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Hier, nous vous dévoilions la première partie de notre article consacré au casse-tête des statuts. Après avoir présenté l’activité autour de la photographie sociale, et son « statut » de photographe artisan, nous allons parler des photographes auteurs. Pour nous aider à décrypter toutes les subtilités de ce statut, nous avons interrogé Matthieu Baudeau et Stéphanie de Roquefeuil, respectivement Président et Directrice des affaires publiques et juridiques de l’UPP (Union des photographes professionnels).

LE PHOTOGRAPHE AUTEUR

Si vos revenus proviennent de la cession du droit d’exploitation de vos photographies ou de la vente de l’oeuvre en elle-même, vous êtes alors photographe auteur et vous êtes affilié à la 2S2A (sécurité sociale des artistes auteurs. Ce « statut » vous assimile fiscalement à un professionnel libéral et socialement à un quasi-salarié. Il bénéficie d’un régime avantageux, avec notamment des charges et une TVA réduites.
Matthieu Baudeau, président de l’UPP (Union des photographes professionnels), qui représente en majorité des photographes auteurs, rappelle que c’est l’activité du photographe qui établira les conditions de cotisations sociales et qui déterminera ce que l’on peut appeler un “statut”, lequel déterminera des règles fiscales. Contrairement aux photographes artisans, qui facturent un service ou une prestation aux particuliers, les auteurs ont pour cœur de métier les cessions de droits à des entreprises (ou bien des diffuseurs en général ) pour l’utilisation de leurs photos

Régime social et fiscal

Depuis 2019, avec la suppression du précompte (système dans lequel le paiement des cotisations est réalisé par le diffuseur [client] pour le compte de l’auteur), les photographes qui enregistrent leur activité en tant qu’auteurs sont affiliés au régime social des artistes-auteurs dès le premier euro perçu. Comme nous le précise Matthieu Baudeau : “Avant, nous avions les assujettis d’un côté et les affiliés de l’autre. Quand le photographe auteur était en début de carrière, il était assujetti, et il fallait qu’il arrive à un certain montant de revenu pour devenir affilié. Lorsqu’il était assujetti, ses clients devaient, d’une part payer à l’auteur le montant dû, et d’autre part déclarer et payer à l’administration ses cotisations sociales, qui n’ouvraient toutefois aucun droit à la sécurité sociale pour l’auteur. Cette suppression est une réelle avancée. Elle facilite les transactions, et le photographe bénéficie d’une protection sociale.” Cette couverture permet le remboursement des frais de santé par la caisse primaire d’assurance maladie, un régime d’assurance retraite de base, et offre des prestations familiales versées par la caisse d’allocations familiales.
Les indemnités maladie, maternité, paternité, invalidité et décès ainsi que la cotisation pour la retraite sont soumises à un seuil de rémunération. Ainsi, pour pouvoir en bénéficier, votre assiette sociale de l’année précédente doit être au moins égale à 600 Smic horaire. (soit 6 726 € selon le barème de 2023).
Quvrant à la retraite : 150 SMIC horaire de revenus vous ouvrent ouvrent droit à la validation d’un trimestre de retraite de base. Pour valider 4 trimestre sur l’année, il faudra donc cotiser sur la base de 600 SMIC horaire. A ceci s’ajoute, comme pour les salariés, un régime de retraite complémentaire : si votre assiette sociale est supérieure à un seuil d’affiliation fixé à 900 Smic horaire (soit 9513 euros pour 2022), vous êtes obligatoirement affilié au régime de retraite complémentaire des artistes-auteurs (Ircec) ; c’est l’Urssaf qui lui transmet vos informations. Vos cotisations se montent à 8 % de votre assiette sociale mais vous pouvez opter pour un taux réduit à 4 % si votre assiette sociale en 2022 ne dépasse pas 27 675 €. Ces cotisations de retraite complémentaire sont déductibles de votre revenu imposable.
Au niveau fiscal, sauf exception, vos revenus sont déclarés en bénéfices non commerciaux (BNC), et vous bénéficiez d’une dispense de précompte : c’est vous qui payez à l’Urssaf vos cotisations et contributions sociales sur vos revenus d’auteur, et plus vos diffuseurs). Vous pourrez choisir entre le régime « spécial » dit micro, où votre BNC (sur lequel sont assis vos cotisations sociales et vos impôts) est forfaitairement évalués à 64% de votre chiffre d’affaires, et le régime « de déclaration contrôlée » où vous déclarerez votre chiffre d’affaires (l’ensemble de vos rentrées d’argent) et le détail de vos frais. La différence entre les deux constituera votre BNC. Pour Stéphanie de Roquefeuil, Directrice des affaires publiques et juridiques de l’UPP : « En tant que photographe auteur, les frais peuvent être nombreux et importants. Il est important de calculer s’ils sont ou non supérieurs à 34% des revenus. Si oui, il conviendra d’opter pour le régime de déclaration contrôlée, et la tenue soigneuse de comptabilité qui en découle. Dans le cas contraire, choisissez la simplicité du régime micro. Mais attention, le régime micro est soumis à un seuil plafond de chiffre d’affaires (77.700 Euros) qu’il faudra surveiller à mesure que votre activité prendra de l’ampleur. »
En fonction de ses revenus, le photographe peut opter pour la franchise en base de TVA (exonération de la déclaration et du paiement de la TVA sur les prestations ou les ventes réalisées). Ce régime fiscal impose un plafond de 47 600 € à l’année. Mais est-ce une bonne stratégie d’être exonéré de TVA lorsqu’on est photographe auteur ? Stéphanie de Roquefeuil nous répond : « Lorsqu’un photographe acquiert du matériel, il paie 20 % de TVA sur ses achats. S’il y est assujetti, l’Etat lui remboursera cette TVA déductible. Sur ses cessions de droits d’auteur, il facture 10 % de TVA, et 5,5 % lorsqu’il vend un tirage original. Cette TVA collectée devra quant à elle être reversée à L’Etat. Malgré tout, la différence entre les taux de TVA déductible et collectée rendra rapidement opportun de facturer la TVA. L’inconvénient, et c’est pour cela que beaucoup de photographes ne facturent pas la TVA, c’est qu’il faut tenir une comptabilité et déclarer sa TVA. Je comprends bien que cette contrainte administrative soit gênante, mais finalement, cela a une vraie incidence sur les revenus. C’est une gymnastique de l’esprit à mettre en place. De plus, comme le chiffre d’affaires autorisé pour le régime de franchise en base de TVA est limité (47.600 euros), il va falloir sans cesse veiller à ne pas franchir le plafond. Et n’oublions pas qu’en cas d’exonération, les photographes ont l’obligation légale d’indiquer la mention « TVA non applicable, art. 293B du CGI », signifiant par là à leurs clients qu’ils ne réalisent pas plus de 47 600 € dans l’année. Cela soulève des questions de stratégie commerciale…

La rémunération du photographe auteur

Comme nous l’explique Matthieu Baudeau : “Lorsqu’un photographe auteur reçoit une commande de la part d’un client, il va y avoir une cession de droits. Mais il y a deux cas : soit l’image existe car elle est issue des archives du photographe, soit il faut la réaliser. Si dans le premier cas, une simple cession de droits suffit, dans le second, il faut facturer des honoraires pour le temps passé à la disposition du commanditaire.” Ainsi, sur la note de droits d’auteur, il sera essentiel de séparer et de signifier les honoraires et la cession de droits, qui ont la même fiscalité avec un taux de TVA à 10 %, sans oublier d’ajouter les frais de déplacement et de production (dans le cas où le déplacement est important, ou s’il y a de la location de matériel, par exemple).
Sur cette dernière partie, concernant la fiscalité, certains estiment qu’il faut associer la même fiscalité que son activité (soit 10 %), alors que d’autres comme Stéphanie de Roquefeuil considèrent qu’il est préférable d’appliquer la TVA à 20 %. Elle explique pourquoi : “Rien dans les textes n’est explicite à ce sujet, et l’on remarque qu’il y a deux écoles chez les photographes. Si le photographe s’adressait à des particuliers, cela changerait sans doute la donne car ils ne peuvent pas récupérer cette TVA. Mais un auteur collabore avec des entreprises qui récupèrent la TVA, donc il est préférable de ne prendre aucun risque et de facturer une TVA à 20 % plutôt qu’à un taux réduit qu’il faudra justifier en cas de contrôle.”
Ensuite, il y a la vente d’oeuvres originales, signées (au maximum à 30 exemplaires), numérotées et fabriquées sous le contrôle de l’auteur. Ce sont les conditions pour justifier la vente d’un tirage comme oeuvre d’art, et la fiscalité qui s’applique pour la TVA est alors de 5,5 %. Et nous n’abordons pas ici les autres sources de revenus des photographes auteurs, récemment élargies par décret : tirages non numérotés, auto-édition, crowdfunding, participation à l’activité/ aide à d’autres auteurs. La liste prend mieux en compte la réalité du métier de photographe auteur. Et il est encore possible qu’elle puisse s’allonger…
Matthieu Baudeau insiste sur la réalisation en bonne et due forme d’une cession de droits : “Sans cela, c’est une précarisation du côté du photographe comme du côté du client. Il faut établir une bonne tarification par rapport à l’utilisation de la photographie que vous vendez. Imaginez que vous êtes payé 1 500 € la journée et que votre client réalise par la suite une impression en 4 × 3 m pour une campagne dans le métro à Paris : cela ne fait pas cher la campagne de communication ! Il y a un vrai travail de pédagogie à faire à ce sujet. La cession de droits doit bien préciser la nature, la durée et le support de l’utilisation de la photographie. Et une cession de droits ne peut se faire qu’avec le statut de photographe auteur.”
Le choix du statut est important lorsque l’on est photographe. Matthieu poursuit : “On remarque que de plus en plus de photographes qui démarrent leur activité – souvent les plus jeunes, lorsqu’ils sortent de l’école, voire lorsqu’ils sont encore étudiants – créent une microentreprise. on leur a dit que les démarches étaient facilitées, la comptabilité simplifiée, il n’y avait pas de TVA… Mais à terme, ce n’est pas forcément un bon choix. Et enfin, et c’est crucial de le soulever, ils n’ont pas le droit de faire de la cession de droit sous ce régime. Ils ont l’obligation de le déclarer en activité d’auteur.”

Quels avantages ? 
→ Une TVA à taux réduit à 10 % sur une cession de droits et par extension sur les honoraires. Et à 5,5 % pour les ventes de tirages originaux numérotés sous contrôle de l’auteur (oeuvres d’art).
→ Charges et impôts à payer sur les bénéfices (– 34 % si micro-BNC).
→ Frais et charges peuvent être déduits en frais réels (traitements et salaires) ou en déclaration contrôlée (sauf si franchise de TVA).
→ Exonération de TVA possible en deçà de 47 600 € de chiffre d’affaires annuel.
→ Exonération de la contribution économique territoriale depuis 2005.

Quels inconvénients ?
→ Activités plus restreintes.

À LIRE
Episode 1 : Photographes : Le casse-tête des statuts – Photographe artisan

À VENIR :
Episode 3 : Photographes : Le casse-tête des statuts – Photojournaliste et cumul des statuts (5/4/23)

Rapport de l’Arcom 2022 : www.arcom.fr
Enquête des États généraux de la photographie 2022 : www.adagp.fr/fr/actualites/enquete-etats-generauxphotographie
Rapport Franceschini : www.culture.gouv.fr
Étude du Cereq : www.cereq.fr/la-sante-des-photographes

Article produit et publié dans le numéro #358 de Réponses Photo.

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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