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Man Ray et la mode au Musée du Luxembourg, à Paris

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L’exposition «Man Ray et la mode», organisée par la Réunion des musées nationaux et la Ville de Marseille arrive à Paris au Musée du Luxembourg après avoir été présentée au musée Cantini et au château Borély en novembre 2019. Je l’avoir découverte à ce moment là et interviewé l’une des commissaires Catherine Omen conservateur et historienne de la mode qui déclarait: «Man Ray a twisté les registres et en cela il a été très novateur. Il a donné une dimension sensuelle, érotique au vêtement, étrange, voire dramatique, à travers des vues en contre plongée, une mise en page audacieuse, un cadrage serré et un style très graphique. Ce n’est plus la mode qui compte mais l’image de la mode (…) ».

Vue de l’exposition Man Ray et la mode, scénographie Agence NC, Nathalie Crinière assistée de Lucile Louveau. © Rmn-Grand Palais 2020 / Photo Didier Plowy

Figure de l’avant-garde, Man Ray est avant tout célèbre pour ses collaborations avec les Surréalistes mais l’on oublie souvent que son travail pour la mode a posé les jalons de ses expérimentations décisives. C’est tout l’enjeu de cette exposition de dévoiler ce qui reste la face cachée et considérée alors comme mineure de sa pratique. On oublie notamment que l’une de ses images les plus iconiques « Les larmes » a été conçue au départ pour une marque de rimmel, « le Cosmécil » et publiée dans le magazine Fiat en 1934.

Man Ray, portrait de femme non identifiée, mode ? 1930. épreuve gélatino-argentique (dont une solarisation)
Paris, Centre Pompidou, musée national d’art moderne, centre de création industrielle, dation en 1994
© Centre Pompidou, MNAM-CCI dist. RMN-Grand Palais/image Centre Pompidou
© Man Ray 2015 Trust/Adagp Paris 2020

Dans une scénographie élégante et soignée signée Nathalie Crinière, nous pénétrons dans l’univers très feutré des salons du Paris cosmopolite que Man Ray découvre en 1920, ces femmes du monde et mécènes comme Peggy Guggenheim ou la Comtesse de Noailles dont il devient le chroniqueur mondain et celles avec qui il met au point de véritables innovations stylistiques, ses muses et compagnes : Kiki de Montparnasse et Lee Miller. Il est introduit à Paul Poiret en 1922 par Gabrielle Buffet-Picabia et rencontre aussi Gabrielle Chanel qui impose rapidement une nouvelle silhouette de la femme. Après le Pavillon de l’Elégance de l’Exposition Internationale des Arts décoratifs de 1925 on assiste à une montée en puissance de la culture de masse via la publicité de mode et Man Ray va connaitre son âge d’or quand il passe contrat avec le magazine américain Harper’s Bazaar, puissant prescripteur de style sous la direction artistique d’Alexey Brodovitch.

Man Ray La chevelure 1929
épreuve gélatino argentique, tirage tardif
Milan Fondazione Marconi
© collection particulière courtesy Fondazione Marconi
© Man Ray 2015 Trust/Adagp Paris 2020

Ses procédés révolutionnaires : le cadrage très resserré, les surexpositions, la solarisation* (découverte avec Lee Miller), le rayogramme*, l’inversion négative donnent à ses images une grande modernité comme dans « La robe de Madeleine Vionnet dans une brouette » (1937) avec cet angle de vue en contrechamp de la brouette d’Oscar Dominguez en opposition au plissé argent très sophistiqué de la robe. Son activité commerciale n’est donc pas incompatible avec sa créativité, bien au contraire elles se nourrissent l’une de l’autre et les frontières ne sont pas étanches entre les deux domaines comme le souligne Alain Sayag, co-commissaire. Il n’hésite pas d’ailleurs à réemployer certains travaux de commande comme l’une des photographies du Pavillon de l’Elégance pour la couverture de la revue La Révolution surréaliste de juillet 1925. De même avec cette fétichisation du corps de la femme et du mannequin dans « Le Dos blanc » où le corps va jusqu’à disparaitre. Une liberté héritée de Dada et des surréalistes qui transparait aussi avec « la Beauté aux ultraviolets » (Harper’s Bazaar, 1940) où il va jusqu’à l’ajout d’encre violette à l’impression de la photographie solarisée d’un nu. Ces innovations rejoignent les préceptes de la « Nouvelle vision », mouvement d’avant-garde photographique en rupture, initié en France et en Allemagne et issu du Bahaus.

Man Ray quitte Paris en 1939 et refuse l’offre d’Harper’s Bzar de s’installer à New York en 1940. Il renonce alors définitivement à la photographie pour se consacrer à la peinture, sa vocation première.

Pour conclure comme le souligne Alain Sayag « sa carrière fut certes courte à peine dix-huit ans, elle n’en préfigure pas moins le rôle pivot que la photographie va jouer dans la conquête par la mode d’un public en passe de devenir universel ». Ce nouvel éclairage à partir d’une large sélection de tirages et négatifs originaux, tirages contemporains grand format et documents d’archives cinématographiques tout à fait inédit annonce et anticipe des procédés largement repris par l’industrie de la mode et notre environnement visuel mondialisé aujourd’hui.

Catalogue aux éditions de la Réunion des musées nationaux-Grand Palais, 248 pages, 39€

INFORMATIONS PRATIQUES

mer23sep(sep 23)10 h 00 min2021dim17jan(jan 17)18 h 00 minMan Ray et la ModeEn attente de la réouverture des muséesMusée du Luxembourg, 19 rue de Vaugirard 75006 Paris

La solarisation : Procédé de tirage qui provoque une inversion partielle des valeurs de l’image par une exposition à la lumière du négatif ou de l’épreuve au cours du développement. Cette action que Man Ray dit avec découvert par hasard en 193 l’utilise de manière presque systématique pour obtenir un effet de silhouettage qui devient l’un des marqueurs de son style.

Le rayogramme : Procédé de photogramme que Man Ray nomme ainsi en référence à la radiographie sous rayons X. Photographie obtenue par simple interposition de l’objet entre le papier sensible et la source lumineuse. « Le photogramme transfigure les objets du quotidien, en donne des formes spectrales. Il provoque chez le public en perte de repères un effet de mystère, le lecteur cherchant à identifier un référent (..) comme il le résume.

Marie-Elisabeth De La Fresnaye
Après une formation en littérature et histoire de l'art, Marie de la Fresnaye intègre le marché de l'art à Drouot et se lance dans l'événementiel. En parallèle à plusieurs années en entreprise dans le domaine de la communication éditoriale, elle créé son blog pour partager au plus grand nombre sa passion et expertise du monde de l'art contemporain et participe au lancement du magazine Artaïssime.

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