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Est-ce si facile d’être payé lorsque l’on devient photographe ? Pas vraiment. Car cette activité recouvre des réalités et des statuts différents. Ainsi, choisir le statut sous lequel on exerce son métier peut vite se révéler un casse‑tête pour les phobiques de l’administratif. D’autant plus qu’avec la tendance à la précarisation du métier, le photographe qui veut diversifier ses activités doit jongler entre les régimes. Faut-il pour autant tout remettre à plat ? Pas si sûr. Découvrez ici un article permettant de mettre à plat les statuts juridiques, les régimes liés à votre activité professionnel. Dans cette première partie, point sur les photographes artisans.

Avant de démarrer son activité professionnelle, le photographe doit choisir son statut juridique, soit un cadre légal imposé à toute activité économique. C’est la nature de l’activité photographique qui déterminera le statut juridique à adopter ; il est donc important d’identifier le type de photographie que vous souhaitez faire et de savoir à qui vous vous adressez. En France, on ne parle pas réellement de statut juridique, car il n’en existe aucun pour le métier de photographe. Cependant, on distingue trois principales activités – que l’on nomme communément “statuts” –, qui auront un impact sur la comptabilité, la fiscalité et la couverture sociale. Ainsi, un photographe plasticien n’aura par exemple pas le même statut qu’un photographe de mariage ou un photojournaliste.
Ces vingt dernières années, le métier de photographe a subi d’importantes mutations et une fragilisation liée notamment à l’avènement du numérique. Face à ce phénomène et à la paupérisation du métier, les photographes sont contraints d’étendre leur secteur d’activité, une réalité du marché qui oblige parfois les photographes à cumuler plusieurs statuts dans le but d’atteindre une rémunération minimale.

Un point sur le marché

En mars 2022, l’Observatoire prospectif du commerce a communiqué les chiffres de l’Insee, dans son panorama des professions de la photographie. 37 130 entrepreneurs individuels étaient recensés dans l’activité de la photographie (code 7420Z). Une nomenclature qui permet de réunir les activités liées à la production photographique réalisée à titre commercial ou privé, les journalistes indépendants, les photographes auteurs, mais aussi le traitement des films.
En 2019, l’Institut de la statistique avait estimé le chiffre d’affaires lié à ce secteur de 1 370 milliards d’euros. L’étude de l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) publiée en juin dernier à l’occasion du Parlement de la photographie organisé par le ministère de la Culture a établi une estimation de segmentation du marché. En tête, nous avons la photographie dite “sociale” (activités de photographie scolaire, de mariage, de photo d’identité) avec environ 40 % du chiffre d’affaires, puis la photographie d’illustration avec 30 %, suivie de la photographie artistique avec une moyenne de 20 %, pour finir avec la photographie d’information, estimée à 10 % du marché. Ainsi, on observe que la moitié du marché est tenue par les photographes auteurs (artistique et illustration).
Si auparavant, les photographes évoluaient dans un secteur spécifique, ils ont aujourd’hui la nécessité financière de cumuler plusieurs activités. C’est ce que l’on apprend dans l’étude du Cereq (Centre d’étude et de recherche sur les qualifications) et de la sociologue et photographe Irène Jonas, publiée en 2019 et intitulée “La santé des photographes”. Ces derniers occupent en moyenne 3,5 métiers liés à la photographie et ont donc autant de statuts et de régimes fiscaux à cumuler. Cette situation n’est pas sans engendrer des difficultés et des lourdeurs administratives ainsi que de profondes inquiétudes pour les photographes concernant leur couverture de santé et de retraite.
C’est le type d’activité qui définit le choix du statut : artisan photographe, photographe auteur ou photographe de presse. Le premier dépend du ministère du Travail et imposera un choix de régime fiscal, tandis que les deux autres sont liés au ministère de la Culture.

Thibault Chappe, directeur de la communication de la FFPMI (Fédération française de la photographie et des métiers de l’image), conseille les photographes qui débutent dans leur activité. Selon lui, il s’agit de bien définir le projet de son entreprise et son mode de gestion pour se diriger vers les meilleurs choix. Il n’y a pas un statut ou un régime meilleur qu’un autre, cela dépendra de ce que souhaite faire le photographe.

Si un photographe est en début de carrière, qu’il souhaite travailler seul et faire essentiellement de la prise de vue avec des particuliers, par exemple, et qu’il ne désire pas se donner une charge trop lourde de gestion d’entreprise, on va lui conseiller de créer une microentreprise pour lancer son activité. Ce statut est avantageux dès la création, car il existe des facilités de formalités de création. La gestion quotidienne est également simplifiée : moins de frais comptables, pas de TVA à collecter ni à reverser à l’État sous un certain seuil de chiffre d’affaires et une imposition sur le revenu (IS possible sur demande). Il n’aura pas non plus à se soucier en fin d’année de ce qu’il doit se verser comme dividendes, ni du bulletin de salaire qu’il doit établir tous les mois… C’est idéal pour tester son savoir‑faire.
Aujourd’hui, 80 à 90 % des photographes qui se lancent dans l’activité d’artisan photographe le font sous le régime de la microentreprise. Il est important de préciser que le régime fiscal ne doit pas définir la tarification ni la position de marché. De faibles charges ne doivent pas inciter à tirer les prix vers le bas, car cela entraînerait une concurrence déloyale vis-à-vis des autres photographes.
Si le photographe dispose d’un local ou qu’il y a des investissements importants de la part de l’entreprise, ses choix seront différents, car une fois que le chiffre d’affaires ou les investissements le justifient (ou si des embauches sont envisagées), on peut plutôt conseiller la création d’une société. On doit d’ailleurs créer une société (SAS ou SARL) si plusieurs personnes veulent s’associer pour exercer le métier.
Avant de se lancer, les vraies questions à se poser sont : “Quel type de photographies je veux faire ?” (ce qui va déterminer le statut d’artisan ou d’auteur), “Comment je souhaite pratiquer mon activité ?” et “Quelle sera mon évolution, au moins à court terme ?” (définissant le type d’entreprise que l’on créera).

LE PHOTOGRAPHE ARTISAN

Si vous souhaitez travailler auprès des particuliers et si vos photographies n’ont pas vocation à être diffusées dans un cadre commercial, vous devez opter pour le statut d’artisan. C’est le cas pour la réalisation de photographies dans le cadre de célébrations privées comme les mariages, les naissances ou les fêtes, mais aussi pour des photos d’identité, des portraits en studio en famille ou des portraits scolaires…

Photo de classe 1897. Collège du Petit Lycée Condorcet, rue d’Amsterdam, Paris, classe de 5ème, 1897. Premier rang, premier à gauche Pierre. Photo de Pierre Petit. Collection particulière du déposant, cliché papier sépia, 19 cm x 25,5 cm.

Comment choisir son régime fiscal ?

En choisissant le statut d’artisan, vous devez également opter pour une forme juridique qui définira votre régime fiscal : en indépendant (personne physique) ou en société. Sur ce dernier point, de nombreuses formes sont possibles : société individuelle, SAS, SASU, SARL ou encore microentreprise (anciennement autoentreprise)… Ce choix aura une incidence sur votre fiscalité : en tant que personne physique vous sera imposé le régime BIC (bénéfices industriels et commerciaux), alors qu’en société, vous dépendrez des impôts des sociétés. Il est en effet important avant de commencer son activité de poser les bases et les ambitions futures pour se diriger vers le meilleur choix.
Dans le cas où vous souhaitez, en plus de votre activité, vendre vos tirages photographiques comme artiste, vous bénéficiez de la TVA à 5,5 % sur la vente des oeuvres, mais vous serez chargé sous le statut d’artisan. Si cette activité est amenée à se développer, notamment vers la vente de droits de reproduction, il sera sans doute plus intéressant financièrement d’opter pour un second statut de photographe auteur et de réaliser deux comptabilités ainsi que des déclarations distinctes auprès des caisses correspondantes (l’Urssaf de votre département pour les artisans et l’Urssaf Limousin – anciennement Agessa – pour les auteurs).

Quels avantages ? 
→ C’est le statut qui permet de couvrir le plus d’activités économiques.
→ Cumul possible avec d’autres statuts (comme photographe auteur).
→ Les frais et charges professionnels peuvent être déduits (déclaration contrôlée).
→ Le taux de TVA est à 5,5 % pour la vente de tirages d’art.
→ Charges et impôts à payer sur les bénéfices.
→ Récupération de la TVA sur les achats.

Quels inconvénients ?
→ Taux de charges et d’imposition plus élevés (dépend du régime fiscal).
→ Être soumis à des obligations comptables et devoir établir son bilan de fin d’année.
→ Taux de TVA à 20 % pour les prestations.
→ Doit normalement s’acquitter de la CFE (taxe foncière des entreprises) mais possibilité de faire une demande d’exonération. En fonction des municipalités et des années, cette exonération est acceptée ou non.

La microentreprise, un régime fiscal de plus en plus prisé

Créé en 2009, ce régime a vite fait des adeptes. Obtenir un numéro Siret n’a jamais été aussi simple et rapide, et les charges sociales et fiscales ne sont redevables qu’en cas de réalisation d’un chiffre d’affaires. Pas de mauvaises surprises, donc. Selon l’Insee, en 2016, 12 600 photographes exerçaient sous le régime de la microentreprise, soit plus de deux tiers des indépendants. La simplicité et l’allègement administratifs de ce statut attirent spontanément les photographes les plus jeunes dans un premier temps, notamment pour “tester” leur activité. Cependant, les charges sont redevables sur le chiffre d’affaires et non sur les bénéfices, et le plafond de ce régime impose de ne pas réaliser plus de 77 700 € de chiffre d’affaires par an, avec les frais non déductibles. Les revenus sont donc moins importants.

Quels avantages ?
→ Simplification des démarches de création de structure.
→ Exonération de la TVA pour une simplification administrative (si le plafond annuel ne dépasse pas 36 800 €).
→ Comptabilité simplifiée.
→ Peu coûteux : taux de charge à 21,20 % et 1,7 % de versement libératoire de l’impôt sur le revenu sur les sommes encaissées.
→ Pas de charges à payer si le chiffre d’affaires est nul.

Quels inconvénients ?
→ Charges et impôts sur le chiffre d’affaires.
→ Plafond du chiffre d’affaires à 36 800 € (exonération de la TVA) et à 77 700 € (soumission à la TVA) pour l’année dans le cadre d’une activité
artisanale.
→ Pas de récupération de la TVA en cas d’exonération (si le plafond annuel ne dépasse pas 36 800 €).
→ Les frais et charges professionnels ne peuvent pas être déduits.
→ Doit s’acquitter de la CFE (taxe foncière des entreprises).

A VENIR :
Episode 2 : Photographes : Le casse-tête des statuts – Photographe auteur (4/4/23)
Episode 3 : Photographes : Le casse-tête des statuts – Photojournaliste et cumul des statuts (5/7/23)

Rapport de l’Arcom 2022 : www.arcom.fr
Enquête des États généraux de la photographie 2022 : www.adagp.fr/fr/actualites/enquete-etats-generauxphotographie
Rapport Franceschini : www.culture.gouv.fr
Étude du Cereq : www.cereq.fr/la-sante-des-photographes

Article produit et publié dans le numéro #358 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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