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Pour sa deuxième carte blanche, notre invité de la semaine, le photographe, enseignant et co-fondateur de Poltred, Julien Malabry partage avec les débuts de correspondance avec l’artiste  Maxime Possek sur l’enseignement de la photographie et de l’art. Julien et Maxime sont tous les deux enseignants dans différentes écoles de photographie et soucieux du devenir de l’enseignement de l’art dans les écoles. Maxime est un artiste contemporain né en 1989. Diplômé des Beaux-Arts de Châlon-sur-Saône, il est à la fois photographe et réalisateur de films expérimentaux. Il mène depuis 10ans une recherche sur l’intime par le prisme du paysage et de l’anecdote.

Julien Malabry, 2 juin 2023

Bonjour, mon ami, j’éprouve un plaisir non dissimulé dans la perspective de cet échange qui sera, pour une fois dans ce genre, rendu public dès son point final, pour ce chapitre tout du moins. Un peu à la manière des lettres d’autrefois que l’on s’échangeait entre gentlemen, à moi l’honneur d’ouvrir le bal sur ce thème que je t’ai proposé : l’école.
Nous sommes tous les deux intervenants dans différentes écoles post-bac ayant ce point commun, d’enseigner l’image, qu’elle soit fixe ou animée, à la jeune génération. Nos parcours sont différents, le mien est plutôt simple avec un CAP en photographie, le tien plus long plus complet avec un diplôme des Beaux-Arts.
J’aime à dire que je suis un intervenant et pas un enseignant, premièrement parce que je n’ai pas eu de véritable formation, hormis pendant mes années sous les drapeaux où j’ai été instructeur pendant trois années avec une formation à la conception du fameux trois colonnes, base de l’enseignement théorique militaire de l’époque, mais surtout parce que je me considère comme un professionnel qui est là pour transmettre son métier, ses ficelles, ses expériences et ses échecs. Mon rapport à l’école a toujours été compliqué durant ma scolarité malgré des facilités, la méthode m’a toujours questionné, j’étais un peu trop rebelle dans l’âme il faut croire. Si c’était à refaire, ferais-je différemment ? Là est la question. »

Des bises.

Maxime Possek, 5 juin 2023

Salut Julien, je te réponds enfin. La mesure du temps est assez particulière en ce moment, je me sens toujours dans une constante accélération dans laquelle je tiens à m’efforcer de ralentir.
Ecrire, encore et toujours c’est bien là le format parfait pour ce que l’on est en train de faire. Écrire c’est entrer dans une introspection mais cette fois-ci à deux; je redécouvre l’importance d’écrire à destination d’une personne, de prendre le temps de choisir mes mots, mes phrases, mes intentions, au plus près de mes émotions. Je suis heureux de t’écrire aujourd’hui, je garderai une absolue spontanéité.

Je ne sais pas bien ce qu’est une école, la question me semble assez difficile car je comprends aujourd’hui l’école comme une idée, un concept que l’on aimerait commune à tous, sur l’ensemble d’un territoire, d’une pensée et d’une idéologie. J’ ai beaucoup de mal à adhérer à cette idée. Une école est par essence plurielle, elle est faite d’hommes et de femmes, d’élèves et d’étudiants, de croyances, de fantasme, de traumatismes, de luttes et d’espoirs. L’école à toujours été un point central des luttes politiques et idéologiques, l’école de la république est une école qui souffre et qui est en peine. Je lui fais confiance, quand j’entends ses maux, ses cris, ses douleurs, ses difficultés, son quotidien, ses violences. Je fais confiance aux élèves, aux professeurs, je fais confiance aux révoltants, aux blocus. Je vois aussi que l’école, parce qu’elle se doit d’être transitoire, doit devenir un véritable laboratoire d’expérimentations d’analyse du monde par le prisme des individus qui agissent en son sein.
Ceci est un rêve Julien, j’en suis bien conscient et aujourd’hui l’école, celle de la république est pour moi un environnement trop étriqué dans lequel je ne trouve aucun espace d’exploration et de liberté.

Alors l’école d’art !

J’ai plein d’idées et d’envie de faire école, j’ai tout le temps envie de faire une école, mon rêve le plus fou serait de faire mon école. Ce qui m’intéresse dans ce que tu me m’écris c’est bien ton parcours qui semble paradoxal entre tes années dans l’armée Française, qui est un environnement avec des règles prédéfinies et ritualisées et une école d’art qui semblerait être le lieu où sans cesse nous brisons et réécrivons des nouvelles règles et des nouveaux environnements de travail et de réflexion. Elle ressemblerait à quoi ton école idéale ? Comment fonctionnerait-elle ? Quel en serait son manifeste ? Il y aurait-il des professeurs et des élèves ? Y aurait-il une direction et des employés ? Y aurait-il des clients et des fournisseurs ? Il y aurait-il des notes et des bulletins ? Des passages et des redoublements ? Des félicitations et des convocations ? Il y aurait-il un diplôme ? Un diplôme de quoi ?

Je t’embrasse,

Maxime

Julien Malabry, 6 juin 2023

Bonjour Maxime,

Ce qui est génial dans ce format d’échange que nous avons c’est sa temporalité. Je regarde le groupe dateur de nos mails et je vois les jours qui séparent nos échanges, ce temps si important qui nous échappe aujourd’hui car tout doit aller très vite, trop vite ! Ce constat est le même à l’école ; nous, enseignants, devons faire toujours plus en toujours moins de temps et si je devais répondre à ta première question : « elle ressemblerait à quoi ton école idéale ? » Je te dirai que c’est une école où l’on a le temps. L’apprentissage, la création, l’art prennent du temps et nous devons permettre aux élèves d’avoir le temps et de ne pas courir après l’horloge et de subir charrette sur charrette comme le veut la tradition en école d’architecture. Alors certes, une fois sur le marché du travail pour ceux qui se destinent à une carrière de salarié, le temps est un facteur important, mais à l’école… J’aime à penser que les stages en entreprises sont faits aussi pour préparer à cette courbure du temps.

Tu me posais la question du diplôme, des félicitations, des convocations, des redoublements etc ; je classerais tout ceci dans la catégorie des sanctions. La sanction est subjective, gratifiante ou pénalisante, elle manque d’impartialité car elle est propre à un groupe décisionnaire. J’ai vu beaucoup de brillants étudiants s’effondrer une fois en entreprise et inversement. La sanction scolaire est-elle justifiée, est-elle gage de qualité ? Je ne le pense pas, encore plus en ce moment où la technologie avance à une vitesse folle et où le corps des enseignants peine à rester à la page et là je parle surtout de l’enseignement dans les domaines de l’image. Comment peut-on assimiler et transmettre dans le même temps ? La technologie évoluant de manière radicale et à toute vitesse, nous nous devons de revoir l’école aussi à cause, ou grâce, à ça, afin d’intégrer cette variable qui encore une fois est liée à la temporalité.

Alors faut-il écrire un manifeste ? Oui, je pense sincèrement que l’école est à refondre dans son ensemble car tu l’as très justement souligné : l’école est devenue un point central des luttes politiques et je dirais même plus du capitalisme car nombreuses sont les écoles supérieures qui appartiennent à des actionnaires. Le Général De Gaulle l’avait fort bien dit : « Le capitalisme du point de vue de l’Homme n’offre pas de solution satisfaisante. » et nous en subissons les conséquences. L’école doit rester la maison de l’étudiant et du chercheur, l’administration la fonction support. Mais quels seraient les 10 points fondateurs d’un manifeste sur l’école ?

Bien à toi,

Maxime Possek, 7 juin 2023

Hello,

Tu poses cette question très importante qui est « Comment peut-on assimiler et transmettre ? ». Cette question est essentielle pour nous professeur. Il est important de rappeler qu’il n’existe pas de diplôme de professeur en école d’art, pas de formation de professeur en école d’art, qu’il n’existe pas de méthodologie commune d’enseignement en école d’art.
Alors comment fait-on ?
Comment fait-on, nous artiste, pour à la fois assimiler et transmettre ?

C’est ce qui est, je crois, le plus intéressant dans une école d’art ; c’est d’être dans un doute constant, une énergie entre notre propre production à nous artiste, c’est à dire une production faite d’hypothèses, de doutes, d’échecs, de dire et de ne pas dire, de faire et de ne pas faire, parfois aussi de mal faire. Cette idée que nous, professeurs, devons transmettre à nos étudiants des notions justes, vraies, vérifiables, des méthodologies de travail et de production; tout cela est absolument paradoxal. Un jour, un étudiant m’a demandé :  » comment fait-on une œuvre d’art ?  » Comment puis-je affirmer des notions que je donne à mes étudiants alors que je suis moi-même en exploration du monde ? Je lui ai dit que je ne savais pas, je n’étais même pas sûr de savoir exactement ce qu’est une œuvre d’art.

Je crois cependant qu’il n’y a qu’un artiste qui peut enseigner dans une école d’art. J’en suis absolument certain car lui seul est capable de dire à son étudiant, « Je ne sais pas ». C’est parce qu’un artiste ne sait pas qu’il produit des formes. Un théoricien parle d’une image mais il n’a aucune idée de comment l’on produit une image, un forme, un objet. La pertinence d’un artiste/enseignant c’est bien son expérience à l’échec de la production d’une forme. Ne pas savoir c’est donc décider de ne pas affirmer ! Alors nous explorons des alternatives, nous écrivons des hypothèses, nous expérimentons, nous échouons, nous recommençons; peut-être sans jamais trouver. Je pense que la chose la plus difficile pour un étudiant en école d’art c’est d’imaginer que jamais il ne trouvera la réponse. Ils ont encore le temps.

Il y a eu des écoles d’art alternatives magnifiques. Il y a eu le Black Mountain College par exemple, née dans les cendres encore chaudes du Bauhaus. Moi je viens d’une petite école des Beaux Arts, EMA FRUCTIDOR à Chalon-sur-Saône et j’ai été marqué par l’écriture d’un manifeste, fondateur de l’école, écrit par Dominique Pasqualini, alors directeur de l’école.
Sur la première ligne était écrit :
« Peut-on enseigner l’art ? »
C’est une merveille, écrire un manifeste en posant une question ! C’est alors comprendre qu’une école d’art n’est pas une réponse et qu’il n’y a pas de réponse. Poser la question devient le moteur de recherche qui est alors une proposition sans affirmation. Si il y avait un premier point dans notre manifeste je te proposerais celui-ci :

 » Une école d’art est, pour l’essentiel, un endroit où l’on ne sait pas ce qui peut arriver. « 

je t’embrasse,

Maxime Possek

Cet échange se poursuivra sur le blog de Julien Malabry : http://www.julienmalabry.com

La Rédaction
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