là, dont une partie de la visière à été brisée par l’impact. Il a été saisi par les enquêteurs pour analyse. Depuis, il n’a aucune nouvelle de l’enquête.

Gwendal est Gilet Jaune de la première heure, motivé par les revendications de justice sociale, fiscale et pour le climat, il est marqué par la diversité des profils des personnes qui se retrouvent dans cette lutte, mobilisés samedi après samedi sur les ronds points de Quimperlé et en manifestations notamment à Paris le 1er Décembre 2018.

Le 19 Janvier 2019, Gwendal arrive à Rennes à 4h du matin où il rejoint, avec des compagnons de manifestations, un «QG» local des Gilets Jaunes. Ils se rendent ensuite à pied dans le centre ville où la manifestation a lieu dans une ambiance bon enfant, à jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre pour tenter d’atteindre leur objectif local du jour  : la place du Parlement de Bretagne, lieu symbolique, qu’ils arrivent à atteindre en cortège vers 16h.

Dès cet instant là, il sent que l’humeur change du coté des forces de l’ordre et la situation se tend. Gwendal arrive à s’extraire de la place avec ses deux compagnons juste avant que les Gilets Jaunes y soient nassés et noyés de Gaz lacrymogènes.

Ils s’étaient fixé de quitter la manifestation à 18h pile pour ne pas rentrer trop tardivement chez eux, du coté de Quimperlé.

Ils déambulent dans les rues, et c’est peu de temps avant 18h qu’ils tombent sur un blessé «  scalpé  » par un tir de LBD, une entaille sur le crane, celui ci est pris en charge par des Street Medics.

Gwendal se joint à un cordon autour du blessé pour le protéger des personnes qui filment et des éventuels jets de gaz lacrymogènes, afin qu’il puisse recevoir les premiers soins en attendant les secours.

Les pompiers récupèrent le blessé et le cordon se disperse, Gwendal remonte tranquillement la rue pour rejoindre ses deux compagnons et quitter la manifestation. C’est à cet instant là qu’une grenade atterrit à quelques mètres derrière lui et explose. Gwendal s’écroule, hurle, son corps se débat de douleur.

Il se souvient qu’il marchait dos aux policiers et qu’il s’est retourné lorsqu’il a entendu le bruit d’un objet tombant au sol derrière lui, il voit alors cette grenade exploser.

L’impact serait donc du à un palet ou fragment d’une grenade de désencerclement.

Ces grenades doivent être normalement utilisées en situations extrêmes. Pourtant, c’est ce choix d’arme qui est fait par la police à cet instant.

Sur une vidéo filmée par un témoin on distingue qu’elle est lancée au milieu de manifestants dispersés qui sont en train de reculer.

Son globe oculaire et une partie de son œil ont été sauvés lors de l’intervention chirurgicale  mais Gwendal a perdu beaucoup de matière et sa rétine est détruite. Sa vision est donc nulle.

Le diamètre de son œil droit intact mesure 2,2 cm. Celui de son œil gauche mesure désormais 1,6 cm.

Sur une petite partie de son œil, il perçoit une légère réaction à la lumière semblable aux «battements» lumineux que l’on perçoit paupières fermées lors d’un voyage en train ou en voiture. L’autre partie est dans le noir complet.

C’est tout le quotidien qui est impacté. Les perspectives n’existent plus et le champ de vision latéral est nul.

Gwendal a laissé de côté le cache-œil pour une paire de lunettes à tons chauds. Son œil mutilé est moins visible lorsqu’il les porte, Il supporte mieux le regard des autres.

Les GMD ont également un effet assourdissant puisque leur niveau sonore peut atteindre 145 à 165 dB quand elles explosent (des dégâts auditifs irréversibles peuvent être provoqués au delà de 120 dB).

Elles sont actionnées par un bouchon allumeur d’un retard de 1,5 seconde. Une habilitation individuelle est nécessaire pour utiliser cette arme, qui s’obtient au terme d’une formation. Pour respecter la réglementation, elles doivent être lancées au sol et non en l’air, afin d’éviter des blessures graves à la tête. Un pictogramme rouge sur blanc le rappelle sur la grenade.

Différents collectifs et associations ont documenté de nombreux cas de lancers aériens. L’ONG ACAT a recensé des blessures graves, voire irréversibles, ainsi que des blessures et mutilations dues aux galets, mais aussi aux résidus métalliques du corps et du bouchon allumeur projetés lors de l’explosion, qui peuvent entailler profondément la peau, sectionner un ligament, un nerf, énucléer un œil.

Dix de ces grenades ont été utilisées sur le Quai Wilson, à Nantes, le soir de la Fête de la musique 2019 (rapport IGPN).

Arme classée par le code de la sécurité intérieure en catégorie A2  : «Matériel de guerre»

Dans le «Schéma national de maintien de l’ordre  » publié en Septembre 2020 par le ministère de l’Intérieur, la GENL remplace dorénavant la GMD. Elle est annoncée «moins vulnérante» par les autorités, son corps et son bouchon allumeur restant intacts lors de la détonation. Mais, elle est toujours composée de ces 18 plots en caoutchouc qui peuvent provoquer lésions et mutilations. Et son effet sonore annoncé est de 144 db minimum à 10 mètres.

Les informations sur les compositions de ces armes restent très opaques et des études réalisées a posteriori sur les effets réels de l’armement des forces de l’ordre ont démontré à plusieurs reprises qu’ils avaient été minimisés par les fabricants et les autorités.

Yann n’avait aucune idée des Gilets Jaunes avant de croiser une manifestation par hasard un samedi après avoir récupéré ses enfants au lendemain d’une soirée pyjama. Il est séduit par leurs revendications qui lui parlent et se joint de nouveau à eux le samedi suivant, 19 janvier 2019.

Ce jour-là, il manifeste l’après-midi puis quitte le cortège pour assurer son service du soir. Il est serveur dans un restaurant du centre de Toulouse. En fin de service, il croise un groupe d’une trentaine d’irréductibles Gilets Jaunes qui déambulent en marchant et chantant dans les rues. Il se joint à eux pour faire un bout de chemin jusqu’à la station de métro toute proche.

C’est peu après qu’un groupe de CRS charge et scinde le groupe en deux. Ils ne savent pas trop où aller, un groupe de policiers les poursuit dans les rues, ils fuient tous un peu paniqués.

Dans sa fuite, le groupe d’une quinzaine de personnes dont Yann fait partie monte un escalier. En haut, sur une petite place, deux binômes de policiers qui ont gravis ces escaliers à moto déferlent sur eux et lancent des grenades de désencerclement sur ces personnes éparpillées qui sont pourtant en train de fuir apeurées. La scène est filmée par un homme en roller bien connu des manifestants toulousains. On l’entend hurler de peur et d’incompréhension.

Yann lui, n’a pas la «chance» que la scène soit filmée. Il se retrouve dans un coin assez sombre dos à un muret face à une dizaine de policiers. Ils sont vêtus de jeans, de casques et de boucliers. Il lève les mains en l’air et baisse la tête pour montrer qu’il n’est pas armé, pas dangereux.

En passant devant lui l’un d’eux profite de ses mains levées pour lui mettre un coup de matraque dans les côtes. Un second policier lui envoie un long jet de «gazeuse» dans la bouche. Le troisième lui assène un violent coup de matraque en pleine face au niveau de la bouche.

Yann perd connaissance. Il se réveille cinq minutes plus tard dans une flaque de sang, crache ses dents. Il n’y a plus un policier autour. Ils l’ont laissé là, inanimé, la bouche ensanglantée, la dentition fracassée par le choc.

Il pensait au départ que huit dents avaient été touchées mais il découvre les jours suivants par des examens radiographiques que ce sont onze dents au total. Neuf ont été fracturées, cassées en partie et deux ont été expulsées totalement.

Un devis de plus de 6000 euros lui est adressé pour le remplacement de ses dents. Une somme d’autant moins surmontable que sa mutuelle refuse de prendre en charge les frais médicaux conséquences de manifestations.

Un an et demi après, Yann n’a toujours pas pu recevoir les soins pour remplacer ses dents perdues. Le sourire étant l’atout majeur de son métier de serveur, il a perdu son travail. Il n’en a pas retrouvé depuis. Le malaise ressenti au regard des autres est encore trop présent.

Vanessa participe à sa première manifestation avec les Gilets Jaunes le 15 décembre 2018, à Paris.
Après deux heures de barrages et de fouilles par les policiers, elle atteint les Champs-Elysées vers 13h. Accompagnée de trois amis,  elle est presque surprise de la bonne ambiance sur place, qu’elle à plaisir à filmer.
C’est à 14h23 alors qu’elle s’éloigne d’un cordon de CRS en marchant sur le trottoir et ne présente aucune menace qu’elle est touchée par un tir de LBD d’une BAC arrivant d’une rue adjacente. Le tir à 5 mètres lui brise les os de l’arcade et de l’orbite et provoque une hémorragie cérébrale.

Une intervention est nécessaire pour lui rendre un «visage humain». Trois plaques de métal sont posées pour reconstruire ce qui a été fracassé par l’impact. Elles  provoquent quotidiennement douleurs et œdèmes, exacerbés en présence d’humidité.

Vanessa saisit l’ampleur des dégâts causés par le tir les mois suivants, au fil de ses très nombreux examens médicaux.  : pertes de goût et d’odorat dus au trauma crânien et au sinus impacté, crises d’épilepsie et absences.

En août 2019,  soit huit mois après l’impact, elle découvre, lors d’un scanner du cerveau, une tache sombre. La partie touchée par l’hémorragie cérébrale est nécrosée et donc morte.

Pour retrouver ses capacités à penser et à parler, elle suit une rééducation du cerveau, processus très lent qui permet de retrouver une partie de ses capacités cognitives perdues.

Auparavant pleine de vie, toujours à droite à gauche, elle est désormais régulièrement effrayée par l’extérieur, subit des troubles de la mémoire et de la concentration. Très difficile pour elle de ne pas se reconnaître, tant physiquement que psychologiquement et de devoir se réinventer une personnalité.

Elle participe à la création du collectif «Les mutilés pour l’exemple» au sein duquel elle est très active.

La pression du choc a écrasé la rétine et percé le nerf optique. Vanessa a donc perdu la vue de l’oeil gauche qui ne perçoit maintenant que des rayons lumineux.

Ses lunettes dont l’un des verres est assombri lui permettent d’atténuer ce phénomène particulièrement désagréable et éprouvant.

Une opération est prévue pour retirer totalement la perception de cet œil-là.

La grenade lacrymogène MP3 est propulsée à l’aide d’un lanceur PennArms de la société américaine CTS, qui a la capacité de tirer 6 coups en l’espace de 4 secondes sur une distance de 50 à 100 mètres.

Chaque grenade contient 3 palets. Ce sont donc 18 palets qui peuvent être lancés en 4 secondes et permettre de saturer l’air de gaz lacrymogènes très rapidement.

Patrice a perdu l’usage de son œil lors de la manifestation des Gilets Jaunes, à Paris, le 8 décembre 2018.
Lorsque son œil est frappé par le tir de LBD 40, il ne tombe pas. De cet instant il a gardé l’image mais pas le son. Debout mais sonné, il réalise en voyant le visage catastrophé d’un Gilet Jaune qu’il est peut être gravement blessé.
Il n’avait jamais manifesté avant le mouvement des Gilets Jaunes.

Fils de policier, il raconte qu’il avait jusque là cette «notion» de Police secours, la police au service des gens pour les protéger.  C’est tout un pan de lui qui s’écroule ce jour-là.

«En m’éborgnant, ils m’ont ouvert les yeux»

Il était chauffeur routier. La cécité permanente de l’œil droit a invalidé automatiquement son permis poids lourd.

Bien que son œil éborgné soit esthétiquement intact, Patrice porte parfois ce cache-œil pour ne pas subir des flashs lumineux violents, difficilement soutenables.

Le 22 septembre 2012, Le club de foot de l’AS Saint-Étienne joue à Montpellier. Casti, 21 ans, supporter Ultra du club héraultais, est assis à l’une des baraques à frites, aux abords du stade de la Mosson.

Il prend un verre avec des amis lorsqu’une BAC surgit à la poursuite d’un homme qu’elle a vu en possession d’un fumigène éteint. Cet homme a pris la fuite, par peur de l’interpellation, et se réfugie au milieu du groupe de supporters où se trouve Casti. Les policiers arrivent, matraque en main, et interviennent au milieu de cette foule. Des enfants sont aux alentours et des adultes protestent contre l’intervention qui frappe des personnes non concernées.

Casti, lui, est toujours attablé. Il n’a pas bougé. L’un des policiers lance une grenade de désencerclement. Un espace se crée. Casti, qui sent que ça risque de mal se terminer, pose les mains sur l’accoudoir de sa chaise pour se lever et aller se cacher derrière un arbre. C’est à cet instant-là qu’un policier, à cinq mètres de lui, tire au Flashball. Casti perd son œil droit.

Il est pris en charge par les pompiers une vingtaine de minutes plus tard. Après son départ, des personnes en colère de l’avoir vu heurté par un tir de Flashball sans raison s’en prennent au policier en lançant des chaises.

Les policiers et l’IGPN inverseront la chronologie des événements  : selon leurs rapports, le tir est survenu en réponse à ces personnes qui s’en prenaient aux policiers.

En 2014, le premier non-lieu est basé là-dessus. Casti et son avocate demandent un complément d’enquête à la cour d’appel, avec visionnage de la vidéo surveillance de l’événement. Vidéo que les policiers avaient, eux, déjà pu regarder. Ceci est accordé en août 2016.

Casti voit donc à ce moment-là, qu’aucune échauffourée n’a été provoquée par les supporters avant l’intervention des policiers et que celles-ci débutent bien après son départ pour l’hôpital.

Malgré cette preuve flagrante, en octobre 2017, un autre non-lieu est prononcé en invoquant la légitime défense. Fin de la procédure pénale, le policier est blanchi.

Casti se bat tout de même pour faire reconnaître son agression auprès du tribunal administratif en attaquant les donneurs d’ordres (l’état). Il obtient gain de cause en novembre 2018, après six ans de procédures. Cette décision coïncide avec le début du mouvement des Gilets Jaunes. Casti qui pensait passer à autre chose, s’implique finalement dès le départ auprès de nouveaux blessés.

Il raconte que son premier retrait bancaire de l’indemnisation reçue par l’état suite à cette condamnation est destiné à avancer des frais pour soutenir de nouvelles victimes réunies en collectif, à Paris quelques mois après le début du mouvement.

Avec «l’Assemblée des blessés» et «les Mutilés pour l’exemple», deux collectifs qu’il a participé à  constituer, avec d’autres mutilés, Casti vient depuis en aide aux nouveaux blessés, très nombreux, issus de ce mouvement, ainsi qu’à d’autres victimes de violences policières. Leurs parcours judiciaires, médicaux et psychologiques sont de longs chemins sinueux et vertigineux. L’expérience d’anciens blessés ayant éprouvé tout cela, pour beaucoup dans des conditions de solitude éprouvantes, est précieuse.

Casti a beaucoup de mal à porter sa prothèse, un œil de verre, tant pour la sensation physique que pour ce que cela renvoie de regard figé.

En mars 2009 ,lors d’une manifestation étudiante à Toulouse, Joan et ses camarades de l’université du Mirail organisent, une action symbolique contre la précarité étudiante.
Cette action consiste au blocage d’un supermarché pour négocier avec la direction deux caddies de marchandises qu’ils partageraient lors d’un grand barbecue pour les étudiants dans le besoin et les personnes précaires du quartier.
Le cortège étudiant quitte donc un instant la manifestation interpro qui a lieu ce jour-là pour se rendre dans ce supermarché proche du parcours en centre ville.
L’action est non violente. Le blocage se fait sous forme de grappes d’étudiants postées aux entrées pendant qu’une délégation d’une dizaine de personnes rencontre la direction pour la négociation.
Tout se passe bien, la direction accepte de donner un caddie de marchandise, le groupe d’étudiants quitte les lieux avec le caddie négocié. Toujours en grappe, pour  se protéger.
Constatant que l’action ne crée pas de tension et qu’elle se termine calmement, un cordon de CRS, juste là, s’ouvre et laisse passer la grappe d’étudiants pour qu’ils rejoignent la manifestation.

Mais des policiers de la BAC se mettent à tirer au Flashball en direction du groupe alors même que les étudiants ont les bras entremêlés et qu’ils reculent pour partir, inoffensifs.

L’un des tirs atteint le visage de Joan à l’oeil droit. Il perd la vue.

Joan prend en main un long combat judiciaire après l’impact. Il mettra au jour un mensonge des policiers aux enquêteurs de l’IGPN, qu’il parviendra à prouver. L’IGPN fera simplement la modification.

Point clé dans ces affaires de violences policières  : l’identification du tireur. Seuls 4 policiers constituaient ce groupe au moment des faits. Mais l’enquête estimera impossible l’identification de celui d’entre eux qui est à l’origine du tir dont Joan est victime. Malgré ses demandes, on lui refusera la reconstitution des événements qui, à son avis, aurait permis d’avancer sur cette question.

Par la suite, aucune des procédures judiciaires engagées n’aboutira.

Joan n’a donc jamais été reconnu victime.

 

Retrouvez les témoignages sonores à cette adresse : http://www.rudyburbant.fr/impact-audio/


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