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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, Eric Le Brun fondateur de Light Motiv, a choisi de partager avec nous un photographe coup de cœur. Il s’agit du photographe japonais Naoya Hatakeyama, qui signe trois ouvrages du catalogue de la maison d’édition Light Motiv, avec la catastrophe de Fukushima en toile de fond : Terrils (2011), Kesengawa (2013) et Rikuzentakata (2016).

« Ah, la lumière est belle ce soir, il est temps de faire les photographies. » Naoya Hatakeyama est devant nous, il tient son trépied déplié ou simplement son appareil, je ne sais plus. Il s’arrête un instant, suit ce qu’il voit. Je continue à discuter avec sa femme Corinne. Et nous reprenons notre marche. C’est l’hiver après le tsunami de mars 2011. On se retourne, il n’est déjà plus là, orienté par ses rêves aimantés. Quelques secondes plus tôt, on l’aurait vu s’immobiliser, tourner mécaniquement vers une ruelle et filer à grandes enjambées. Et quand on le retrouve, il plie le pied ou laisse pendre son appareil par la courroie avec ce sourire merveilleux d’un enfant qu’on n’a pas su prendre sur le fait. A-t-il fait la photo? Il ne répondra pas tout de suite.

© Naoya Hatakeyama

© Naoya Hatakeyama

© Naoya Hatakeyama

« Photographier, c’est une sorte de réaction au monde extérieur. Il se passe quelque chose et vous y réagissez, c’est de là que naît la photographie, d’un rapport physique avec le monde extérieur. C’est autre chose que de créer quelque chose qu’on a d’abord pensé. »

Je me souviens de la rencontre organisée à l’auditorium du Palais des Beaux-Arts de Lille pour la sortie de Kesengawa, son premier livre sur la catastrophe. Chaque réponse captivait le nombreux public suspendu à ses phrases traduites avec assurance par Corinne Quentin. Et peu à peu je comprenais sa méthode rhétorique, comme s’il dessinait les points de soutien puis les bords du cadre qui allaient lui permettre de rentrer au centre de la question. Exactement comme il fait une photographie. Je réalisais que tout son esprit fonctionne ainsi, rassemble les connaissances et avance en ajustant chaque mot précédé quelquefois d’une ombre qui s’exprime par un énigmatique « E to » prolongé le temps nécessaire sur le o. Je pensais à une formule magique qui le distinguait définitivement de toute autre personne jusqu’à ce que j’apprenne bien plus tard que cela se traduit vaguement par « Heu.. » en français. On avait ri ensemble, et cela faisait tellement plaisir de le voir rire.

© Naoya Hatakeyama

© Naoya Hatakeyama

© Naoya Hatakeyama

Il existe un rare film documentaire « Esquisser le futur » réalisé par Yohei Hatakeyama qui accompagne pendant plusieurs années Naoya H. dans ses voyages entre Tokyo et Rikuzentakata, sa ville natale détruite, effacée puis reconstruite sans aucune continuité avec le passé. On le voit écouter attentivement toutes les personnes qu’il croise et qui s’arrêtent.
De l’extérieur, vu de l’extérieur, il a à peine changé. Ceux qui le connaissaient devinent maintenant les traits de son père ou de sa mère dans son visage. Lui prend le temps de vivre chaque rencontre, puis seul, photographie inlassablement la transformation d’un paysage qui ne lui parle plus.

© Naoya Hatakeyama

© Naoya Hatakeyama

« Une victime ne pourra pas photographier ce qu’elle a vécu, ni ses souvenirs. On peut dire que le photographe est celui qui doit faire cette tentative désespérée de saisir malgré tout ce qui est invisible. »

Et chaque livre, chaque exposition depuis dix ans donne ainsi des nouvelles du pays natal invisible, transmises par simple envie de faire suivre, comme on dit d’un courrier important qui vous arrive par hasard: « Faites-le suivre à cette adresse ». Aux autres.

Aux Editions Light Motiv :
TERRILS (2011)
KESENGAWA (2013)
RIKUZENTAKATA (préface d’Eric Reinhardt) 2016

http://www.lightmotiv.com

La Rédaction
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