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Il n’y presque rien sur la couverture toilée beige : quelques étincelles embossées, à peine dorées.
Le livre s’ouvre sur la première partie du titre On nous a dit qu’il n’y avait rien. Puis à la page suivante, une photographie : un champs de blé comme agité de vagues sous le vent, un horizon, un ciel pur parsemé de petits nuages joufflus. Ensuite, la seconde partie du titre : et nous sommes allés le chercher. Un titre énigmatique et un peu drôle aussi, qui ouvre un seuil immense de gageures ou de rêveries, où transparaît un goût pour l’impossible, la savouration de l’échec, le lâcher prise et la reddition au doute.

© Israel Ariño

© Israel Ariño

On peut déjà présager qu’il n’y aura pas complètement de réponses, vérités absolues, certitudes, affirmations imbéciles. Cette phrase belle comme une citation de Mark Twain, rappelle les quêtes des antihéros à la beauté désarmante, Don Quichotte, Mangeclous, Nils Strindberg.
Le papier crème d’une grande finesse laisse transparaître les images à mesure qu’on feuillette le livre. Il insuffle une grande légèreté à l’ouvrage qui s’ouvre parfois sur deux pages blanches.
Rien (allons donc le chercher avec lui).
La séquence nous mène de caisses vides en objets possiblement roulants mais immobiles (ballon, rondin de bois, foule de potirons). Certaines photographies confinent à l’absurde, comme ces pattes de canard amputées trônant sur un socle sur un rebord de fenêtre. De bâtiments vides en murs aveugles, quelques vivants apparaissent, une poule sur un mur, un flanc de cheval comme une dune sous le vent, quelques oiseaux, et parfois, une femme, un homme, un enfant, le regard perdu ou rêveur, souvent les mains vides et ouvertes, comme tentant de se saisir de ce même vide.

© Israel Ariño

© Israel Ariño

Après les photographies vient une très belle citation de Henry Carnoy, issue des Contes des Picardie : « Au temps où il n’y avait rien, si ce n’est Dieu, le Père éternel, s’ennuyant d’être seul, prit dans les mains deux poignées de rien et, les semant autour de lui, créa les étoiles, la lune, le soleil et tout ce qui existe« . On peut alors considérer sous un nouveau jour la couverture du livre (Que la lumière soit) et la première photographie (Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre).
Puis la dernière image, pas grand chose, un ciel habité de quelques nuages, à nouveau joufflus.

Un texte subtil et savoureux de l’anthropologue Irma Estrada termine l’ouvrage, elle y raconte le travail mené avec Israel Ariño, dans la région d’Amiens, dans le cadre d’un appel à projet. Elle dit le territoire, les gens qui répètent qu’ici il n’y rien, et l’on comprend à quel point l’ouvrage est aussi une forme d’hommage à cette région et à ses habitants.
Il y est notamment question de miettes de pain et d’un photographe avec sa chambre, attendant patiemment face à un mur qu’il fixe sans relâche, qu’un petit nuage cède la place au soleil pour laisser apparaitre une ombre convoitée.

© Israel Ariño

© Israel Ariño

Dans ce livre économe et sans esbroufe, se dessine un monde à travers le rien, un cheminement, des paysages géographiques et sensibles. On retrouve ici le goût d’Israel Ariño pour les déambulations à travers les territoires intermédiaires, son goût de la contemplation des choses les plus banales, sa capacité à y déceler un au-delà des apparences et à ne rien céder aux séductions et aux effets faciles, avec des images qui, à bien y regarder, contiennent toujours bien plus qu’elles ne laissent penser à première vue. Sa poétisation du monde, en somme. Mais quelque chose de nouveau aussi affleure, une épure encore plus grande qu’à l’accoutumée et surtout (même si le photographe a toujours égrainé des formes de visions confinant au surréalisme) un surgissement de l’absurde. On saisit mieux le titre qui traduit parfaitement ce qui traverse cette série photographique, sur le fil entre la poésie, le doute et le sentiment vague et tendre aussi, du risible et de l’impossible.

© Israel Ariño

INFOS PRATIQUES
On nous a dit qu’il n’y avait rien et nous sommes allés le chercher
Israel Ariño
Ediciones Anomalas (2022)
24 x 31 cm – 144 pages
35 euros
https://israelarino.com/
http://www.edicionesanomalas.com/

Caroline Bénichou
Après des études d’arts plastiques et sciences de l’art à la Sorbonne, Caroline Bénichou collabore pendant plus de dix ans aux éditions Delpire, elle y travaille avec Robert Delpire à la conception et la coordination de livres et d’expositions. En 2013, elle rejoint la Galerie VU’ dont elle est aujourd’hui responsable. Elle est par ailleurs autrice de textes pour des ouvrages ou des expositions de photographie et du blog lesyeuxavides.com et accompagne des photographes dans leurs projets.

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