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À la veille de l’ouverture de la sixième édition du festival Les Femmes s’exposent, j’ai rencontré la fondatrice et directrice, Béatrice Tupin. Nous sommes revenues sur la genèse de le projet un peu fou de ce festival de photographie non mixte, qui a, depuis sa création, essuyé beaucoup de critiques. Même si certains grimacent, petit à petit le festival se fait une place dans le paysage des manifestations culturelles dédiées à la photographie. Aujourd’hui, on retrouve même les sujets présentés pour la première fois à Houlgate exposés dans d’autres festivals. Malgré une équipe réduite et un budget rétréci, Béatrice Tupin n’a rien perdu de sa motivation et nous présente son cru 2023 !

Ericka Weidmann : Le 7 juin, vous inaugurez la 6ème édition du festival les femmes s’exposent, quel bilan après 5 premières éditions ?

Béatrice Tupin : C’est incroyable de se dire que six ans viennent de passer déjà ! Je suis très heureuse car nous avons résisté au Covid, sans jamais avoir dû annuler une seule édition, et c’est un point très important dans ce bilan. Sur notre évolution, nous avons toujours su, me semble t-il, nous renouveler d’une année sur l’autre en proposant une programmation riche et variée. Avec Anne Degroux, nous sommes en alerte en permanence pour trouver des sujets et découvrir de nouvelles femmes photographes. Le principe du festival est d’exposer des travaux inédits !
À chaque édition, je me dis que je n’arriverais pas à faire mieux que l’année précédente, mais finalement je ne sais pas si on fait mieux, mais je trouve qu’en termes de qualité et de diversité, on tient bien la route. Après, je suis limitée sur les sujets que l’on présente, comme nous sommes dans l’espace public on ne peut pas tout montrer, il y a des sujets difficiles…
Évidemment, en six ans nous avons pris peu à peu de l’ampleur, Les Femmes s’exposent compte aujourd’hui dans le paysage des festivals français et le public est au rendez-vous. Et pour nous, ce dernier point est vraiment fondamental car l’intention première du festival était vraiment de s’adresser à tous les publics, notamment ceux qui ne poussent pas forcement les portes des galeries ou des musées. Et le fait de proposer des expositions en plein air, permet de toucher un maximum de gens.
Chaque année, le festival permet de récompenser les travaux ou projets de femmes photographes, cela permet de donner de la notoriété au festival. Cette année nous avons initié deux importantes bourses financées par le ministère de la Culture et la DRAC Normandie.
Quand je me suis lancée dans cette aventure, j’étais très optimiste. Et heureusement, parce que sinon je n’aurais pas tenu le coup de cette première année. Six ans ont passés depuis, c’est un travail très chronophage, mais je suis très heureuse d’être toujours là, à Houlgate, à travailler d’arrache pied avec la même équipe pour offrir une manifestation de qualité aux visiteurs estivaux de cette petite cité balnéaire normande.

Toyama City Kadokawa Care Prevention Center is a facility specializing in long-term care prevention established in 2011 with the aim of extending the healthy life expectancy of the elderly and reducing the increase in the number of people requiring long-term care. The facility is staffed by a doctor and offers a variety of programs, such as aqua kinetic therapy and spa therapy using hot springs, to help the elderly engage in care prevention. More than 800 elderly people living in the community are registered as members, with an average of 200 people using the facility each day.

« Quand je me suis lancée dans l’aventure, je me disais qu’il faudrait que je fasse deux, peut-être trois éditions pour que l’équilibre soit rétabli et qu’il ne soit plus utile d’avoir un festival dédié exclusivement aux femmes photographes. Alors oui, des efforts il y en a eu, mais je vois que je suis partie encore pour quelques années et que ce n’est pas totalement fini. »

EW : Malgré des efforts remarqués de la part de la majorité des opérateurs culturels, les femmes photographes manquent encore de visibilité. L’existence du festival permet-il une prise de conscience du secteur professionnel mais aussi du grand public ?

BT : Je vais commencer par parler du grand public, parce qu’il a vraiment découvert cette problématique grâce au festival. Les gens n’avaient pas du tout conscience que les femmes photographes souffraient d’un tel manque de visibilité et pour cela la prise de conscience a été immédiate. Pour ce qui est du secteur professionnel, et plus particulièrement les festivals, ce que je remarque c’est qu’il y a un peu plus de femmes photographes dans les programmations. Ce serait prétentieux d’affirmer que le festival Les femmes s’exposent y est pour quelque chose, mais nous avons ajouté une petite pierre à l’édifice. Aujourd’hui, je pense qu’il y a aussi une pression de la part des institutions au niveau des subventions, je pense que cela a beaucoup joué dans cette volonté de parité. Mais c’est important qu’il y ait une prise de conscience de la part des directeur·ice de festival. Quand je vois, encore cette année, que certaines manifestations affichent 80% d’hommes contre 20% de femmes, je suis vraiment estomaquée ! Mais on peut tout de même noter une belle évolution générale, même si cela reste encore insuffisant. Le problème réside dans le fonctionnement de recherches des photographes dans les festivals où la plupart attendent de recevoir des dossiers de candidature. Nous, nous allons chercher les sujets, les photographes… Et je pense que si les directeur·ices de festivals faisaient ce travail de recherche, ils trouveraient de nombreux sujets de femmes photographes très talentueuses. Il n’est pas rare de voir un même sujet ou un·e même photographe être exposé·e d’une année sur l’autre dans plusieurs festivals, je trouve cela assez étonnant, de ne pas donner la possibilité de s’ouvrir à d’autres sujets, d’offrir la possibilité à d’autres photographes d’être exposé·es… Il y a peut-être des raisons économiques à cela, cela coûte moins cher quand l’exposition est déjà produite…
Donc tous les efforts de rendre visible les femmes photographes doivent être maintenus. Avec la crise du Covid, si tout le secteur a été impacté, les femmes ont été encore plus touchées. Ajouté à cela un problème financier auquel on se confronte lié à la diminution des fonds de la copie privée, qui risque d’entraîner une baisse des subventions pour les manifestations et donc pour la rémunération des photographes. J’ai peur que les femmes soient les premières à en souffrir. Je dis souvent que les femmes gagnent moins d’argent, on me dit « ce n’est pas vrai, elles sont payées pareil ». Mais ce n’est pas ça que je dis, elles gagnent moins car elles ont moins de commandes !  Quand je me suis lancée dans l’aventure, je me disais qu’il faudrait que je fasse deux peut-être trois éditions pour que l’équilibre soit rétabli et qu’il ne soit plus utile d’avoir un festival dédié exclusivement aux femmes photographes, alors oui, des efforts il y en a eu, mais je vois que je suis partie encore pour quelques années et que ce n’est pas totalement fini.

EW : Au bout de 6 ans d’existence, rencontrez-vous toujours de la résistance sur votre choix de non mixité ?

BT : On ne me dit jamais les choses en face, j’ai eu quelques remarques comme « Tu vas baisser le niveau de la photo » qui se voulaient être sur le ton de l’humour mais il y a forcément quelque chose qui dérange au fond.
Après, j’ai su qu’il y avait des photographes qui étaient furieux, que je puisse recevoir des subventions pour aider les femmes et qu’ils ne pouvaient pas en bénéficier. Ce qui est étonnant, c’est que ces remarques proviennent souvent de photographes réputés et qui ont des commandes régulièrement dans la presse par exemple, donc qui a priori n’en ont pas la nécessité. Dernière nouveauté, un photographe a dit « Je vais me faire opérer pour pouvoir bénéficier des prix et être exposé. » Ces photographes ne se rendent vraiment pas compte du manque de visibilité et des différences de traitement que subissent les femmes photographes. Ça me sidère !
Je remarque également, et ce depuis la première édition, qu’il y a très peu d’hommes photographes qui viennent au festival pendant les journées d’inauguration. Certains viennent pendant l’été, on se rencontre, ils visitent les expos, ils apprécient mais ils ne partagent rien sur les réseaux sociaux par exemple. Donc cette année, j’espère qu’on aura plus d’hommes photographes. Mais on ne va pas se cacher que dans cette profession, il n’y a pas une très grande solidarité : quand une personne est exposée, l’autre ne l’est pas. Quand quelqu’un a un prix, l’autre ne l’a pas… Après, il y a quand même des hommes qui nous soutiennent, mais ce n’est jamais un soutien très assumé.

Forough Alaei – Héroïnes d’Iran
Des amies jouent avec leur chien. Bien que limitée car
symbole d’occidentalisation, la possession d’animaux domestiques
augmente au sein des foyers iraniens.
© Forough Alaei

« Dans un pays conservateur comme l’Iran, les femmes courageuses qui affirment « je peux, s’il le peut ! » sont sources de changement. Ces modèles inspirants donnent aux jeunes l’assurance nécessaire pour construire un avenir où elles auront autant de droits que les hommes. Je suis fière d’être une femme photographe, avec les difficultés que cela implique, certes, et de donner une voix à toutes ces cheffes de file à travers mes sujets. » – Forough Alaei

EW : Cette année, le festival expose la photojournaliste iranienne Forough Alaei, pouvez-vous nous présenter son travail ?

BT : Cette année, nous souhaitions évidemment mettre l’Iran à l’honneur. C’est notre rôle, en tant que structure culturelle d’apporter notre soutien. Nous avons cherché des femmes photographes iraniennes peu exposées dans les festivals en France. Et Forough Alaei est une des rares photographes à être restée vivre en Iran. Donc c’était d’autant plus important pour nous de la mettre à l’honneur. Forough est une jeune photographe de 34 ans, elle a commencé sa carrière il y a huit ans. Dans son travail, elle explore les questions sociales et s’intéresse aux inégalités, et plus particulièrement celles qui visent les femmes. Elle est très courageuse. Depuis cette révolution qui a eu lieu depuis le 16 septembre 2022, avec le début des manifestations, on voit toute cette jeune génération, hommes et femmes confondus, résister au péril de leur vie. Dans son exposition, nous avons réunit une sélection d’images réalisées avant et après la révolution. Habituellement, les expositions de sujets sur des conflits, ou réalisés dans des pays difficiles, sont installées au jardin du Petit Théâtre pour ne pas choquer le grand public. Là, son exposition sera sur les grilles de ce jardin, pour atteindre plus de monde.

EW : Je sais qu’il est difficile de choisir, mais pourriez-vous nous parler de travaux présentés qui vous tiennent particulièrement à cœur ?

BT : C’est très difficile, car toutes les expositions nous tiennent à cœur, on met beaucoup d’énergie à organiser ce festival et ce des mois durant. Elles sont toutes différentes et toutes formidables. Comme je le disais plus haut, notre programmation est issue de longues recherches…
Je peux parler de cette photographe japonaise documentaire Noriko Hayashi, qui travaille beaucoup sur les sujets liés à la société et à la dignité humaine. Dans « Aging Japan« , elle nous montre un pays face au vieillissement. Il faut savoir que le Japon est le pays où il y a le plus de personnes âgées : aujourd’hui, 29% des habitants ont plus de 65 ans et d’ici à 2050, ce chiffre va monter jusqu’à 38 % ! C’est un travail passionnant ! C’est toute la problématique sur l’espérance de vie, sur le taux de fécondité qui est complètement en baisse et c’est donc économiquement, un pays qui manque de main d’œuvre.

Je me rends compte que Forough Alaei et Noriko Yashi sont exposées à peu près dans le même secteur, aux côtés d’Isabelle Serro. Isabelle est une photographe française que je suis depuis longtemps et cette année, on présente « Destination finale : Ghana » un sujet incroyable sur ce que deviennent les vêtements que l’on dépose dans les bacs à recycler. La grande majorité arrive au Ghana, qui est est devenu la poubelle vestimentaire du monde occidental à ciel ouvert. C’est vraiment une catastrophe écologique sans précédent. C’est un sujet très fort visuellement et je me dis que l’impact va être important en particulier par rapport au jeune public.
L’ensemble des expositions présentées cette année, sont à découvrir à Houlgate du 7 juin au 3 septembre et dès à présent sur le site.

On pourrait penser que ces énormes monticules, hauts de plusieurs mètres, sont la destination finale de ces tonnes de textile. Une troisième économie apparaît alors. Au petit matin, des centaines de femmes, d’hommes et d’enfants, passent des heures à retourner ces piles de textiles, telle une véritable quête du possible graal. Et lorsqu’est découvert un vêtement qui semble encore avoir un souffle de vie, il est emporté pour tenter un ultime sauvetage et en dégager un maigre profit. Dans cet enfer à ciel ouvert, chaque trouvaille est une véritable source d’espoir. Certains déchets organiques sont mélangés à des textiles en fin de vie, des plastiques, de nombreux produits chimiques, déchets que les troupeaux de vaches qui escaladent ces monticules tentent de consommer. Devenues très agressives, elles semblent avoir la cervelle en pagaille. Conséquence de ce qu’elles ingèrent?

EW Comment fait-on pour faire vivre un festival comme Les Femmes s’exposent ?

BT : Chaque année, c’est un peu une découverte. Il est évidemment très difficile de trouver des fonds et tous les ans, c’est une course effrénée pour assurer l’édition suivante. Heureusement, nous pouvons compter sur la fidélité de plusieurs partenaires et institutions. Mais rien ne nous assure qu’ils pourront être là d’une année sur l’autre. Nous finançons le festival par le biais de fonds publics et privés, mais cette année encore notre budget a baissé, pour l’an prochain nous n’avons aucune certitude car nous avons bénéficié de deux aides exceptionnelles que l’on n’aura pas forcément l’an prochain, donc c’est toujours un stress. La particularité du Festival, c’est que nous sommes une toute petite équipe de cinq personnes, donc nous sommes tous multitâches par obligation. Je pense que nous devons être le seul festival à avoir une équipe aussi réduite, et avec un budget aussi petit.
Ça va être mon travail après les journées d’inauguration, de trouver les financements pour assurer le festival l’année prochaine !

INFORMATIONS PRATIQUES

mer07jui(jui 7)10 h 00 mindim03sep(sep 3)18 h 00 min6ème édition Les Femmes s'exposent OrganisateurLes Femmes s'exposent

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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