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Notre invitée de la semaine, l’agent de photographes et co-Présidente de l’Association Les Filles de la Photo, Sabrina Ponti débute cette première carte blanche en revenant sur France(s) territoire liquide. Ce projet de monter une mission photographique à compte d’auteur pour documenter la France contemporaine est né lors d’une soirée et est porté par quatre photographes : Frédéric Delangle, Jérôme Brézillon, Patrick Messina et Cédric Delsaux. Retour sur cette mission photographique qui rassemble 40 photographes autour du territoire…

Paris Delhi © Frederic Delangle

2010. Un samedi soir pendant Paris Photo, j’organise avec Frédéric Delangle, mon conjoint, un dîner réunissant plus de 40 amis, photographes et amis de la photographie. Comme souvent, quelques irréductibles refont le monde en fin de soirée. On y parle de la Mission photographique de la Datar qui offrait le luxe du temps long et du financement pour développer un projet, des budgets ridicules de la culture pour soutenir la photographie dans les années 2010, des chanceux, toujours les mêmes, qui siphonnent les caisses des institutions pour monter des expositions impressionnantes et de la solitude du travail des photographes.

Courte échelle © Patrick Messina

Zone de replis © Cedric Delsaux

Les quatre qui s’enflamment lors de cette soirée sont Frédéric Delangle, Jérôme Brézillon, Patrick Messina et Cédric Delsaux. Cette nuit-là nait l’idée de monter une mission photographique à compte d’auteur pour documenter la France contemporaine. Le point de départ proposé par Jérôme : « On commence par faire des photos ! ». Et ils le font. Ils invitent des photographes à les rejoindre ; ceux dont ils aiment particulièrement le travail. Certains photographes refusent de travailler gratuitement, la situation est difficile pour les artistes visuels. Il faut faire avec… Le groupe est constitué, porté par une énergie créatrice et une forte envie d’en découdre.
Les principes posés sont simples : la liberté, l’expérimentation, le collectif au service d’une question « Qu’est-ce que la France ? »

Pédalo. Gorges du Verdon, Provence, France. 2008. © Jérôme Brezillon

Conscients du biais que peut représenter une personnalité implantée dans le monde de la photographie en France, les quatre fondateurs proposent à Paul Wombell, ancien directeur de la Photographer’s Gallery à Londres, de prendre la direction artistique de la mission. Un moyen de garantir une sélection sur les seules qualités du projet et du dossier artistique. Au printemps 2012, Jérôme Brézillon, malade depuis plusieurs mois, disparait. Il laisse un grand vide mais aussi une envie de relever de défi. Le projet doit continuer.

Eté 2012, un appel à projet est lancé lors des Rencontres d’Arles, permettant d’ouvrir le collectif à des photographes émergents qui découvrent ce projet cacophonique et joyeux qui ne ressemble à rien d’autre.
Les photographes membres de France(s) territoire liquide choisissent leur terrain de jeu. Le corpus d’images commence à prendre forme, mais ils n’ont pas un centime, aucun lieu d’exposition, pas d’éditeur…

12 ans après Bourgogne © Elina Brotherus

Paris © Ambroise Tezenas

C’est à ce moment-là que je me lance dans l’aventure pour la soutenir. Elise Legris et Juliet Piper étaient déjà montées à bord et œuvraient depuis deux ans pour coordonner ce projet. Nous proposons avec Nathalie Lacroix et Delphine Charon de prendre la relève.

Début 2013, ils sont donc 43 photographes ayant chacun choisi leur sujet pour proposer une vision subjective de leur France. Ils ont des rendez-vous mensuels avec Paul Wombell qui les accompagne artistiquement, les conseille dans leurs recherches et est garant de la cohérence du projet.
Sylvain Martin, vidéaste, traque les photographes sur le terrain. Il nous permet de découvrir la démarche de chacun ainsi que leur univers artistique. C’est une plongée qui documente pas à pas le travail de ce groupe, dans une démarche expérimentale unique.
Ça y est, l’équipe est constituée.

Open fiels © Guillaume Amat

Le territoire intime image © Geoffroy de Boismenu

Tout cela n’aurait pas été possible sans l’aide bienveillante d’Anne Biroleau qui croit à cette utopie dès le départ en 2011 et nous présente les personnes dont le rôle sera essentiel dans le parcours du projet : les décideurs de la Datar, curieux de découvrir la vision de la France par des artistes contemporains et Raphaële Bertho, jeune doctorante qui travaille sur les missions photographiques en Europe.

C’est en 2013 que tout s’accélère. L’équipe de la Datar décide de soutenir FTL dans le cadre de son 50e anniversaire. Le ministère de la Culture lui emboite le pas et accepte de financer une partie du projet. Les Transphotographiques inscrivent FTL comme l’exposition principale de leur festival 2014 au Tri Postal et Bernard Comment, des éditions Fictions et Cie au Seuil nous annonce qu’il va faire le livre.

Drome, été © Sophie Hatier

Drome, hiver © Sophie Hatier

Ce sont plus de 700 tirages qui sont produits avec l’aide généreuse du laboratoire Janvier.

Depuis, ce projet a parcouru la France et a traversé l’Atlantique dans des formats de monstration variés : le CCAM à Nancy, l’Arsenal à Metz, l’Abbaye de Jumièges, un parcours dans 7 lieux à Lyon coordonné par la galerie Le Réverbère, le Musée d’Antioquia à Medellin et le Musée d’Art Moderne Bogota dans le cadre la saison culturelle France Colombie 2017 et enfin la Bibliothèque nationale de France dans le cadre de la grande exposition Paysages français, une aventure photographique en 2018.
France(s) territoire liquide est entré dans l’histoire de la photographie.

Typologie du virtuel © Thibault Brunet

La ligne bleue maison © Joffrey Pleignet

Voici ce qu’ont écrit Raphaële Bertho et Héloïse Conesa dans le catalogue de l’exposition à la Bnf Paysages français, une aventure photographique.
« Dégagée de son carcan documentaire, la photographie assume dans les années 2010 sa dimension fictionnelle et devient le lieu d’une véritable mise en récit. La flânerie, l’instinct ou l’intuition poétique occupent le devant de la scène.
L’initiative la plus emblématique de la décennie revient au projet de France(s) Territoire Liquide. Autour d’un noyau de quatre photographes marqués par l’héritage des grandes commandes publiques, et notamment celle de la DATAR, un collectif se forme et s’étoffe peu à peu jusqu’à compter 43 photographes parcourant librement le pays, mus par une volonté commune d’interroger les limites physiques et conceptuelles du territoire autant que de la pratique photographique. France(s) Territoire Liquide se veut un véritable laboratoire, favorisant l’expérience visuelle et les points de vue singuliers pour saisir un territoire « liquide » échappant à toute crispation identitaire. Volontairement décentré et privilégiant une approche sensible, leur propos interroge la plasticité de ce territoire en perpétuelle redéfinition. »

Je n’oublierai jamais cette aventure humaine qui m’a fait entrer en photographie et m’a permis de tisser des amitiés fortes. C’était utopique, mais on l’a fait !

LIENS UTILES
Site France(s) territoire liquide :
http://www.francesterritoireliquide.fr/
Interview de Jérôme pendant Paris photo 2011 https://www.youtube.com/watch?v=u6r2dqgZsd8
Exposition Paysages français, une aventure photographique BNF : http://expositions.bnf.fr/paysages-francais/l-etre-au-paysage.php#intro
Films de Sylvain Martin :
https://www.youtube.com/user/ChannelFTL

La Rédaction
9 Lives magazine vous accompagne au quotidien dans le monde de la photographie et de l'Image.

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