Chaque automne, depuis bientôt trente ans, la Quinzaine Photographique Nantaise (QPN) fait vibrer le territoire au rythme de la photographie. Cette année ne fait pas exception : la 29ème édition, inaugurée le 26 septembre dernier, explore la thématique de la « Réalité ». Une édition qui a pourtant bien failli ne pas voir le jour, en raison du retrait total des subventions publiques du ministère de la Culture. Hervé Marchand, directeur de la manifestation, nous présente cette nouvelle édition et partage ses inquiétudes face aux difficultés croissantes que rencontrent les événements culturels.

On pourrait penser que pour parler de réalité, il faudrait s’intéresser uniquement aux démarches documentaires ou journalistiques. Mais en fait, parfois, pour montrer la réalité, il faut s’éloigner de la représentation et s’approcher d’une expression plus poétique.

Portrait d’Hervé Marchand

Ericka Weidmann : La 29ème édition du festival se tient du 26 septembre au 2 novembre, un événement autour de la thématique « Réalité », en rupture avec l’édition de l’année passée, « L’Illusion ». Pouvez-vous nous parler du choix de cette thématique ?

Hervé Marchand : Ce n’est pas la première fois que nous explorons des notions de dialectique qui se définissent par deux versants d’un même sujet. Nous avons eu Nature humaine avec le nous et le je, ou encore Invisible avec la révélation et la disparition. Et là, nous sommes partis l’année dernière sur la notion d’Illusion. C’était un peu frustrant de ne développer qu’une dizaine ou quinzaine d’expositions sur ce sujet, car nous avions beaucoup d’autres idées et de multiples façons d’envisager ce thème. Nous avons donc décidé de le prolonger en deux volets, en changeant légèrement le nom. Mais finalement, cela reste le même questionnement sur l’illusion et la réalité : comment démêler le vrai du faux ? Surtout à un moment où l’on va bientôt fêter les deux siècles d’existence de la photographie, un médium censé être le plus fidèle, profondément ancré dans le réel.

A War on Us © Adeline Praud

La question était également de savoir comment encadrer un sujet aussi vaste. Nous avons pensé cette nouvelle programmation de manière à la faire entrer en résonance avec certaines expositions de l’année passée. C’est notamment le cas de la série sur les États-Unis A War on Us d’Adeline Praud, qui entre en écho avec Las Vegas de Christian Lutz, exposée l’an dernier. Du côté des lieux partenaires, au Passage Sainte-Croix, l’artiste chinoise Zhu Hong présente une exposition où elle reproduit des icônes de la photo contemporaine en les redessinant au crayon de bois sur du papier noir. Les images apparaissent très brièvement, par brillance, lorsqu’on incline le support. Cela fait écho à la série de Brodbeck & de Barbuat de l’an passé, avec leur relecture de l’histoire de la photographie traduite par l’intelligence artificielle.

La maison. Des officiers de police de la ville de Rutland sont en intervention. Une personne sans domicile est entrée dans la maison pour consommer des drogues. D’un point de vue métaphorique, cette image suggère l’ampleur de l’épidémie des opioïdes dans la ville et l’impossibilité de la circonscrire. A War on Us © Adeline Praud

On pourrait penser que pour parler de réalité, il faudrait s’intéresser uniquement aux démarches documentaires ou journalistiques. Mais en fait, parfois, pour montrer la réalité, il faut s’éloigner de la représentation et s’approcher d’une expression plus poétique. C’est par exemple le cas d’Adeline Praud, qui ajoute une touche plasticienne en dénonçant l’épidémie d’opioïdes aux États-Unis à travers l’usage des couleurs rouge et bleue.

Pierre Allard ou Jean Suquet / Munaé / ECPAD
Maison Radieuse : © Fondation Le Corbusier / ADAGP

Quand on veut parler de statistiques, une démarche plus conceptuelle et scientifique est à privilégier. C’est par exemple le cas avec l’ECPAD (Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle de la Défense), qui a curaté l’exposition L’Enfance radieuse, traduisant une certaine réalité et la manière dont on en commandait la représentation dans les années 1960. À l’époque, l’État voulait une image de la France des Trente Glorieuses, dans différentes villes du pays. On présente ici un grand mur d’images, avec 611 photos. Volontairement, il n’y a aucun editing, afin de montrer l’ensemble de la réalité capturée à l’époque.

Pierre Allard ou Jean Suquet / Munaé / ECPAD
Maison Radieuse : © Fondation Le Corbusier / ADAGP

E.W. : Comment élaborez-vous votre programmation ? Est-ce un appel à candidatures ? Démarchez-vous des photographes ? Est-ce fait en collaboration avec d’autres lieux de la ville ?

H.M. : On fonctionne par groupes de travail au sein de l’association. Une fois que la thématique est lancée, on échange sur la manière de l’interpréter. Chacun fait des propositions qui sont retenues ou parfois mises de côté.
Pour les lieux partenaires, on leur explique nos intentions et, à partir de là, ils établissent leur programmation avec une certaine distance, que ce soit dans l’esthétique ou dans la façon d’envisager le sujet.
Pour le Prix QPN et l’exposition présentée à l’Espace 18, on lance un appel à candidatures. Dans ce lieu, on a un cahier des charges précis. Cette année, c’est Thomas Louapre qui est présenté avec une série sur sa mère et la maladie d’alzheimer. C’est réservé aux professionnels résidant sur la métropole de Nantes.

E.W. : Vous fêtez les 20 ans du Prix QPN. À qui s’adresse ce prix, et pouvez-vous nous parler de la lauréate de cette année, Anne Desplantez ?

H.M. : Depuis 2006, nous avons toujours maintenu la gratuité de l’appel à candidatures. En revanche, nous exigeons un dossier papier, ce qui demande du travail et représente un certain coût (même s’il peut être très limité ; il n’est pas obligatoire de faire des tirages fine art). Cet appel est ouvert à toutes et tous : professionnels, amateurs, jeunes créations ou talents plus confirmés. On ne demande pas de CV, même si tout le monde joint généralement une petite bio à la note d’intention.

Parce que Ici © Anne Desplantez

Cette année, la lauréate 2025 est Anne Desplantez, qui est nantaise ! Nous la connaissions déjà, car elle avait été finaliste du Prix QPN. Elle est venue me présenter ce travail lors des lectures de portfolios du réseau LUX à Arles, l’an passé. Sa série s’appelle Parce que ici. Elle a travaillé dans une ASE (Aide sociale à l’enfance) avec des enfants aux histoires de vie compliquées, souvent violentes, dont on ne connaît pas les détails. D’ailleurs, ce n’est pas du tout son propos de nous expliquer pourquoi ces enfants sont là : ils sont placés en foyer pour être protégés. Ces lieux de vie sont comme des microcosmes. Les éducateurs spécialisés deviennent des personnes de confiance qui les accompagnent jusqu’à leur majorité, car passé 18 ans, ces jeunes ne sont plus éligibles à ce dispositif d’aide.
Anne a fait une résidence dans ce foyer et y est retournée pendant presque deux ans. Une partie de la série est dédiée aux images réalisées par les enfants eux-mêmes, accompagnées de leurs témoignages recueillis par la photographe. Dans l’exposition, leurs photos sont présentées dans de petites boîtes, comme des documents intimes, familiaux, qu’on remet soigneusement à leur place après les avoir consultées.

Parce que Ici © Photos des enfants

E.W. : QPN réunit 21 expositions, toutes en accès gratuit. Comment arrivez-vous à financer cet événement ?

H.M. : C’est compliqué… D’autant plus que cette année, l’État nous a supprimé notre subvention, qui s’ajoute à celle déjà supprimée par la Région un peu plus tôt ! Nous avons vraiment été surpris de la décision de l’État, puisqu’au niveau ministériel on nous avait assuré que la QPN était perçue comme l’un des festivals importants à soutenir, et que le ministère maintiendrait les enveloppes. C’est un coup dur.
Il nous reste encore des subventions de la Ville et une petite aide du Département, mais nous n’avons pas beaucoup de recettes. Nous vendons très peu de choses., nous organisons des stages, souvent gratuits ; quand ils sont longs et payants, notre structure n’en tire pas de bénéfices. Nous avons quelques publicités dans notre brochure, mais ces revenus ne suffisent pas. Cette année, l’ECPAD a intégralement financé son exposition : commissariat, production des tirages et voyages. D’autres expositions ont également été financées dans le cadre de coproductions.
Nous recevons aussi le soutien des sociétés d’auteurs, la SAIF et l’ADAGP, à hauteur de 4 000 €. L’an dernier, notre budget était de 57 900 €. Cette année, je n’ai pas encore les comptes, mais nous perdons les 12 000 € de l’État.

© Patrick Miara

Lors de l’inauguration du WAVE, biennale des arts visuels dont nous faisons partie cette année, la DRAC a affirmé que toutes les aides avaient été maintenues. Or, c’est totalement faux, et c’est difficile à entendre. Nous avons perdu 100 % de nos subventions ! Recevoir un mail le 25 juin vous disant que votre dossier va être étudié, puis, une minute après, apprendre que la demande est rejetée… c’est dur.

E.W. : Cette perte financière a-t-elle mis en danger l’édition 2025 ? Ou risque-t-elle de compromettre l’édition 2026 ?

H.M. : Pour cette édition, nous avons réussi à demander des enveloppes supplémentaires à la Ville, par exemple… Mais nous avons dû nous adapter.
L’an dernier, nous avions 11 expositions ; cette année, nous en avons que 6. Nous nous étions un peu enflammés sur les droits d’auteur : nous versions 1 500 € à tout le monde. Nous étions en léger déficit, mais sans que cela pose un gros souci, car nous avions de la trésorerie. Du coup, cette année, nous réduisons le nombre d’expositions et revenons à une rémunération de 1 000 € de droits par expo. Donc normalement, ça devrait aller. En revanche, si l’État et le Département cessent de nous soutenir à long terme, cela deviendra très compliqué.
Car nous cochons toutes les cases des critères des collectivités publiques : la gratuité, la parité, la valorisation de la scène française, la rémunération et le défraiement des artistes, la formation gratuite… Nous augmentons notre fréquentation chaque année. C’est difficile à comprendre.

Rades © Guillaume Blot

E.W. : Vous faites partie du réseau LUX, qui réunit les festivals et foires de photographie sur le territoire. Quels sont les apports d’une telle fédération ?

H.M. : On se rend compte que les arts vivants sont bien soutenus, très présents dans l’actualité et les médias : les artistes peuvent être intermittents du spectacle, ils ont une protection sociale. Il est donc nécessaire que le secteur des arts visuels soit, lui aussi, structuré, que ce soit au niveau régional ou national.
Nous avions souhaité rejoindre Diagonal, mais ce n’était pas possible, car nous n’avions pas de lieu de diffusion, alors même que nous étions un acteur important en termes de nombre d’expositions produites, de scolaires reçus, de visiteurs… Cette mutualisation nous était impossible.
LUX nous le permet enfin ! Cela nous donne une visibilité supplémentaire. Beaucoup de choses peuvent être mutualisées. Des structures comme Arles ou Paris Photo n’ont pas besoin d’aide en communication, alors que pour nous, c’est précieux : nous n’en avons pas les moyens.
Nous bénéficions aussi de formations, d’aides techniques… Dans ce réseau, tout le monde n’a pas de gros moyens ; cela permet donc de réunir davantage de compétences.
Par curiosité, j’ai demandé aux membres du réseau quel budget ils pensaient que nous avions : on m’a répondu « plus de 200 000 € » ! Alors que cette année, nous tournerons autour de 30 à 45 000 €. Cette mise en relation permet aussi de montrer la réalité du secteur : que tous les collègues festivals voient comment les autres fonctionnent et quelles sont leurs difficultés.

Le peuple des algues
Line Le Gall portrait print on a ulva seaweed. Line Le Gall is Phycologist and director of scientific explorations at MNHN in Dinard, France.
© Aurélien David

E.W. : Et quelles sont vos stratégies pour attirer le public local, mais aussi le public venu d’autres territoires ?

H.M. : Après 29 éditions, les gens se sont habitués à notre manifestation. Même sans une grande force de communication, la QPN s’est ancrée dans le paysage nantais comme un événement majeur de la rentrée. Depuis le départ, nous avons toujours eu cette volonté d’être fédérateurs, car il existait des phénomènes de chapelles très marqués – qui perdurent d’ailleurs entre l’art contemporain et la photographie. Ce festival a été créé pour exposer la photographie à Nantes, à une époque où il n’y avait pas beaucoup de propositions.
Il est né du milieu amateur, qui a mis en place le festival. Quand j’ai pris le relais, nous nous sommes rapprochés des galeries d’art contemporain, des centres d’art, des musées… Aujourd’hui, les gens viennent à nous, et c’est pour cela que cette année, nous réunissons quatre communes et 21 lieux.

© Gabrielle Duplantier

E.W. : Quels sont, selon vous, les principaux défis d’organisation d’un festival tel que le vôtre ?

H.M. : Je pense que c’est toujours une question de survie. On voit bien que certains festivals ont une durée de vie assez courte. Les raisons sont multiples : financières, mais aussi humaines. Parfois, une ou deux personnes portent la structure, et quand elles s’arrêtent, tout s’effondre. Ou bien, quand une collectivité publique impulse un projet, il suffit d’un changement politique pour qu’elle abandonne la manifestation.
Nous, comme nous sommes une association indépendante, quand nous perdons des subventions, nous pouvons survivre, car nous sommes plus petits. C’est une forme de pérennité. Mais, au bout d’un moment, on se professionnalise : je suis salarié, et depuis que j’ai pris la direction, le festival multiplie les collaborations. Cela nous a permis d’augmenter nos subventions, mais cela fragilise aussi la structure, car si on ne peut plus me payer ou si on nous retire une salle, tout est remis en cause.

Pour nous, il faut maintenir la professionnalisation de la structure, le nombre de partenaires, et disposer d’un socle de financement public stable. Sinon, il faut aller voir le privé, mais d’une année sur l’autre, tout peut être remis en question.
À la tête de la Ville de Nantes, nous avons Johanna Rolland (Parti socialiste), mais si aux prochaines élections le pouvoir change de bord, que deviendrait notre festival ? Et je ne suis pas sûr que nous pourrions nous exporter facilement dans une autre ville.
Donc oui, sur les financements, il y a clairement un gros point d’inquiétude et un sacré défi !

INFORMATIONS PRATIQUES

ven26sep(sep 26)10 h 00 mindim02nov(nov 2)19 h 00 minQPN 2025 : 29ème Quinzaine Photographique NantaiseRéalitéChâteau des ducs de Bretagne, 4 Pl. Marc Elder, 44000 Nantes

Ericka Weidmann
Après des études d'Arts Appliqués et de photographie, elle rejoint un magazine en ligne consacré à la photo en tant que directeur artistique, poste qu'elle occupera pendant 10 ans. En 2010, elle s'installe comme DA en indépendant. En parallèle, elle devient responsable éditorial pour Le Journal de la Photographie et c'est en septembre 2013 qu'elle co-fonde le quotidien L’Oeil de la Photographie pour lequel elle est rédactrice en chef jusqu'en septembre 2016 avant de fonder 9 Lives magazine ! Ericka Weidmann est également journaliste pigiste pour d'autres médias.

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