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En 2005, la première édition de la biennale des Rencontres Photographiques du 10e se proposait plusieurs expositions photographiques dans plusieurs lieux de l’arrondissement. Cette année, la manifestation célèbre son 10ème anniversaire et elle dévoile ses 9 artistes lauréat·es qui seront présenté·es du 28 septembre au 28 octobre prochain. Nous vous proposons de découvrir en avant première les travaux sélectionnés : Adrien Selbert, Anthony Voisin, Bastien Deschamps, Julien Bonnaire & Antoinette Giret, Juliette Alhmah, Oleñka Carrasco, Rebecca Topakian et Souleymane Bachir Diaw.

Pour la 4ème année consécutive, l’organisation des rencontres photographiques du 10e est confiée au collectif fetart, créateur du festival parisien Circulation(s) ,dédié à la jeune photographie européenne. Le collectif se compose de 9 commissaires d’exposition indépendantes, spécialistes de la photographie émergente.
Au coeur de l’événement, la mairie du 10ème arrondissement de Paris exposera les 8 projets lauréats de l’édition. Autour, s’articulent différents parcours pour visiter et (re)découvrir le territoire, ses coins historiques comme ses nouveaux espaces.

Adrien Selbert
Les Bords réels

© Adrien Selbert

« Un pays peut-il perdre connaissance? ici ce n’est plus la guerre, ce n’est pas la paix. C’est cet entre-temps qu’on appelle après-guerre. Ce temps particulier, c’est précisément ce tiret entre les deux mots. sauf que personne n’en connait la véritable longueur. et c’est précisément ce que je suis venu photographier. 25 ans après la fin du conflit en Bosnie, les bords réels est un état du temps, plus qu’un état des lieux. le pays a voulu régler ses comptes avec l’espace – les frontières intérieures qui ont mis fin à la guerre – l’enjeu semble être maintenant la cohabitation des temps. les morts et les vivants, les vétérans du conflit, les bosniaques, les serbes, les croates et la jeunesse née dans ses décombres. Chacun semble errer encore dans sa propre époque et ses croyances. en somnambule. »

Diplômé des beaux-arts de Nantes, Adrien Selbert est photographe, réalisateur et monteur. sa démarche s’attache à restituer, dans une lisière fertile entre fiction et documentaire, image fixe et image mouvement, les visages et les corps prisonniers des « entre-temps ».

Anthony Voisin
Wild Zone

Wild Zone © Anthony Voisin

« À sa mort, mon père, Maxime Voisin, nous a légué des boîtes. 229 boîtes exactement (et autres contenants – portes-documents, chemises, banette, etc…), ni cachées à notre vue ni totalement offertes à notre regard. Y reposaient des documents, des photos, des objets, aussi inutiles qu’essentiels, aussi anecdotiques qu’universels, aussi désuets qu’immémoriaux. Une encyclopédie de la petite histoire, entre les années 1930 et 2000. Une existence mise en boîtes, regroupant environ 30 000 documents, 1 800 objets, et quelques ébauches de collections éparses. Pour rendre plus lisible à mon propre entendement un héritage aussi chargé, j’ai décidé de les ouvrir pour en exhumer les reliques et les donner à voir. à cet agrégat obsessionnel, j’ai répondu par une accumulation photographique. »

Anthony Voisin est photographe indépendant depuis 2001. parallèlement à ses travaux de commande pour la presse et les collectivités territoriales, il mène des projets personnels autour du monde du travail ou de la musique. sa dernière exposition, harmonie municipale a été présentée à la maison des photographes en juin 2022.

Bastien Deschamps
Evros

Amine (30 ans, Tunisien), Haytham (35 ans, Lybien) et Bilel (22 ans, Tunisien) en « reconnaissance » à quelques centaines de mètres de la frontière à coté d’Edirne. Cette bande de terre de 40 kilomètres, où la Grèce est entrain de finir la construction d’une barrière de plus de 5 mètres de haut, est la seule partie de la frontière à ne pas être délimité par le fleuve Evros. 17 novembre 2020 © Bastien Deschamps

Le fleuve Evros sépare la Grèce de la Turquie. de tout temps, cette région a été un carrefour culturel. le point de rencontre entre l’orient et l’occident. elle est une fois de plus aujourd’hui, à la croisée des chemins. C’est l’une des principales portes d’entrée pour les migrants qui essayent de rejoindre l’europe. Ils sont toujours des milliers chaque année à tenter la traversée dans l’espoir d’un avenir meilleur. parfois au prix de leur propre vie. Evros, est une exploration géopoétique de cette région et de ce drame. Dans le contexte politique européen actuel, à l’heure où s’érigent des murs de toute part, où les États se replient de plus en plus sur leur identité nationale, où la montée du populisme atteint des sommets, il semble plus nécessaire que jamais de ramener la part humaine au centre du débat sur l’immigration.

Bastien Deschamps est un photographe itinérant. il partage son temps entre travail documentaire d’auteur, photographie existentielle et fabrication de livres. en 2020 il a lancé « Where the border runs », un voyage géopoétique suivant différents fleuves frontières dans le monde, en se concentrant sur leur spécificités et problématiques communes.

Julien Bonnaire & Antoinette Giret
Le chant des lucioles

© Julien Bonnaire & Antoinette Giret

« Les lucioles sont des êtres persécutés et oubliés tentant, malgré tout, de scintiller sous les projecteurs d’un pouvoir oppresseur, injuste et inégalitaire. L’absence de références culturelles et de figures visibles empêche la compréhension du sentiment amoureux et d’un désir qui n’est pas hétéronormée et donc limite la construction d’une identité queer. nous souhaitons donner l’espace pour briller à celleux dont la liberté et les droits sont remis en question, les illégitimes, les anormaux, les queers, nous. Dans cette série photographique où genres et identités se confondent, notre regard se pose sur la lueur des lucioles martiniquaises, mêlant intersectionnalité et insularité, pour créer une unité dans la pluralité de l’amour. »

Antoinette Giret et Julien Bonnaire sont deux jeunes artistes queers. le travail d’antoinette gravite autour des différents aspects de son identité de femme afrodescendante. à travers son objectif, julien questionne les dynamiques de dominations qui composent notre société. ensemble, iels proposent une vision poétique et engagée de notre existence dans le but de dé- velopper un nouvel imaginaire.

Juliette Alhmah
Salted Love

© Juliette Alhmah

La disparition, la fin des êtres vivants hante depuis toujours l’être humain. De ce désir originel à conserver, par la conception d’une image, le souvenir des êtres aimé.e.s et perdu.e.s, provient l’invention de la photographie. l’image de l’autre est finalement créatrice d’un pont entre les mort..e.s et les vivant.e.s en les protégeant de la vision du cadavre putride qui se décompose et qu’aucune mémoire ne veut garder comme dernière image. « Comment par la fixité d’une image, est-il possible de retranscrire la mouvance du vivant ? Quel souvenir garde-t-on au juste ? quelle image de l’autre, parmi toutes les images possibles, nous peuple ? au sein de notre société prédominée par les images, comment regarde-t-on des photographies qui disparaissent ? Ces questionnements sont à l’origine de mes recherches sur l’amour et la perte, de l’expérience de la rupture amoureuse et du deuil. »

Juliette Alhmah étudie les sciences humaines avant d’être diplômée du master photographie de l’école nationale supérieure louis-lumière en 2019. Sa pratique photographique oscille entre le travail du portrait, de la commande et ses projets artistiques. avec une approche à la fois documentaire et plastique, elle aime explorer les émotions, l’intimité et les questions d’identité. elle aime faire dialoguer ses images avec d’autres médiums (écriture, son, recherche…).

Oleñka Carrasco
Maison prêtée pour un deuil

© Oleñka Carrasco

« On ne meurt pas de la même façon partout dans le monde. Imaginons ce que c’est de mourir et la procédure administrative qui s’ensuit dans un pays dans lequel il y a tellement de morts que les cimetières ne sont pas terminés à temps. Ce pays, c’est le Vénézuela. Le 9 juin 2020, j’ai reçu un appel vidéo. Mon père mourrait au Vénézuela, mon pays d’origine, après des années à chercher des médicaments pour traiter son asthme chronique. La dernière fois que je l’ai vu, c’était aussi mon dernier voyage au pays, en 2015. Comment vivre sa mort en étant exilée et confinée, à des milliers de kilomètres, dans une maison d’enfance qui n’est pas la mienne ? Je décide de raconter cette expérience violente et douloureuse : construire un deuil loin de toute ma famille et de mon pays natal. »

Artiste multidisciplinaire vénézuélienne, Oleñka Carrasco vit et travaille à Paris. Elle expérimente et interroge à la fois la photographie, l’écriture, le dessin et la performance et construit des expériences immersives photographiques. Ses travaux ont été exposés à divers coins du monde entre la France, l’Espagne, l’Italie, la Colombie ou le Chili. Elle est lauréate du prix photo folio review 2022 des Rencontres d’Arles.

Rebecca Topakian
Double nationalité

© Rebecca Topakian

« Née en france d’origine arménienne, je suis devenue progressivement arménienne à l’âge adulte, jusqu’à vivre partiellement à Erevan, obtenir la nationalité, y avoir un appartement : mener deux vies qui jamais ne s’entrecroisent. Passeports, jeux de clés, téléphones, portefeuilles, langues, alphabets : autant d’indices sur qui je suis, mais dont les pistes ouvertes semblent ne mener à rien. Dans une série d’autoportraits au ton humoristique, je me déguise en possible Rebecca. Celle que je pourrais être, celle que je suis un peu ou bien celle que l’on pourrait attendre. Déguisements de bric et de broc, la Rebecca n’apparaît jamais totalement à sa place, jamais vraiment à l’aise. Autre piste d’enquête : l’algorithme des publicités instagram, qui devrait mathématiquement et scientifiquement me définir, et pourtant échoue continuellement. suis-je une immigrante illégale en France, une réfugiée sans papiers en Arménie, une patriote qui devrait s’armer ? »

Née en 1989, rebecca topakian est diplômée de l’ENSP Arles en 2015. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions en france et à l’étranger. En 2021, elle est la bourse pour la photographie documentaire du Cnap. En 2022, rouge insecte, en duo avec Araks Sahakyan, est publié aux editions Sometimes. La même année, elle est lauréate de la grande commande photographie de la BnF. En 2024 sortira son livre Dame Gulizar and other love stories (blow up press).

Souleymane Bachir Diaw
Sutura, la voix silencieuse des hommes

© Souleymane Bachir Diaw

« Ecoutes plus souvent les choses que les êtres ».

Souffles – Birago Diop, 1947

Le mot wolof sutura désigne une forme de discrétion, de « sauvetage des apparences ». Il s’applique à tout le monde.

« Le masculin m’est toujours apparu comme une contradiction, un entredeux impossible, entre une façade rigide et un coeur flou. entre « homme » et « fort », il y a un rapport d’équivalence, presque tautologique. En ce sens, le vêtement semble révéler cette inaccessibilité du masculin. Là où j’ai grandi et ailleurs, il est un moyen de s’annoncer et de se représenter. Cependant, le vêtement masculin ne semble pas refléter de nuances sensibles. Je les recrée donc en le mettant en scène avec des corps et des objets. Leur polyvalence est la trame de mon travail. en oubliant de rappeler la force et la virilité, le vêtement prend de plus en plus de place. Il finit par s’animer, s’exprimer. »

Souleymane Bachir Diaw, né en 1995 à Dieuppeul-Derklé (Dakar, Sénégal) est un artiste autodidacte membre du collectif atelier Ndokette. Sa pratique, à la lisière du documentaire et de la mise en scène, lui permet de façonner la mémoire des liens qu’il tisse, et la manière dont se transforment ses rapports individuels et collectifs au monde.

 

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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